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en 1786 pour y chercher un abri contre leurs oppresseurs, il accorda aussi, quoique avec quelque répugnance, un refuge à la Bande-de-l'Est (1), sur la belle baie de Salibia, ainsi appelée du nom d'un quartier de leur île; mais ils n'y firent pas un long séjour, et, en 1795, ils regagnèrent leur pays, à l'appel de leur cacique Chatoye, qui avait levé l'étendard de la révolte (2).

La grande question des terres de la couronne une fois réglée, Don José María Chacon s'occupa de travaux publics. La nouvelle capitale, siège du gouvernement, eut nécessairement ses premiers soins. La ville s'étendant de jour en jour, il lui fallut adopter un plan d'ensemble pour la régularité de son développement. Une étendue de terrain, variant de deux cents à trois cents pieds de large, fut laissée vacante le long du rivage pour servir de plaza de armas ou champ de manœuvres à la garnison, et les rues déjà existantes furent redressées, nivelées et pavées comme elles l'étaient partout à cette époque, avec le ruisseau au milieu. Ces rues, ouvertes du sud au nord et aboutissant aux terrains marécageux de l'embouchure de la rivière de Tragarete, aujourd'hui rivière de Sainte-Anne, devinrent bientôt insuffisantes pour les besoins d'une population rapidement croissante. Il fallut allonger les anciennes et en ouvrir de nouvelles sur ces terrains marécageux, et, pour cela, changer le cours de la rivière de l'ouest à l'est, au pied des collines de Laven

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 95.

(2) Bryan Edwards, History of the war in the W. Indies, t. IV, chap. v, p. 4.

tille. De cette manière, la ville était à la fois assainie et libérée, vers l'ouest et vers le nord, de toute entrave à son développement régulier. En portant ce projet à la connaissance du cabildo, à sa première séance de l'année 1787 (18 janvier), le gouverneur fit savoir que le roi ferait l'avance des fonds nécessaires à l'emploi des 638 esclaves et des 405 libres de couleur que présentent les registres de la ville, et que ces hommes travailleraient par corvées réglées sous la direction de l'ingénieur en chef, Don José del Pozo (1). On ouvrit un grand fossé d'un mille et demi de long au prix de trois mille six cents dollars, dont mille, furent avancés de la bourse particulière de notre généreux gouverneur (2). Ce fossé, lavé chaque hivernage par les débordements de la rivière, est aujourd'hui un lit, vaste et profond, appelé Rivière-Sèche. La ville, gagnant toujours en importance, fut alors divisée en cinq barrios (3) ou arrondissements, présidés chacun par deux alcades de barrio nommés par le cabildo, mais ne participant pas à ses délibérations; ils exerçaient les fonctions de juges de paix.

En même temps, le gouverneur s'occupa des constructions civiles et militaires. La ville s'étendant à l'occident, et l'embarcadère de la Puntilla étant devenu insuffisant pour les besoins de son commerce, il fit construire dans l'axe de la dernière rue, à l'ouest, aujourd'hui rue

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., P. 98.

(2) Id., ibid., p. 102.

(3) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. IX, P. 173.

Frederick, un môle de 700 pieds français de long sur 30 de large, avec un quai en croix, à son extrémité, de 50 pieds de long sur 30 de large, le tout sur poteaux de bois de pouïs (1); ce môle est en partie encore indiqué aujourd'hui par l'allée des Amandiers. Pour sa protection, il éleva en mer, vers les trois quarts de sa longueur, une batterie en demi-lune à laquelle il se reliait par un pont-levis; cette batterie se voit encore sur notre quai actuel. Pour la défense de la ville, il éleva aussi, sur les premières assises des collines de Laventille, une autre batterie, dite no 1, avec un apostadero ou avant-poste, dit no 2 (2); les ruines de ces deux fortifications existent encore. Sur le côté oriental de la rue Sainte-Anne, aujourd'hui Charlotte, il fit aussi construire des bâtiments pour le service public, depuis le coin du bord de la mer jusqu'à celui de la première rue de traverse. Le gouvernement, le trésor et tous les bureaux de l'administration formèrent un massif de maçonnerie au coin du bord de mer; à l'autre coin s'élevèrent les casernes et la prison, également en maçonnerie. Entre les deux coins, il fit construire le tribunal et la salle des séances du cabildo (3). Plusieurs autres travaux urgents, tels que la construction d'une prison et d'un théâtre, la conduite en ville de l'eau de la rivière de Sainte-Anne (4), etc., furent alors ajour

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 102.

