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unes seulement étaient de couleur ou noires; toutes arrivaient invariablement avec l'argent qu'avait produit la vente de leurs biens, avec leurs meubles, leurs bijoux, leur argenterie et leurs esclaves. Les blancs, en général, étaient nobles (1), car on sait que ce furent des gentilshommes qui peuplèrent en grande partie les établissements des Français en Amérique. A cette brillante immigration française se mêla un tout petit nombre d'Irlandais, et aussi un bien plus petit nombre encore d'Anglais (2). Ce début de la colonisation de l'île, si éclatant pour l'époque où il se produisit, venait confirmer les prévisions de notre glorieux colonisateur. En Europe aussi bien qu'en Amérique les regards se portèrent sur la Trinidad, comme le témoigne une pétition du duc de Crillon pour la concession d'un domaine sur la côte orientale ou méridionale de l'île (3).

Pour recevoir tout ce monde et le caser conformément aux prescriptions de la cédule royale, le gouverneur Chacon se montra à la hauteur de sa tâche il

(1) Traditions de famille.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 90 et 94.

Sur les neuf membres du cabildo, élus pour l'année 1785, nous trouvons quatre Français, trois Espagnols et deux Irlandais ou Anglais, et sur les dix membres élus en 1786, sept Français, deux Espagnols et un Irlandais.

On voit par là que l'administration s'efforçait de tenir la balance égale entre les différentes nationalités dont se composait la population de l'île.

(3) Ce document se trouve au bureau du sous-intendant des terres de la couronne.

fut juste, empressé, complaisant, et il réussit à plaire aux nouveaux colons. Mais il fut loin d'avoir le même succès avec les anciens colons. Ici, comme partout ailleurs dans le Nouveau-Monde, les Espagnols, mis en face d'immenses terrains dépeuplés, et pouvant tailler en plein drap, ne s'étaient pas fait faute de se les partager libéralement. De cet abus il était résulté que les anciennes familles se prétendaient propriétaires de districts entiers qui n'avaient jamais été ni délimités, ni cultivés, ni même habités. Aux premières concessions de terres faites aux nouveaux colons, de nombreuses réclamations se produisirent; des procès interminables menaçaient d'entraver la marche des choses. Pour couper court à toute contestation, le gouverneur, à la date du 27 juillet 1785 (1), fit proclamer une ordonnance régulatrice des titres de propriété et protectrice du domaine de la couronne. L'exposé des motifs portait que l'occupation des terres sans titre légal et sans délimitation était contraire aux lois fondamentales des empires; que les colons espagnols étaient, par indolence et pauvreté, inhabiles à mettre en valeur les terres qu'ils s'étaient appropriées; et que la conséquence forcée de leur accaparement était l'inculture des terrains les plus fertiles de l'ile, en même temps que la provocation aux contestations et aux litiges. Le dispositif, en dix articles, statuait: 1° que les terrains non aliénés par un acte formel de concession, avec mesurage et délimitation, étaient déclarés propriété de la couronne; 2o que, dans les affaires pendantes, la pos

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, ch. Ix, p. 170.

session immémoriale était rejetée comme titre insuffisant de propriété; 3° que la concession gratuite des terrains dont les anciens colons auraient hérité, ou qu'ils auraient arbitrairement occupés, et qu'ils auraient cultivés et mis en valeur, leur serait accordée; 4o que, dans les cas où, comme cohéritiers, ces terrains leur auront été adjugés pour une somme déterminée, ils auront droit à une compensation; 5o que, si leurs térres étaient toutes incultes, il leur serait accordé un délai de trois mois pour obtenir la concession de celles d'entre elles qu'ils préféreraient conserver; 6° que le même délai de trois mois pour élire une terre de leur choix serait accordé à ceux qui, laissant à l'abandon leurs prétendues propriétés, étaient allés s'établir sur les terrains de la couronne; 70 que touté térre non cultivée pouvait être concédée, moyennant remboursement par le concessionnaire de la somme pour laquelle elle avait été acquise; 8° que le précédent article n'était pas applicable aux concessions faites aux nouveaux colons, lesquelles étaient soumises aux stipulations dé la cédule de colonisation; 9° que, dans les cas où les nouveaux colons deviendraient concessionnaires de terres réputées appartenant aux anciens colons, lesquelles auraient été afffermées, ces concessionnaires auraient à leur charge le paiement ou le rachat à leur gré de la redévance; 10o enfin que les concessionnaires des terres de la couronne auraient aussi à leur charge, d'après estimation, la valeur des cultures qu'ils y trouveraient (1). Cette ordonnance, à la fois si équitable et

