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cultivait dans l'île, et se cultive encore aujourd'hui, n'était plus la canne violette dite créole, laquelle, on l'a vu, avait été apportée par les Espagnols, en 1506, des îles Canaries à Saint-Domingue; c'était la canne jaune d'Otahiti (aujourd'hui Taïti), introduite dans les îles françaises par le célèbre navigateur Bougainville, et transportée de la Martinique à la Trinidad par M. SaintHilaire Bégorrat, en 1782, avec le rimier ou arbre à pain (artocarpus incisa), aussi originaire de Taïti, et le bambou de Bourbon (nastus Borbonicus) (1). Ce fut de la Trinidad que cette canne à sucre fut transportée au Vénézuéla dix ans plus tard, en 1792 (2). La culture de cette plante s'était établie à Laventille, au nord et à l'ouest du Port-d'Espagne, jusqu'aux pieds des montagnes, à Chaguaramas, dans les vallées de Maraval et de Diego-Martin, et sur la côte occidentale de l'ile. Le procédé en usage pour la fabrication du sucre était celui du père Labat, alors universellement en usage aux colonies. La canne était pressée dans un moulin à manège entre trois rôles ou cylindres de bois dur, généralement revêtus de fer et tournant verticalement sur pivots. Le vesou ou jus était conduit dans des chaudières de cuivre et évaporé à feu nu jusqu'à la consistance de sirop très épais; il était alors conduit dans des rafraîchissoirs ou bacs de madriers, et livré à la cristallisation. Le lendemain matin, le produit de cette cristallisation était enformé, c'est-à-dire enfutaillé dans des barriques reposant sur leurs fonds percés de trous

(1) Hart, Hist. and stat. view of the I. of Trinidad, p. 197. (2) Baralt, Historia de Venezuela, t. 1, ch. XVII, p. 324.

pour l'écoulement du gros sirop ou mélasse. La masse ainsi séparée de son sirop était du sucre brut ou cassonnade; c'est sous cette forme qu'elle était exportée. Pour l'usage des familles, ce sucre était terré, c'est-àdire purifié et blanchi au moyen d'une terre glaise imbibée d'eau, recouvrant le dessus des formes de terre cuite où il était tassé pour subir cette opération; ou bien il était converti en sirop fin, clarifié au blanc d'œuf. La mélasse n'était pas exportée; elle était en partie convertie en tafia ou rhum par la distillation, et en partie employée en nature à la nourriture de l'atelier et du bétail (1).

Comme la canne à sucre de Taïti le caféier (coffea arabica), nous est venu de la Martinique, où il fut introduit en 1720 (2) par le capitaine Desclieux. On raconte que l'eau venant à manquer pendant le voyage, deux des trois plants confiés au capitaine par le gouvernement français périrent, et que le dernier ne dut sa conservation qu'au dévoûment du capitaine, qui partagea avec lui sa modique ration d'eau jusqu'à son arrivée au lieu de sa destination (3); c'est de cet unique plant que sont sorties toutes les caféières des îles françaises. On ignore la date de l'introduction du café à la Trinidad; mais elle ne peut être ni antérieure à l'arrivée de notre colonisateur, ni postérieure à celle de M. Saint

(1) Tradition.

(2) C'est par inadvertance que, dans la première partie de cet essai (chap. XIV, p. 231), le café a été mentionné comme faisant partie des productions de l'ile en 1622.

(3) Fr. Iñigo Abbad y Lasierra, Historia de Puerto-Rico, chap. xxvII, p. 318, notes.

Hilaire Bégorrat (1777-1782); il ne fut apporté au Vénézuéla, probablement de la Trinidad, comme la canne à sucre de Taïti, qu'en 1784 (1). Cette plante était cultivée dans les environs de la ville, dans les vallées qui l'avoisinent, et principalement sur les coteaux de Laventille. Cette culture est aujourd'hui abandonnée, bien que facile et n'exigeant pas une grande avance de fonds, par cette raison qu'elle ne prospère sous notre latitude qu'à des hauteurs de plusieurs milliers de pieds, que nous ne possédons pas. Les arbustes étaient plantés en damier à la distance de dix varas ou six pieds, et protégés des rayons du soleil par des arbres fruitiers aussi plantés en damier à une distance de vingt-quatre à trente pieds, selon le développement auquel ils parvenaient; les caféières étaient ainsi en même temps des vergers. De toutes les cultures coloniales, celle-ci était la plus engageante, et par son aspect riant,et par la précocité de son rapport. Pour dépouiller les graines de café de leur enveloppe charnue, on les soumettait à l'action d'un moulin à bras muni d'une grage ou râpe; lavées ensuite à grande eau, puis séchées au soleil, elles donnaient le café dit fin vert. Celui dit habitant s'obtenait par un autre procédé ; il était séché au soleil en cerise, c'est-à-dire avec son enveloppe charnue, puis il en était dépouillé au moyen du pilon (2).

