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champ de bataille des troupes espagnoles de la garnison qui, en se formant à la droite et à la gauche des assaillants, les isolèrent de la multitude envahissante (1). Ces troupes, assemblées à la hâte par ordre du gouverneur, étaient commandées par Don Juan Jurado de Lainés, auditeur de guerre et assesseur des revenus royaux (2).

Après avoir ainsi isolé les assaillants, Don Juan Jurado pénétra dans la maison assiégée et se mit à les haranguer de l'une de ses fenêtres, non dans le but de les apaiser (ils étaient trop avides de vengeance pour cela), mais dans l'espoir de produire une diversion qui permît aux Anglais de se dérober à leurs ennemis en franchissant un mur de clôture, et de gagner leurs chaloupes. Le stratagème eut un plein succès; sauf le chirurgien blessé qu'on coucha dans une chambre de la maison, tous les Anglais réussirent à s'embarquer sans être aperçus. Les paroles de l'auditeur de guerre furent souvent couvertes par les cris tumultueux de : Mort aux Anglais! Ouvrez les portes! ouvrez les portes, ou nous les enfonçons! » Quand il sut les Anglais hors de tout danger: « On vous les ouvrira, s'écria-t-il alors, et vous verrez que la maison a été évacuée; vous n'y trouverez en fait d'Anglais qu'un homme digne de tous vos respects, puisqu'il est blessé. » Les portes farent aussitôt ouvertes, et la maison envahie. L'obscurité s'étant faite, on se procura des lumières; toutes les chambres,

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, P. 181.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 156.

tous les réduits de la cour et de la maison furent minutieusement, mais inutilement fouillés, et les corsaires, trompés dans leur attente, se retirèrent au chant de la Marseillaise (1). Inutile d'ajouter que le blessé fut respecté. Le service rendu par Don Juan Jurado dans cette circonstance lui valut un vote de remerciment de la part du cabildo, où il est dit que le « tumulte de la nuit du 8 mai fut apaisé « par ses efforts personnels et par les sages dispositions prises par lui (2). »

A la nouvelle de ce qui n'était que le fruit de son imprudence, mais de ce qu'il estima être un outrage à şon pavillon, le capitaine Vaughan fut transporté de colère. Ardent et impétueux de sa nature, il avait combattu avec acharnement les républicains de Victor Hugues dans les îles révoltées de Sainte-Lucie, de SaintVincent et de la Grenade, et il s'indignait de voir les débris de ces vaincus oser venir s'attaquer à lui à la Trinidad. Immédiatement il résolut d'en tirer une éclatante vengeance. La même nuit, il ordonne le branle-bas de combat et fait les dispositions nécessaires à un débarquement au point du jour; les chaloupes sont armées et mises à l'eau, et les hommes, matelots et soldats, au nombre de deux cent quarante à deux cent cinquante, rangés en bataille sur le pont, leurs officiers en tête. Avant l'aube, le signal est donné; les hommes sont embarqués et les chaloupes mises en

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, P. 181.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 163.

ordre de marche. La flottille s'avance en silence, et, aux premières lueurs de l'aurore, jette sur le rivage tous les hommes de la frégate, armés jusqu'aux dents. On dit que, dans sa sollicitude à grossir autant que possible le nombre de ses combattants, il commit la seconde imprudence de dégarnir sa frégate de monde, à ce point qu'il eût été facile à un détachement de ses adversaires de s'en emparer sans coup férir (1).

