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Les Anglais ont bien senti toute l'importance de cette colonie. Si l'on en croit D. Chacon, ils ont demandé pendant un moment la cession de cette île en échange de Gibraltar. S. M. C. qui, non plus que ses ministres, n'en avait jamais entendu parler, écrivit au comte d'Aranda, son ambassadeur en France, lequel consulta M. de Saint-Laurent, habitant de la Trinité, pour lors à Paris. Celui-ci fit un mémoire très détaillé sur l'importance de son île; il avança que sa cession aux Anglais devait entraîner la perte de tout le continent. Il fut chargé de porter son mémoire au roi d'Espagne, S. M. C. fut effrayée de l'idée que lui traçait M. Roume de Saint-Laurent. Non seulement la proposition des Anglais fut rejetée, mais encore le cabinet de Madrid exigea de celui de Versailles la conservation de Tabago.

Le sol de la Trinité est excellent; les productions des îles y viennent à merveille; il ne faut à la terre que des mains laborieuses pour la rendre féconde et tirer les richesses qu'elle renferme. L'exemple des nations voisines n'a point encore fait sortir l'Espagnol de cette indolence qui l'a mis si fort au-dessous de ses rivaux; c'est sans doute pour cette raison que le cabinet de Madrid, qui voyait son insuffisance et qui voulait donner à la Trinité un ressort qui répondit à ses vues, rendit un réglement qui appelait tout homme catholique romain à la culture de ses terres. Les avantages qu'il promettait ont séduit beaucoup de monde; les uns ont réussi; la plus grande partie s'est rebutée. Bref, on ne compte encore aujourd'hui à la Trinité que 16,000 âmes, dont 4,000 blancs, les deux tiers français et l'autre espagnols ou anglais.

D'où vient donc ce peu de population? En voici la raison : 10 Il faut être catholique pour avoir une concession à la Trinité. Il n'y a donc eu que les Français et les Irlandais, lesquels sont en très petit nombre, qui aient pu profiter des droits que donne le réglement.

2o Les Français ont plus de terres qu'ils n'en peuvent cultiver dans leurs îles; ce n'a été que ceux dont les affaires étaient dérangées ou qui n'avaient que peu de moyens qui, dans l'espoir de faire fortune, ont été s'établir å la Trinité, ou bien encore, et c'est le plus grand nombre, ceux qui, à la reddition des îles conquises, n'ont pas voulu rester sous une domination étrangère.

2o Les 4,000 nègres que la compagnie anglaise fournit tous les ans au roi d'Espagne, et qui sont passés aux habitants de la Tri

nité à 1,400 € avec un an de crédit, ne peuvent être achetés en totalité par la colonie; on en porte environ 3,000 à la Havane. Cette compagnie est d'ailleurs vicieuse, elle n'envoie aux Espagnols que le rebut des cargaisons.

30 Il a été établi au Port-d'Espagne une douane qui reçoit 2 ou 100 sur toutes les marchandises qui entrent ou qui sortent de la colonie.

4 pour

40 Le préjugé des étrangers contre le gouvernement espagnol et la politique française, qui a dû empêcher les habitants des îles françaises d'y porter leurs nègres.

Enfin, on peut assurer que si la cour de Madrid ne change point ses dispositions actuelles, elle ne réussira point à établir la Trinité aussi promptement qu'elle l'aurait pu. Le moment de l'enthousiasme est fini. On a de la répugnance à aller dans un pays où l'on n'est pas sûr de jouir longtemps des prérogatives que promet le réglement ou qui diminuent tous les jours par les cabales des Espagnols même, qui sans doute sont jaloux de voir des étrangers plus industrieux qu'eux.

Cependant la Trinité devant être le centre de leurs forces aux îles du vent de l'Amérique et le boulevard de leurs possessions au continent, il n'y a que les productions de la terre et le commerce qui puissent donner à cette colonie les moyens de nourrir les troupes de terre et de mer qu'elle sera obligée d'y avoir. It faut donc pour cela encourager l'un et l'autre, en admettant les étrangers, de quelque religion qu'ils soient, au partage des terres, permettre l'entrée des nègres de toutes les nations, supprimer toute espèce de droits sur les marchandises et denrées quelconques qui entrent ou sortent de l'île, prolonger la libre exportation des denrées coloniales de vingt à trente ans s'il est nécessaire ; autrement, les étrangers renonceront au défrichement de la Trinité; il n'y aura que les habitants d'aujourd'hui qui pourront se maintenir dans leurs possessions ou qui, peut-être à la longue, donneront quelques accroissements à la culture de cette colonie.

La ville du Port-d'Espagne est établie dans une anse dont le fond est fort plat: c'est là qu'est le port. L'embarquement et le débarquement des chaloupes s'y fait difficilement. Les bâtiments de 60 tonneaux mouillent à plus d'une lieue de la ville, ce qui rend cet établissement défectueux pour le commerce, qui aujourd'hui n'a point d'autre port. La ville est très-bien située dans une

localité spacieuse; les rues sont tirées au cordeau. Le gouverneur, ainsi que les employés du roi, y demeurent. Les maisons sont en bois, comme dans toutes les villes naissantes, ou, suivant l'usage des Espagnols, de terre, entre poteaux, et couvertes en paille.

Le commerce, sans y être considérable, est très lucratif pour les marchands, qui sont en très grand nombre. Les bateaux de la Terre-Ferme achètent beaucoup de marchandises françaises et anglaises. Quant aux Espagnols résidant au Port-d'Espagne, ils ne vendent que de petits pains de sucre ou des oiseaux. Ils sont d'ailleurs en très petit nombre. C'est à Saint-Joseph qu'ils se tiennent. Cette ville est à deux lieues de la première; il paraît que c'est le quartier de la bonne terre. La plupart des habitants y prennent aujourd'hui des concessions pour en faire leurs établissements principaux.