(2) Voir à l'Appendice la dépêche du gouverneur Chacon. (3) Tradition de famille.

(4) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., pp. 92, 104, 107.

nés et ne purent être exécutés sous cette administration.

La ville de Saint-Joseph, l'ancienne capitale si abandonnée de l'île, fut aussi l'objet de la sollicitude du gouverneur. C'était toujours là que les Espagnols continuaient à vivre de préférence; le petit nombre de ceux qui habitaient le Port-d'Espagne étaient, en général, des marchands de papelones et d'oiseaux chanteurs (1). Don José María Chacon en fit dégager et nettoyer les abords, et en fit réparer les rues. Il y fit aussi construire des casernes pour recevoir une partie d'un régiment d'infanterie que le roi Charles III, en appelant les étrangers dans la colonie, avait cru devoir y faire tenir garnison (2). Pour faciliter les communications entre les deux villes, il fit ouvrir un grand chemin carrossable de six milles de long, et, vers le milieu de la longueur de ce chemin, et au débouché de la belle vallée de Santa-Cruz, il établit aussi sur un riant plateau, au pied duquel coule la jolie rivière d'Aricagua, un village qu'il appela San-Juan (3) ou Saint-Jean, son église ayant été dédiée à Saint-Jean-Baptiste. Le gouverneur eut, en même temps, le projet d'établir une troisième ville à la pointe Brea, dans le but de faciliter le commerce de l'ile avec la Côte-Ferme, et l'exploitation du lac d'asphalte (4); mais il dut renoncer à ce site et bâtir la ville tout au fond de la grande baie de

(1) De Léry, Mémoire sur l'ile de la Trinité, 1786, ms. (2) Thompson's Alcedo's Dictionary, art. Trinidad.

(3) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. IX, p. 173.

(4) De Léry, Mémoire sur l'ile de la Trinité, 1786, ms.

Naparima, sur l'emplacement de l'ancienne mission déserte de la Purisima Concepcion de Nuestra Señora. Il l'érigea en paroisse le 25 octobre 1786, et lui donna le nom de San-Fernando ou Saint-Ferdinand, en l'honneur du prince infant des Asturies, né à Madrid le 14 octobre 1784, lequel fut, par la suite, le roi Ferdinand VII d'Espagne (1).

Pendant que le gouverneur veillait à tous ces travaux publics, il s'occupait activement de l'organisation administrative de l'ile. Un de ses premiers soins fut de diviser son territoire en partidos ou circonscriptions (2), nommées «< quartiers » par les nouveaux colons; ces quartiers sont ceux qui sont encore aujourd'hui en existence sous la dénomination anglaise de wards. Pour les gouverner, il choisit un « commandant de quartier » parmi les notabilités de chacun d'eux, dont les fonctions étaient gratuites et dont les pouvoirs étaient ceux d'un alcade en ordinario. Ces commandants étaient des lieutenants » du gouverneur, et n'avaient de compte à rendre de leur gestion qu'à lui seul (3). Comme délégués du gouverneur, ils avaient à leur charge toute l'administration de leurs quartiers, et, comme alcades, ils étaient juges de police correctionnelle et juges de paix. Les peines qu'ils appliquaient étaient le fouet, les grillos ou fers, les cepos ou ceps et les amendes; aux esclaves seuls était infligée la pre

(1) Free Mulatto, Address to Earl Bathurst, note, p. 126. (2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 109.

(3) Voir aux notes de ce chapitre la proclamation de Chacon.

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