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lement occuper la batterie de l'ilet de Gaspar-Grande, abandonnée comme les vaisseaux pendant la nuit (1).

Immédiatement après, le général Abercromby, délivré du souci d'une bataille navale, se rendit à bord de la frégate Arethusa, mouillée avec les transports, pour présider au débarquement, qui se fit à la pointe de Mucurapo, à une petite lieue du Port-d'Espagne, sur une sucrerie appelée le Pérou, appartenant à une famille irlandaise du nom de Devenish (2). Le lieu ne pouvait être plus mal choisi: en cet endroit, une basse marécageuse très-avancée en mer s'étend le long des terres et en interdit l'approche aux chaloupes. Celles de débarquement s'envasèrent à une distance considérable de la plage, et les troupes, pour la gagner, eurent à faire une marche des plus pénibles de plusieurs centaines de pas dans la boue jusqu'aux genoux. En ce moment, la moindre résistance eût pu leur être fatale; mais il n'y en eut aucune, et elles purent toucher au rivage sans danger, protégées par le feu de la corvette Favourite (3). En même temps, et pour faire diversion, la frégate Alarm jetait quelques projectiles dans la direction de la batterie de la rade, qui répondait à son feu, mais sans succès (4); ce fut là la seule prétendue opposition que rencontrèrent les Anglais. On raconte

(1) Voir à l'Appendice les dépêches de Harvey et d'Abercromby.

(2) Tradition, et E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 193.

(3) Tradition, et E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 194.

(4) Voir à l'Appendice la dépêche de Chacon.

que, à leur arrivée aux bâtisses d'exploitation du Pérou, tout accablés de fatigue de leur marche forcée dans la vase, ils trouvèrent un ingénieux moyen de réparer leurs forces dans le puits de la sucrerie ils vidèrent deux boucauts de sucre et trois de rhum, et ce grog gigantesque, puisé au moyen de sceaux suspendus à des cordes et versé dans des baquets, servit à rafraîchir le corps expéditionnaire tout entier (1).

Le gouverneur Chacon, dont l'intention évidente était de capituler sans se battre, comme avaient fait les gouverneurs des établissements hollandais de la Guyane, commença à être inquiet à la nouvelle du débarquement sans sommation préalable; il eut peur de faire subir à la ville, par sa faute, le sort d'une place prisé d'assant. Il se décida alors à faire une démonstration, mais vraisemblablement dans le but d'arriver à des pourparlers. A la foule qui assiégeait nuit et jour le gouvernement pour avoir des armes, il ordonna enfin d'ouvrir l'arsenal (2), et peu après, il commanda au lieutenant de frégate Don Juan Tornos de prendre un détachement de troupes pour aller faire une reconnaissance. Le détachement ne se mit en marche que vers cinq heures de l'après-midi, appuyé par le reste du bataillon commandé par le lieutenant colonel Don Francisco Carabaño; il découvrit bientôt l'avant-garde des forces anglaises marchant sur la ville, et se replia sur le bataillon qui, sur l'ordre du gouverneur, alla se placer

(1) Tradition, et E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 193, note.

(2) Id., ibid., p. 194.

sous la protection de la redoute no 1, derrière la Rivière-Sèche, où il arriva à cinq heures et demie (1). Tel fut le seul acte militaire de Don José María Chacon, et il ne fut entrepris vraisemblablement que dans l'espoir de faire accroire à l'ennemi qu'il s'était décidé à lui résister, et d'obtenir, par cette ruse de guerre, la capitulation, objet de ses désirs. Quant aux volontaires, armés à la onzième heure, et par conséquent sans chefs et sans organisation, après avoir accompagné les troupes espagnoles dans leur reconnaissance, sous la conduite du lieutenant Pio Ponte (2), ils ne jugèrent pas utile, à leur retraite, de se mettre avec elle sous le couvert des redoutes, et se répandirent en tirailleurs dans la campagne, pour harceler l'ennemi. Il n'y eut que les

(1) Voir à l'Appendice la dépêche de Chacon. M. E.-L. Joseph (History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 191), avec une science militaire plus que suspecte, prétend que les troupes espagnoles ont dû se replier sur la redoute, pour ne pas être prises en flanc par l'ennemi. Il est évident au contraire que, forcé de longer la côte pour se rendre de Mucurapo au Port-d'Espagne, l'ennemi a constamment présenté le flanc gauche à une troupe qui aurait débouché de la vallée de Maraval ou de celle de Sainte-Anne.