(1) Voir à l'Appendice une traduction anglaise de cette ordon

nance.

si nécessaire, eut néanmoins le mauvais effet d'éloigner les anciens colons des nouveaux; ceux-là, qui n'étaient déjà que trop dominés par l'esprit exclusif de leur nation, ne s'en prirent pas au gouvernement de la perte de leur prétendues propriétés, mais en accusèrent les colons français, qu'ils affectèrent de regarder comme des spoliateurs (1). Il y a apparence qu'il se fit aussi bien des commérages au sujet de ces expropriations, car il se trouve, à la date du 27 novembre de la même année, un bando ou proclamation du gouverneur pour signifier aux nouveaux colons qu'ils avaient la faculté d'hypothéquer à leurs créanciers toutes leurs propriétés, maisons, plantations, esclaves, etc., sauf leurs embarcations sous pavillon espagnol, et qu'à défaut de paiement au terme fixé lesdites propriétés, sur les poursuites desdits créanciers, pouvaient être vendues dans les trois jours qui suivraient l'échéance (2).

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. IX, P. 172.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 93. Indépendamment de cette loi, où il n'est pas question de catégories de créanciers, M. E.-L. Joseph en mentionne une autre, en quelque sorte en opposition avec celle-ci, par laquelle les nouveaux colons auraient été mis à l'abri des poursuites de leurs créanciers de l'étranger pendant les cinq premières années de leur établissement à la Trinidad, et il en prend texte pour traiter ces nouveaux colons de banqueroutiers et de débiteurs frauduleux. Cette loi, d'abord, est apocryphe, puisqu'elle ne se trouve pas dans les archives du cabildo, qu'elle n'a pas été vue par M. E.-L. Joseph, et qu'elle ne se voit aujourd'hui nulle part; en second lieu, eût-elle réellement été édictée que nul ne saurait admettre qu'un répit de cinq ans accordé à des débiteurs accablés sous le poids de la dévastation de leurs plantations par les fourmis, de la baisse de leurs cafés et de la domination d'une

Les soins qu'avait le gouverneur pour les différentes races d'hommes qui formaient la population de l'ile ne le cédaient en rien à son impartialité relativement à leurs nationalités diverses. Nous avons déjà vu combien grande était la protection accordée aux esclaves par le code noir de 1789; celle dont jouissaient les libres noirs et de couleur, sous ce gouvernement paternel, était aussi considérable. La clause cinquième de la cédule de colonisation sur l'admission des nouveaux colons aux postes honorables de la milice fut aussi libéralement suivie à leur égard qu'à l'égard des blancs. Comme ceux-ci, après cinq années de domicile dans l'ile, ils étaient incorporés dans des compagnies de pardos, où ils parvenaient sans difficulté aux grades d'enseigne, de lieutenant et même de capitaine (1). Par ce relèvement social, la classe des libres ne tarda pas à acquérir dans le pays une véritable importance morale et matérielle. Quant aux Indiens, déjà si réduits en nombre dans leurs différentes missions, le gouverneur ne les négligea pas non plus. Pour les grouper en nombre suffisant sous la surveillance d'un corrégidor et les soins spirituels d'un curé, il réunit les missions d'Aricagua, Tacarigua et Arauca à celle d'Arima, et celles de Monserrate, Savaneta et Naparima à celle de Savana-Grande (2). Aux Caraïbes noirs de Saint-Vincent, venus à la Trinidad

nation hostile, soit équivalente à une prime offerte à la fraude. Une aussi injuste appréciation d'une loi aussi douteuse ne peut déshonorer que celui qui s'en rend coupable.

(1) Gree Mulatto, Addreess to Earl Bathurst, App., A, p. 221.

(2) Id., ibid., p. 166.

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