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CHAPITRE XII

VIOLATION DE LA NEUTRALITÉ DE L'ESPAGNE A LA TRINIDAD. DÉCLARATION DE GUERRE A L'ANGLETERRE

(1796)

Le formidable armement préparé par l'Angleterre, en 1795, pour la pacification des îles françaises, et la conquête des établissements hollandais de la Guyane et des îles espagnoles de la Trinidad et de Porto-Rico, ne put parvenir à la Barbade, contrarié par le mauvais temps, qu'au mois d'avril de l'année suivante. La flotte expéditionnaire, commandée par l'amiral Christian, comptait, entre navires de guerre et transports, audelà de deux cents voiles, portant vingt-cinq mille hommes de troupe, sous les ordres de Sir Ralph Abercromby, général très estimé qui devait s'illustrer plus tard en Égypte, à la bataille d'Alexandrie, où il perdit la vie. Le général avait précédé l'expédition, et, dès le 14 février, était arrivé à la Barbade, avec son étatmajor, à bord de la frégate Arethusa (1).

La Hollande ayant déjà déclaré la guerre à l'Angleterre, le premier soin de Sir Ralph Abercromby, en

(1) Bryan Edwards, History of the war in the W. I., t. IV, chap. vi, p. 51 et seq.

recevant ses premières troupes, fut de diriger une expédition contre ses colonies continentales; elle se composa de quatre frégates et d'un nombre de transports suffisant pour un corps de douze cents hommes, duquel il confia le commandement au major-général Whyte. L'entreprise n'offrit aucune difficulté, ces établissements se trouvant alors sans aucun moyen de résistance; ils capitulèrent, Demerari et Essequibo le 22 avril, et Berbice le 2 mai suivant. Immédiatement après, le général dirigea une autre expédition contre l'île de Sainte-Lucie qui se défendit vaillamment devant des forces infiniment supérieures et capitula le 26 mai. Puis il s'occupa des révoltés de Saint-Vincent et de la Grenade, où les troupes anglaises débarquèrent les 8 et 9 juin suivant. Ces intrépides défenseurs de leur nationalité succombèrent aussi sous le nombre de leurs ennemiş, mais à la longue; et, après avoir successivement perdu toutes leurs positions, ils leur firent, pendant plusieurs mois encore, une rude guerre de partisans (1).

Cette guerre était entretenue par les corsaires de Victor Hugues, qui fournissaient aux révoltés des approvisionnements de guerre et de bouche (2). Pour la faire cesser, il était indispensable aux Anglais de détruire ces corsaires; le soin en fut confié à la frégate Alarm, de trente-deux canons, capitaine Vaughan, accompagnée de la corvette Zebra, de vingt canons, capitaine Skinner.

(1) Bryan Edwards, History of the war in the W. I., t. IV, chap. VI, p. 54 et seq.

(2) Id., ibid., t. IV, chap. v, p. 11.

Les deux navires les dénichèrent des criques où ils s'abritaient, et les pourchassèrent du dédale des îlots Grenadins, où ils se retiraient lorsqu'ils étaient attaqués par des forces trop supérieures; ils furent contraints de venir se réfugier dans les eaux neutres du golfe de Paria, poursuivis par l'ennemi. Lå ils se crurent en sûreté ; mais ce refuge, excellent si la neutralité de l'île était respectée, devenait une souricière si les Anglais n'en tenaient pas compte, et ils n'en tinrent pas compte. Pendant que la frégate louvoyait le long des Bouches pour en fermer le passage, le commandant de la corvette eut la mission de se rendre auprès du gouverneur Chacon, pour lui remettre des dépêches du capitaine Vaughan lui demandant l'autorisation de détruire les pirates français dans les eaux de son gouvernement. Le capitaine Skinner arriva la nuit en rade du Port-d'Espagne, et obtint immédiatement audience du gouverneur, qui ne voulut pas accepter la responsabilité de cette violation du droit des gens. Mais peu importait au capitaine le succès de sa démarche, le sort des malheureux corsaires ayant été arrêté quand même. Il prit aussitôt congé du gouverneur, s'en retourna aux Bouches par où il était entré sans avoir été aperçu, et le matin, au point du jour, canonna les corsaires pris à l'improviste. Ils furent tous détruits, sauf les équipages, qui purent se sauver et gagner le Port-d'Espagne (1). .