(2) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI. p. 194. Cet écrivain, qui ne perd jamais une occasion de flétrir ceux qu'il appelle les « républicains, » s'est plu à les représenter comme d'ignobles fanfarons qui n'auraient pris les armes que pour les voler; puis, avec sa naïveté ordinaire, il déclare ne pas comprendre pourquoi des hommes qui avaient fait preuve d'une bravoure féroce contre les Anglais dans les autres Antilles ont pu ètre aussi lâches à la Trinidad. Il néglige, toutefois, d'ajouter que ce furent ces mêmes « républicains » qui, neuf mois auparavant, bravèrent le capitaine Vaughan et toutes les forces de sa frégate.

navires français qui continuèrent à rester en corps avec les troupes espagnoles (1).

Les chasseurs allemands, qui formaient l'avant-garde des forces anglaises, gagnèrent sans opposition aucune les pentes douces des collines de Laventille, et s'établirent, infanterie et artillerie, sur des plateaux dominant la position des Espagnols, et la prenant à revers. L'arrière-garde du corps d'armée, de son côté, pénétra dans la ville sans être aussi le moindrement inquiétée, prenant encore à revers la redoute de la rade, et coupant toute communication entre cette redoute et celle de Laventille; et le centre s'établit dans la banlieue de la ville, pour en garder les approches. En même temps, les frégates et les corvettes de l'escadre se mirent à louvoyer dans la rade, prêtes à foudroyer la ville en cas de nécessité; il n'y eut, hélas ! à leur opposer, que le petit corsaire français le Patriote. Avant huit heures du soir, toutes les forces espagnoles se trouvèrent ainsi cernées. Ces dispositions prises, le général Abercromby, certain que sa proie ne pouvait plus lui échapper, envoya au gouverneur un officier parlementaire avec le message verbal suivant: Dites au gouverneur que je vois avec peine qu'il ne lui reste plus aucun espoir d'obtenir ce qu'il désire; que la supériorité incontestable de mes forces m'a rendu maître de la ville et m'a permis de cerner ses troupes par terre et par mer, de manière à leur enlever par la possession des hauteurs toute communication et tout secours; qu'avec des forces aussi inégales il n'y a pas de résistance

(1) Voir plus loin et à l'Appendice l'art. 1er de la capitulation.

possible et que, plutôt que de verser inutilement du sang, je lui demande de me désigner un endroit où nous pourrons conférer ensemble, et lui offre la capitulation la plus honorable qui se puisse accorder å de bons et fidèles soldats qui, autrement, seraient sacrifiés (1). » On ne saurait être plus courtois et plus habile à la fois.

Après deux longues journées d'anxiété, le gouverneur Chacon obtenait donc enfin ce qu'il avait toujours voulu : la capitulation de l'île sans combat. Il réunit aussitôt en conseil de guerre le lieutenant gouverneur et les commandants des différents corps, pour délibérer sur la proposition du général anglais, et tous, vu la position alors désespérée des affaires, durent nécessairement opiner pour la capitulation. Puis eut lieu une entrevue des deux chefs, dans laquelle on convint d'une suspension d'armes immédiate et d'une conférence le lendemain 18, à huit heures du matin, pour traiter de la capitulation. A l'heure convenue, le général Abercromby, l'amiral Harvey et le gouverneur Chacon se réunirent dans une maison de la ville (2), où les quinze articles suivants furent arrêtés et signés par eux :

1o Les officiers et troupes de Sa Majesté Catholique et de ses alliés (3) dans l'ile de la Trinidad se rendront prisonniers de guerre, et remettront les territoires, forts, édifices, armes, munitions de guerre, espèces,

(1) Voir à l'Appendice la dépêche de Chacon. (2) Voir à l'Appendice la depêche de Chacon.

(3) Ces mots : et de ses alliés dans l'ile, désignent évidemment les républicains » qui voulurent défendre le drapeau de l'Espagne.

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