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vice de l'Angleterre, faisaient partie de l'expédition (1). Cette force, déjà considérable, pouvait encore s'augmenter, en cas de nécessité, d'une partie des marins de l'escadre.

L'expédition partit de Fort-de-France le 12 février, à destination de Cariacou, l'un des îlots grenadins, comme point de ralliement. Le 15, dans la matinée, elle mit à la voile pour la Trinidad, et le lendemain matin se trouva en vue des Bouches du Dragon (2). En peu de temps la nouvelle parvint au Port-d'Espagne, où se trouvait l'amiral Apodaca, de la présence de l'escadre anglaise dans les eaux de l'île, et l'amiral, après avoir conféré avec le gouverneur sur la situation, se rendit à son bord. On ignore ce qui se passa dans cette entrevue secrète; mais tout porte à croire que les deux chefs jugėrent la position désespérée, le gouverneur Chacon parce qu'il avait pris depuis longtemps la détermination de ne pas défendre la colonie contre les Anglais (3), et l'amiral Apodaca parce qu'il se voyait placé entre une fuite honteuse par la Bouche du Serpent et une bataille navale trop inégale pour sa bravoure (4). Ce dernier, rendu à son bord, crut éviter ha

(1) Entre autres le lieutenant-colonel Gaudin de Soter. Voir à l'Appendice la dépêche du général Abercromby. (2) Voir la même dépêche.

(3) Colonel Draper, Address to the British public, p. 36, dans un mémoire de Don Christoval de Robles adressé au colonel Picton.

(4) M. E.-L. Joseph (History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 191) prétend que Chacon, jugeant, on ne sait pourquoi, la fuite impossible par la Bouche du Serpent, donna à Apodaca le

bilement l'une et l'autre de ces fâcheuses extrémités en assemblant en conseil de guerre les cinq capitaines de sor escadre, et en décidant avec eux, à l'unanimité, de livrer aux flammes ses navires, pour les empêcher de tomber aux mains de l'ennemi. Mais le calcul était faux, la destruction précipitée d'une escadre étant, plus encore que sa fuite, contraire à l'honneur militaire.

Pendant ce temps, l'escadre anglaise, pilotée par un Africain du nom de Sharper, était à lutter contre les courants de la Grande-Bouche, pour pénétrer dans le golfe (1); elle ne parvint à la franchir qu'à trois heures et demie de l'après-midi. En remontant vers la ville, l'amiral Harvey découvrit l'escadre espagnole dans la baie de Chaguaramas; mais comme la journée était déjà très avancée, il décida de ne lui livrer bataille que le lendemain matin. I disposa alors ses forces de la manière suivante: à la frégate Arethusa et aux corvettes Thorn et Zebra il ordonna de remonter un peu plus haut vers la ville, probablement au delà des ilots de las Cotorras ou les Perroquets, et de se mettre à l'ancre avec les transports, et à la frégate Alarm et aux corvettes Favourite et Victorieuse de rester sous voiles pendant la nuit entre les transports et la ville, de manière à empêcher les navires de la rade d'en sortir; puis, à la tombée du jour, il mouilla avec ses vaisseaux de ligne, en ordre de bataille, devant l'escadre ennemie, à portée des projectiles du fort et des vaisseaux, pour

conseil dérisoire de passer à travers l'escadre anglaise, et d'aller couler à fond ses transports pour faire avorter l'expédition. (1) M. E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, ch. x1,

P. 191.

mieux la surveiller et l'empêcher de se dérober pendant la nuit (1). Nous avons déjà vu combien cette précaution était inutile. Ces habiles dispositions témoignent d'une connaissance parfaite des lieux.

