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Indépendamment de ses ennemis extérieurs, on a vu que la Nouvelle-Andalousie en avait d'autres à l'intérieur parmi les peuplades caraïbes que n'avaient pas soumises les armes de ses conquistadores. Ceux-ci constituaient une des forces opposantes les plus considérables au développement des établissements des Espagnols dans les quatre provinces de la Nouvelle-Andalousie. Par leurs incessantes hostilités, le territoire occupé était forcément borné aux villes et terrains immédiatement environnants. Au delà de ces limites, les colons n'osaient s'aventurer qu'en troupes et en armes ; l'état de guerre y était en permanence.

Telle était la colonisation précaire de ces provinces, lorsque se reproduisit l'idée féconde et généreuse des PP. Dominicains de 1513: la réduction des naturels à la vie civile par la prédication de l'Évangile. Un des

vétérans du conquistador Don Juan de Urpin, le nommé Francisco Rodriguez Leite, natif de Cumaná, fut celui qui la réveilla en 1648. Témoin oculaire de l'inutilité des armes pour la pacification des Indiens, il conçut le projet de l'entreprendre par la douceur et la persuasion. Dans ce but, il élabora tout un plan de missions évangéliques, et rédigea un mémoire très-circonstancié sur leur établissement et sur le gouvernement des néophytes. Il y demandait, à titre d'essai, six ou huit religieux de Saint-François, qu'il instruirait dans la langue du pays et qu'il accompagnerait dans les forêts habitées par les Indiens. Le mémoire fut adressé à l'évêque de Porto-Rico, Fray Don Damian Lopez de Aro, qui l'approuva et le remit à la cour d'Espagne avec les plus pressantes recommandations (1). Là aussi il fut accueilli avec faveur, car, en 1652, nous trouvons une cédule royale mettant fin à toute expédition militaire contre les naturels.

Mais, disons-le à la louange des religieux de SaintFrançois, il paraît que ce fut parmi eux que le mémoire reçut le meilleur accueil, puisque, dès la fin de 1650 ou le commencement de 1651, nous les voyons se mettre en marche pour le Nouveau-Monde, et, dédaignant les offres de service du promoteur, se rendre tout d'abord, non pas à Cumaná ou dans l'une des provinces de la Nouvelle-Andalousie, mais à l'île de la Grenade où les Espagnols n'avaient pas porté leurs armes. C'est sur ce territoire, vierge de toute violence, qu'ils voulurent

(1) Fr. A. Caulin, Historia de la N.-Andalucia, liv. III, chap. I, p. 197 et seq.

entreprendre l'essai loyal de leur ministère sur les naturels. Malheureusement les Pères capucins de cette première mission trouvèrent l'île déjà occupée par les Français, et durent se transporter à Cumaná, où ils ne purent vivre en bonne intelligence avec les Espagnols, et d'où ils furent rappelés en Espagne deux ans plus tard (1). La première mission destinée à cette province n'y arriva qu'en 1656; elle se composait de religieux récollets. Quatre autres missions des mêmes religieux la suivirent, à mesure que s'en présentait le besoin, pendant la période de trente-un ans, qui s'écoula de cette année 1656 à celle de l'ouverture du présent chapitre. Ces différentes missions y fondèrent dix-sept villages d'Indiens soumis et convertis à la foi. L'expérience fut décisive; c'est à partir de cette fondation que les deux provinces de Cumaná et de Barcelone commencèrent à acquérir de l'importance (2).

Un succès aussi grand ne pouvait manquer de faire adopter le même moyen pour l'avancement de la colonisation des autres établissements espagnols dans le Nouveau-Monde, et particulièrement de la Trinidad et de la Guyane, alors si ruinées par les ravages des Hollandais et des Français. Un changement administratif qui s'opéra dans ces deux derniers établissements vers la même époque dut grandement contribuer aussi à l'adoption de ce moyen efficace. Nous avons vu que, depuis la mort de Don Fernando de Berrío, l'autorité supérieure

(1) Fr. A. Caulin, Historia de la N.-Andalucia, liv. III, chap. II, p. 203.

(2) Fr. A. Caulin, Historia de la N.-Andalucia, liv. III, chap. II, p. 202 et seq.

y avait été exercée par les capitaines généraux de Cumaná; désormais, nous leur trouverons une suite non interrompue de gouverneurs particuliers résidant à San-José de Oruña. Ce n'est pas que ces deux établissements fussent alors entièrement détachés du gouvernement de la Nouvelle-Andalousie; il y a apparence, au contraire, qu'ils continuèrent à en relever en matière civile et militaire; mais la présence de ces gouverneurs particuliers dans la capitale de l'ile indique une séparation en matière de colonisation au moins. Aussitôt son arrivée à San-José de Oruña, nous voyons son premier gouverneur particulier, Don Tiburcio de Aspe y Zuñiga, se préoccuper vivement de la fondation des missions à la Trinidad et à la Guyane. Par deux fois, en 1680 et 1682, il s'adresse, mais inutilement, au révérend père préfet des missions de Cumaná, pour en obtenir des religieux (1). Ce fut le hasard qui lui en fournit.

En septembre 1682, deux religieux capucins catalans, les révérends pères Angel de Matarol et Pablo de Blanes, qui retournaient à Cumaná d'un voyage qu'ils étaient allés faire en Espagne, et un frère convers, Ramon de Figuerola, qui venait à leur rencontre, arrivèrent simultanément dans l'ile. Le gouverneur, se saisissant de l'occasion qui venait s'offrir, les entretint avec tant de chaleur de l'état d'abandon de la Guyane, qu'il n'eut pas de peine à leur faire accepter l'offre d'aller y établir des missions au compte de la province de Catalogne. L'autorisation de leur préfet obtenue, ils s'em

(1) P. Balme, Definicion de la provincia de Cataluña, notes ms.

pressèrent de se rendre dans cette province pour y choisir des sites convenables à leurs fondations. Mais ce premier effort n'eut aucun succès; à peine se furentils rendus sur les lieux, que l'un d'eux, le révérend père Angel de Matarol, tomba tout à coup malade, et rendit le dernier soupir, le 8 novembre 1682. Ce malheur paralysa pour le moment l'œuvre des missions; réduits à deux, les religieux se virent forcés d'abandonner la province et de revenir à la Trinidad (1).

De retour auprès du gouverneur, le révérend père Pablo de Blanes, plein de zèle évangélique, entreprit de se rendre en Espagne afin d'y solliciter pour la Trinidad et la Guyane l'établissement de missions semblables à celles de Cumaná. Il partit l'année suivante et alla s'embarquer à Cumaná, accompagné du frère Angel de Llavaneras, que lui permit de prendre avec lui son préfet. Arrivés à la Havane, un second malheur semblable au premier faillit compromettre encore l'œuvre des missions le révérend père Pablo de Blanes y tomba malade, et y mourut le 20 juillet 1683. Le digne frère Angel de Llavaneras, heureusement, ne se découragea pas; après avoir rendu les derniers devoirs à son compagnon, il se munit de ses papiers et continua son voyage. Aussitôt arrivé à Barcelone, il entreprit les démarches nécessaires, et après trois longues années de négociations il eut la joie de voir le roi Charles II donner enfin son approbation aux nouvelles missions de la Trinidad et de la Guyane. La province de Catalogne en désigna immédiatement le personnel; il se com

(1) P. Balme, Definicion de la provincia de Cataluña, notes ms.

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