Aussitôt les Anglais débarqués, un piquet de quatre hommes, commandé par l'officier de garde au fort de la rade, s'avança vers eux pour arrêter leur marche, s'il était possible, ou protester du moins contre leur violation des lois internationales. Sourd à ces remontrances, le capitaine Vaughan, toujours enflammé de colère, se contenta de lui répondre qu'il venait châtier la canaille française pour avoir maltraité ses officiers et matelots. Eh bien! lui dit alors l'officier espagnol, puisque les forces que je commande sont impuissantes à prévenir l'outrage que vous faites à mon pavillon, je me constitue votre prisonnier et vous rends mon épée. Ces nobles paroles n'eurent pas le pouvoir de calmer l'irascible capitaine, qui dégaìna son épée et donna le commandement de marcher sur la ville; la petite troupe espagnole fut poussée de côté, et les Anglais se mirent en marche, musique en tête, enseignes déployées. En ce moment la ville entière, avertie du débarquement des Anglais, était sur pied, les marins français s'armant à la hâte pour repousser la force par

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 182.

la force, et les notables français, anglais et espagnols se portant au devant de l'agresseur pour tâcher d'arrèter sa téméraire entreprise. Les Irlandais et Anglais surtout se montrèrent douloureusement affectés de la violation du territoire de l'île; ils lui représentèrent tout le mal que sa conduite pouvait attirer sur eux et leurs familles si les marins français se portaient à des représailles après son départ, et le pressèrent d'abandonner son entreprise et de s'en retourner à son bord. Mais ce sage conseil ne fut pas plus écouté que les belles paroles de l'officier espagnol. Le commandant de l'Alarm fut inflexible; las des obsessions de ses nationaux, il commanda un roulement de tambour qui couvrit leur voix, et, reprenant sa marche, pénétra dans la ville, qu'il se mit à parcourir dans toute sa longueur (1).

Pendant ces pourparlers, les marins français, accompagnés de leurs amis et compatriotes indignés de l'attaque en règle des Anglais sur territoire neutre, avaient eu le temps de se ranger en bataille en dehors de la ville, sur la rive droite de l'ancien cours bourbeux de la rivière de Sainte-Anne, position admirablement choisie pour se couvrir en cas d'une attaque à la baïonnette. Ils comptaient, en tout, de trois à quatre cents hommes (2); bien décidés à attendre l'ennemi de

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x,

p. 182.

(2) Tradition. M. E.-L. Joseph rapporte toute cette affaire comme étant survenue entre les Anglais d'une part, et la population française de la ville de l'autre, ce qui n'est pas le cas. On lit dans les Archives du Cabildo, p. 162, que le démêlé eut lieu

pied ferme, ils avaient déployé le pavillon national et s'étaient décorés de la cocarde tricolore. De son côté, le gouverneur Chacon avait, lui aussi, eu le temps de mettre sur pied une compagnie de soldats à la tête de laquelle il s'était placé, pour tâcher d'arrêter la bataille qui devenait inévitable, et, par une manoeuvre habile, en passant par une rue de traverse, il était venu se mettre entre les deux corps ennemis, juste au moment où ils allaient en venir aux mains. Faisant alors face aux Anglais, et s'adressant dans sa propre langue au capitaine Vaughan, afin d'être bien compris de lui, il lui reprocha sa conduite outrageuse envers le pavillon espagnol dont il violait la neutralité. Passant ensuite à des considérations d'un autre ordre, il lui rappela que l'île entière, villes et campagnes, n'était peuplée que de Français, et que le premier coup de fusil parti de ses rangs pouvait être le signal d'un massacre général des Anglais et des Espagnols, les premiers parce qu'ils auraient été attaqués par leurs compatriotes contrairement au droit des gens, et les seconds parce qu'ils les considéraient comme les complices des premiers, ne

<< entre les équipages des navires de guerre anglais et français. >> Pour appuyer cette assertion erronée, il porte le nombre des Français qui acceptèrent la lutte avec les Anglais à trois ou quatre mille hommes, chiffre représentant, à peu de chose près, la totalité de la population de la ville à cette époque, hommes, femmes, enfants, vieillards et esclaves compris. Et comme une aussi grande exagération pourrait surprendre, il ajoute naïvement que les Français s'étaient fait suivre de leurs esclaves « qu'ils avaient armés avec une rapidité incroyable » (in an incredibly short

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