Au Port-d'Espagne, la journée, comme on le pense bien, fut des plus agitées. Prévu depuis plus d'un an, le jour de l'attaque de la colonie par les Anglais était enfin arrivé sans que le gouverneur eût fait encore aucuns travaux ou pris aucunes mesures pour sa défense. Contrairement à sa parole, il était resté dans une inaction complète, même après qu'il eut retenu les troupes et l'escadre espagnoles; les batteries et redoutes de la ville n'étaient même pas encore achevées (2). Les colons français, n'entendant pas se laisser livrer ainsi aux Anglais pieds et poings liés, et voulant se défendre, se rendaient en foule auprès de lui pour le supplier de commencer à organiser enfin des moyens défensifs. A tous il ne répondait uniformément que par cette seule interjection Poco a poco, señores! poco a poco! (3) (doucement, doucement, messieurs!). Au consul français, qui alla le trouver pour lui conseiller d'armer la population, et à d'autres qui réclamaient l'appel de la milice sous les armes, il ne répondit que par la même interjection stéréotypée sur ses lèvres: Poco a poco, señores! poco a poco! Disciple de l'avocat Patelin, il évitait ainsi de faire des réponses qui pussent le compromettre; évidemment, il était décidé à ne pas se mou

(1) Voir à l'Appendice la dépêche du général Harvey.
(2) Voir à l'Appendice la dépêche du gouverneur Chacon.
(3) Tradition populaire.

voir (1). Devant cette immobilité agaçante du gouverneur en face de l'imminence du péril, une exaltation fiévreuse s'empara de la population; les cris: « A la trahison aux armes ! » retentirent de toutes parts. Les rues s'emplirent d'hommes indignés, et de femmes et d'enfants éplorés. Alors s'élevèrent à la fois mille clameurs tumultueuses; aux imprécations et aux menaces se mêlèrent les plaintes et les gémissements (2). Au milieu de cette violente excitation, Chacon, lui seul, demeura impassible. Résolu de se jeter dans les bras de l'ennemi par peur des républicains, plus la population se montrait turbulente, et plus il se fortifiait dans sa détermination. Par précaution il se borna à envoyer les archives et le trésor à Don José Mayan, teniente juslicia Mayor de Saint-Joseph, sur la cacaoyère duquel ils furent enterrés (3), et à donner secrètement aux Anglais et Espagnols de la ville le conseil de se retirer, avec leurs familles et objets précieux, dans l'ancienne capitale de l'île (4). Précaution bien inutile, car, disonsle à l'honneur de la population, il ne se commit alors aucune violence, ni contre les personnes, ni contre les propriétés (5).

La même agitation tumultueuse continua pendant la nuit du 16 au 17. Aux allées et venues de ceux qui parcouraient la ville pour chercher à organiser une ré

(1) Draper, Address to the British public, p. 36.

(2) Tradition de famille.

(3) Id.

. (4) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 190.

(5) Tradition de famille.

sistance à l'ennemi, s'ajoutèrent les pas de ceux qui la fuyaient pour aller chercher un refuge à Saint-Joseph, et de ceux qui la traversaient emportant leur argent, leurs bijoux et leurs objets précieux, pour les mettre à l'abri d'un pillage possible. Pendant que la population tout entière se livrait à ces pénibles occupations, une grande lueur qui apparut tout à coup derrière la PuntaGorda, vers les deux heures du matin, vint jeter la consternation dans son sein. Tout le monde comprit aussitôt que c'en était fait de la belle escadre espagnole et que, sur mer comme sur terre, les autorités avaient renoncé à toute idée de défense. C'étaient, en effet, ces superbes vaisseaux qui, toutes voiles déployées comme pour lever l'ancre, se consumaient lentement par une des nuits les plus calmes de nos régions. On dit que ce fut Apodaca en personne qui présida à l'arrangement des matières inflammables sur le pont de son vaisseau amiral, et commanda d'y mettre le feu, et que tous ses lieutenants imitèrent son exemple honteux (1). Pendant trois heures l'escadre anglaise demeura spectatrice étonnée de cette conflagration qui, en faisant disparaître la nécessité d'une attaque combinée par mer et par terre, enlevait toute difficulté à la prise de l'ile. Quand le jour se fit, toute l'escadre espagnole était consumée, sauf le vaisseau San-Damaso, où le feu ne s'était pas propagé, et que les chaloupes anglaises remorquerent aussitôt dans leurs lignes. Au même instant, un détachement du régiment de la reine s'en alla tranquil

(1) Tradition, et E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 192.

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