Le cotonnier cultivé dans l'ile était arborescent (gossypium arborescens), et de la variété à graine verte

(1) Baralt, Historia de Venezuela, t. I, App., p. 427. (2) Tradition.

dont la soie est longue et fine. Cette plante s'adapte admirablement à notre sol et à notre climat; mais sa culture est aujourd'hui abandonnée, parce que ses produits ne peuvent soutenir la concurrence du coton des États-Unis. Elle était cultivée principalement aux différents ilots des Bouches et du golfe; cette denrée a fait vivre bien des familles et a fait faire fortune à plusieurs de nos premiers colons (1).

Le cacaoyer, dont la culture avait commencé à renaître depuis une trentaine d'années, était, on l'a vu, le forastero (cacao Brasiliensis); il prospérait remarquablement dans la vallée de Maracas et dans la plaine qui s'étend de la rivière de Saint-Joseph à celle d'Aricagua. Aujourd'hui, il est planté dans la plupart des quartiers de l'ile, et son produit, après le sucre, est heureusement redevenu la principale denrée de la colonie. Les arbres étaient plantés et cultivés comme ils le sont encore, c'est-à-dire en damier et à la distance de quatre varas ou douze pieds. Aussi sensibles à l'ardeur du soleil que les caféières, ils en étaient aussi protégés, non plus par des arbres fruitiers qui n'auraient pas pu les couvrir, mais par des bois de haute futaie, tels que l'anauco ou bois immortel écarlate (erythrina coccinea), et le bucare ou bois immortel ombreux (erythrina umbrosa). Le bois immortel est si nécessaire à leur protection, que les Espagnols l'ont surnommé la madre del cacao ou la mère du cacao. Ainsi abrités, ils donnent du fruit mûr chaque mois, pendant neuf mois sur douze, en général depuis novembre jusqu'en juillet;

(1) De Verteuil, Trinidad, its Geography, etc., ch. vII, p. 267.

les deux plus fortes cueillettes se font en décembre et en juin, et c'est pour cette raison qu'on leur attribue deux récoltes par an, dont l'une dite de la Noël, et l'autre de la Saint-Jean. La préparation du cacao était aussi simple que bien entendue dépouillé des fèves vaines et des tripas ou pédoncules, il était mis en tas sur une cabane de grandes feuilles vertes et soigneusement recouvert des mêmes feuilles, de manière à empêcher toute évaporation. La pulpe sucrée qui l'enveloppe entrait alors en fermentation, et à la haute température qu'elle développait il était laissé à curtir ou cuire pendant trois jours entiers; l'effet de cette coction sur les fèves était de les ramoilir, de les distendre et de les purger de leur àcreté. Après cette opération, il était étendu sur la terre, et lentement séché au soleil (1), puis livré aux agents de la Compagnie de Guipuzcoa, qui en avait le monopole, au prix fixe de vingt-sept sous de France la livre (2).

Le tabac (nicotiana tabacum) qui se cultivait était vraisemblablement originaire de l'ile, puisque c'est dans la petite ile voisine de Tabaco ou Tabac, aujourd'hui Tabago, que les Espagnols aperçurent cette plante pour la première fois. Il devait être semblable aux meilleures sortes produites aujourd'hui au Vénézuéla, car il fut renommé dès les premiers temps de la conquête espagnole. Ce fut probablement celui-là qui fut introduit à

(1) Tradition.

(2) Le Mort, Mémoire politique, ms. C'est vingt-cinq cents, ou un quart de dollar, au change de cinq livres huit sous la piastre forte, alors établi entre les colonies françaises et espagnoles.

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