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aisément et rapidement franchissable en pirogue, il conçut le projet d'y aller surprendre les envahisseurs avant qu'ils eussent le temps d'augmenter leur nombre et d'élever des fortifications. Dans ce but, il s'occupa de se procurer un nombre suffisant d'embarcations, et de faire surveiller par des espions indiens la marche des travaux de défense de la colonie hollandaise. Après avoir pris ces dispositions, il quitta Cumaná à la tête des troupes dont il pouvait disposer, et se rendit à la Trinidad. Là, il s'adjoignit une compagnie d'Indiens aguerris, rassembla sa flottille dans la petite baie de Toco, en face de Tabago, et attendit le moment favorable pour fondre sur l'ennemi. Ce moment ne se fit pas longtemps attendre. Par une nuit calme et un temps propice, il embarque son monde, traverse en quelques heures le bras de mer qui sépare les deux îles et tombe à l'improviste sur les envahisseurs. Les malheureux Zélandais, surpris dans le sommeil, sont tous égorgés ou faits prisonniers; leurs plantations sont dévastées, les murailles encore inachevées de leur forteresse rasées, et leurs armes et provisions transportées à la Trinidad (1).

Comme Saint-Christophe, la Guyane et le Brésil, l'île de Tabago ne put être occupée par les Espagnols, déjà trop peu nombreux dans les établissements qu'ils avaient formés; semblables au chien de la fable, l'ambition de ces hommes se bornait à vouloir chasser les autres nations de territoires dont il leur était impossible de tirer aucune utilité, puisque ceux où ils s'étaient établis

(1) Bryan Edwards, History of the B. W. Indies, t. IV, p. 277.

succombaient par suite du dépeuplement. La NouvelleAndalousie, en particulier, avec un territoire plus vaste que celui de la Péninsule entière, était encore déserte. Comment eût-elle pu prétendre à s'adjoindre de nouvelles conquêtes? Sa principale province, celle de Cumaná, n'était encore habitée par les Espagnols que dans sa ville unique de la Nueva-Córdova ou NouvelleCordoue, aujourd'hui Cumaná, et dans ses alentours; la seconde ville de cette vaste contrée, San-Felipe de Austria ou Saint-Philippe d'Autriche, aujourd'hui Cariaco, avait été détruite par les Caraïbes en 1630, et était restée en ruines. Tout le reste du pays était encore entre les mains de ses naturels, les Indiens Cumanagotos et Palenques.

Comme celle de Cumaná, la province de Guayana ne possédait que la seule ville de Santo-Tomé, transportée par Don Antonio de Berrío y Oruña de l'embouchure du Caroni vers le sommet du delta de l'Orénoque, à l'est de son premier site. Les Espagnols n'en occupaient que la ville et ses environs, sur un rayon de moins qu'un mille. Cet immense pays de prairies naturelles, toujours dans la possession de ses indigènes, ne présentait encore pour chemins que ses majestueuses rivières. Quant à la Trinidad, son union avec Cumaná, pendant la période qui forme l'objet de ce chapitre, n'avait guère avancé sa colonisation. Dans l'augmentation de sa population espagnole, dans la soumission de ses naturels et dans le développement de sa culture, aucun progrès n'avait été accompli. Elle était restée stationnaire, et, comme à la mort de Don Fernando de Berrío, son établissement le plus important consistait en

un petit nombre de conucos réunis autour de San-José de Oruña. Puerto-de-los-Hispanioles n'était toujours qu'un village de quelques cabanes de pêcheurs. L'île entière était encore couverte de forêts vierges habitées par les tribus indiennes insoumises.

CHAPITRE II

RAVAGES DES BOUCANIERS ET FLIBUSTIERS.

EXPÉDITIONS

CONTRE LA TRINIDAD

(1640-1680)

De tous les ennemis de l'Espagne dans le NouveauMonde, les plus dangereux furent les boucaniers et les flibustiers. Ceux-là ne se bornaient pas à occuper les territoires vacants pour y fonder des établissements de production et de commerce; ils s'armaient en course, pillaient et ravageaient les villes et les colonies espagnoles, et capturaient les galions chargés de leurs richesses. Leur hostilité porta à la monarchie espagnole des coups plus cruels et plus meurtriers que ceux qui lui furent infligés par les puissances européennes. Par eux, elle eut à subir la perte des derniers vestiges de son commerce transatlantique et le voisinage, si pénible à son orgueil, de nombreuses colonies étrangères dans les îles et sur le continent d'Amérique (1).

Ces redoutables adversaires n'étaient pourtant pas riches et puissants; ils n'avaient ni moyens, ni ressources. C'étaient, pour la plupart, d'anciens corsaires jetés par les guerres européennes dans le NouveauMonde, où les fixaient les habitudes d'existence aventureuse qu'ils y avaient contractées; à eux s'étaient joints

(1) Raynal, Histoire phil. et politique, t. IV, 1. X, p. 34.

bon nombre de soldats et de matelots, déserteurs des escadres européennes, et beaucoup de ces hommes à esprit ardent qu'attire une existence accidentée « qui ne laisse pas, dit le bon P. Labat, que d'avoir des charmes, malgré les incommodités dont elle est accompagnée. Ces aventuriers ne jouissaient pas de la protection de leurs nations, dont ils pouvaient embarrasser la politique; abandonnés à eux-mêmes, ils n'engageaient aucune autre responsabilité que la leur. Ils s'étaient établis dans la partie nord-ouest de l'île de SaintDomingue, non occupée par les Espagnols, et dans la petite ile de la Tortuga ou Tortue, voisine de cette côte. Ils se composaient de Français, d'Anglais et de Hollandais; mais, en mettant le pied sur ces territoires neutres, ils convenaient d'abjurer tout esprit de nationalité. Quelles que fussent les relations de leurs nations entre elles, amicales ou hostiles, ils restaient en paix comme à Saint-Christophe. Ils ne connaissaient d'ennemis que les seuls Espagnols; leur haine pour l'Espagne, qui leur refusait le droit d'asile, et celui de chasse et de pêche qu'ils disaient de droit naturel, leur haine pour l'Espagne était le lien qui les unissait tous. A cette puissance abhorrée ils avaient déclaré une guerre d'extermination, sans paix ni trève. Les Espagnols, de leur côté, quand il leur arrivait d'en être vainqueurs, étaient sans pitié et sans merci pour ces implacables ennemis (1). Entre eux, c'était la guerre à mort.

Ceux de ces aventuriers qui s'étaient établis à Saint

(1) P. Labat, Voyage aux isles de l'Amérique, t. V, ch. 1, p. 60 et seq.

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