Il y a un morne à Saint-Joseph d'où l'on découvre l'intérieur de l'île, inconnu aux Espagnols mêmes: il est en bois debout, très plat. Il n'y a que les bords de la mer qui soient escarpés, formant une chaîne de montagnes autour de l'île.

On se propose de bâtir une autre ville, qui s'appellera Ville-àBrai, tirant son nom d'un étang à brai fort extraordinaire. Il y en a deux de cette espèce à la Trinité, tous les deux à la Bande du Sud, l'un à l'est et l'autre à l'ouest.

C'est auprès de ce dernier qu'est la ville dont nous parlons, éloignée du Port-d'Espagne d'environ dix lieues. On va à l'étang le plus ordinairement par mer: il est cependant possible de s'y rendre par terre. Il faut faire en sorte d'arriver de très grand matin. Le coup d'œil en est frappant. On voit une plaine de brai sur un plateau, à l'extrémité d'une pointe (Pointe-à-brai), et des ruisseaux plus ou moins profonds qui la coupent dans tous les sens possibles, dont l'eau est excellente à boire, quoiqu'ayant un petit goût de terroir (1). On peut se promener sur l'étang tant que le soleil n'a point pris de force; mais sur les dix heures le brai est fondu et forme une surface liquide qui sur le soir redevient dure.

Le brai de l'étang de l'est est supérieur en qualité à celui de la Bande de l'Ouest; il s'emploie pour la carène des bâtiments, sans le mélange des corps gras, avantage que n'a point l'autre. Il est

(1) On prend de cette eau pour les obstructions.

fâcheux, que cet étang ne soit encore fréquenté que par les Caraïbes.

Cette côte n'est habitée que depuis fort peu de temps par plusieurs personnes å qui l'on a donné des concessions. Le chemin qui y conduit du Port-d'Espagne est à peine tracé.

Beaucoup de personnes ne manqueront pas de demander comment a été produit cet étang à brai. L'on ne peut donner que des conjectures. Il peut se faire que ce soient les restes d'un ancien volcan dont l'irruption des autres parties s'est faite à la mer; ce qu'il y a de certain, c'est que l'on trouve sur le bord de la mer et dans les environs des étangs seulement des pierres de la même matière, beaucoup plus dures cependant que celles qu'on en tire: elles s'amollissent un peu au soleil.

La Ville-à-Brai sera dans une anse où le mouillage est excellent; elle doit s'établir dans le courant de cette année. Son objet est de faciliter le commerce de la Terre-Ferme, comme étant plus rapproché des rivières qui débouchent dans le golfe que le Port-d'Espagne, qui y est très-enfoncé, et aussi de favoriser l'établissement de la Bande du Sud et l'exportation du brai des étangs dont on vient de parler. Cette branche de commerce paraît inépuisable, puisque le trou qu'on y fait le matin pour le prendre est rempli le soir même.

D'après tout ce que l'on vient d'exposer, on peut conclure que le ministère d'Espagne songe sérieusement à établir l'île de la Trinité et à en faire le dépôt d'entrepôt de son commerce avec le continent et la métropole. Don Chacon était fort pressé pour l'envoi des plans (1). Il était autorisé à toujours commencer, s'il le jugeait convenable, lui promettant tout l'argent dont il pourrait avoir besoin.

Il lui était aussi annoncé des troupes pour les travaux, ce à quoi il s'opposait pour le moment, n'ayant pas de quoi les loger, ni les établissements nécessaires. En homme sage, il veut aller pas à pas, bâtir d'abord des casernes, un hôpital, etc., au port de Chagouran. Il demandait des ingénieurs pour la rectification des fortifications qu'il proposait sur la presqu'ile de Chagouramas et sur les autres îles. J'ai des raisons pour croire que ces projets différents

(1) Ils sont partis au mois de septembre 1785 sur une frégate qui a fait voile de l'Orénoque.

seront communiqués à la cour de France, et que ceux que l'on peut avoir sur Tabago entreront pour quelque chose dans le plan général que l'on adoptera.

Quelle que soit par la suite l'importance de la Trinité relativement aux Iles du Vent, il est certain qu'elle sera la clé des possessións espagnoles à la Terre-Ferme, et même celle de leurs richesses quand ils le voudront. Cette île, portée au degré de culture dont elle est susceptible, doit faire la plus belle colonie de cette partie du monde.

Le port de Chagouran est dans la situation la plus heureuse pour faire un port royal. Il n'est pas éloigné des Bouches du Bragon. La presqu'île de Chagouramas est susceptible d'être fortifiée avantageusement, et avec de la dépense ce fort sera formidable, dominant le port et le carénage.

Au reste, on n'a pas prétendu dans ce mémoire détruire l'opinion de personne, encore moins faire des prosélytes. L'on a rendu avec vérité tout ce que l'on a vu, sans avoir d'autres prétentions.

English translation of the Manifesto of Spain against
Great Britain.

His Majesty has transmitted to all his councils a decree of the following tenor:

One of the principal motives that determined me to make peace with the French Republic, as soon as its government had begun to assume a regular and stable form, was the manner in which England behaved to me during the whole of the war, and the just mistrust which I ought to feel for the future from the experience of her bad faith, which began to be manifested at the most critical moment of the first campaign; in the manner with which Admiral Hood treated my squadron at Toulon, where he was employed solely in ruining all that he could not carry away himself; and afterwards in the expedition which he undertook against the

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