(1) M. E.-L. Joseph (History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 179) a tout un conte d'enfant sur cet évènement. Il dit qu'un navire anglais, la Mary, chargé de cacao en rade du Port-d'Espagne, n'osait pas se rendre à sa destination de peur d'être pris par les corsaires français; que la corvette Zebra, entrée la nuit

C'est ainsi que, coûte que coûte, les Anglais surent atteindre leur but.

Cet acte de guerre, déjà bien répréhensible par luimême, fut encore aggravé par l'imprudence du capitaine Vaughan. A la nouvelle de la destruction des corsaires français, le chef de l'expédition, après avoir dépêché la corvette aux iles de Sous-le-Vent, crut devoir se rendre auprès du gouverneur Chacon pour justifier la conduite de son lieutenant, et peut-être aussi pour reconnaître le pays, qui ne devait pas tarder à être attaqué par les armes anglaises. Aux yeux des marins français, cette démarche eut une apparence d'ironie; elle eut surtout le tort de mettre en présence ces vaincus de la veille, sans pain et sans asile, et ces vainqueurs par lesquels ils avaient été si cruellement et si injustement maltraités. Mais le capitaine Vaughan ne se préoccupa nullement de sa position équivoque au Port-d'Espagne ; il était téméraire, et, pour imposer, il croyait qu'il suffisait d'être audacieux. Aussitôt arrivé en rade, il obtint audience du gouverneur; puis il se mit à visiter les quelques Espagnols et Irlandais de la ville. Ses officiers débarquèrent à leur tour, et, à son exemple, visitèrent leurs compatriotes; les jours suivants, à tour de rôle,

dans le golfe sans avoir été aperçue, avait été prise pour la Mary par les corsaires qui l'avaient attaquée, et que la corvette, démasquant alors ses batteries, les avait coulés à fond, brûlés ou échoués, au nombre de sept à huit. Ce racontar ne supporte pas l'examen; on ne saurait admettre que l'œil exercé de plus de deux cents loups de mer ait pu prendre une corvette pour un bâtiment marchand. Il n'a été évidemment inventé que pour donner une couleur honnête à un acte de guerre injustifiable.

ils passèrent la soirée à terre, pendant que les équipages de leurs chaloupes, en attendant leur retour, garnissaient les abords de la jetée (1).

Mis ainsi en contact, les adversaires ne tardèrent pas à se mesurer. Dans la soirée du 8 mai, les officiers de l'Alarm, se trouvant chez une dame Griffith dont la maison était située à l'entrée de la rue aboutissant à la jetée, aujourd'hui rue Frederick, les marins français et anglais se prirent de querelle. Aux insultes succédèrent les coups, et une rixe générale s'engagea. Au bruit de la bataille, les officiers coururent au secours de leurs hommes et dégaînérent; de leur côté, les corsaires, en grand nombre et en armes, volèrent se ranger à côté de leurs camarades. Les Anglais, coupés de leurs chaloupes, et attaqués par des forces supérieures grossissant de minute en minute, prirent le sage parti de battre en retraite sur la maison formant le coin de la rue, où ils se retranchèrent, et furent assiégés par les Français. Jusqu'alors, pas une goutte de sang n'avait coulé; mais bientôt partirent des coups de feu des fenêtres et de la rue, et le chirurgien de la frégate eut le malheur d'être atteint. Ces détonations mirent la ville en émoi, et une foule, hostile aux Anglais, se précipita sur le théâtre de la lutte; il n'y avait plus un seul instant à perdre pour les arracher à une mort certaine. Au même moment, par bonheur, se présentèrent sur le

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 180. Tous les détails de la visite du capitaine Vaughan ne se trouvent que dans cet auteur, qui dit les tenir de plusieurs anciens habitants de l'île.

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