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chauds, lorsqu'elles demeurent stagnantes. Les champs avoisinants étaient, au contraire, généralement bas et fertiles, et propres à la culture des produits alimentaires et des denrées tropicales. C'est sur un plan uniforme que se construisaient tous ces villages: une place carrée, parfaitement orientée, était tracée sur le terrain, et toutes les chaumières indiennes venaient s'aligner sur ses trois côtés, nord, sud et ouest, et sur les rues qui y aboutissaient. Ces chaumières étaient bâties de poteaux de bois dur, fichés en terre sans avoir été équarris ou même dégrossis; elles étaient, en général, ouvertes à tous les vents, sauf au-dessous de leur toiture aiguë, couverte de feuilles de palmier timite ou carate (1), où se pratiquait une troja ou grenier, pouvant servir de chambre à coucher en cas de maladie. Le côté est de la place était toujours occupé par l'église, le presbytère et ses dépendances. Ce temple, dont l'axe était invariablement dirigé d'orient en occident, était un vaste bâtiment quadrangulaire, aux murailles de tapia ou torchis et à la toiture de chaume; au pignon, faisant face à la place et surmonté d'une grande croix latine, était la porte principale, de construction ogivale. Tout humble qu'il apparaissait à l'extérieur, il était toujours décoré à l'intérieur de ces jolies statuettes de bois colorié, alors si communes en Espagne, et de ces toiles de Murillo, tout aussi communes, car on sait que l'illustre peintre, dont le cœur était à la hauteur du talent, se faisait un devoir de reproduire lui-même ses

(1) Le premier est du g. manicaria, et le second du g. Copernicia, Crüger.

tableaux en grand nombre, afin de pouvoir les livrer à bas prix pour l'ornement des églises du Nouveau-Monde. Par ses formes élancées, le bâtiment, d'ailleurs, dominait majestueusement le village.

Les missions étaient de véritables colonies agricoles ; on s'y livrait à la culture des champs et à l'élève du bétail et des animaux de basse-cour. La culture principale était celle du cacao (1), culture nouvellement introduite dans l'île, soit par le premier gouverneur particulier de l'île, Don Tiburcio de Aspe y Zuñiga, qui l'aurait apportée de la province de Caracas, où elle avait été introduite par les Hollandais de l'île de Curaçao vers le milieu de ce siècle (2), soit directement par les Hollandais des côtes de la Guyane, d'où on le croit originaire. Dans les champs plantés en cacao se cultivaient aussi, pendant les trois premières années de la plantation, et lorsque le terrain n'était pas encore couvert par le développement des cacaoyers, le maïs, le manioc, la banane et autres denrées alimentaires. Telle est encore aujourd'hui la manière dont se forment nos cacaoyères; les terrains ainsi utilisés ne tardent pas à rembourser au planteur les frais de sa plantation de cacao. La cacaoyère était le hacienda comun ou domaine commun de la mission. Sur ses produits se prélevaient les ornements de l'église, les meubles et ustensiles du presbytère, les outils et instruments aratoires, les rations des missionnaires et le vêtement des néophytes;

(1) Theobroma cacao. Le mot cacao est caraïbe; les Mexicains l'appelaient cacahoatl, et la préparation culinaire qu'ils en faisaient chocolatl.

(2) Codazzi, Geographia politica de Venezuela, p. 123.

l'excédant était versé dans la caisse commune des religieux Capucins catalans. Les Indiens étaient tenus d'y travailler les quatre premiers jours de la semaine; les deux derniers étaient affectés à la culture du cacao dont ils tiraient leur nourriture, et à la construction et à la réparation de leurs chaumières (1). Le dimanche et les jours fériés étaient toujours consacrés à leur instruction religieuse et à leurs exercices de piété. Une si grande abondance de travail, obtenue à aussi peu de frais, rendait éminemment productives ces entreprises agricoles; d'année en année elles gagnaient en importance.

Les Indiens de ces missions vivaient sous l'autorité exclusive de leurs missionnaires, tant au temporel qu'au spirituel; le bras séculier ne pouvait s'y appesantir que sur la réclamation expresse des religieux. En cas de nécessité, ils pouvaient disposer de la force publique sans qu'il leur en coûtât rien, et sans qu'ils eussent le désagrément de l'avoir en permanence à leurs côtés ; mais, en général, ils faisaient eux-mêmes la police chez eux, et y appliquaient les lois qu'ils faisaient euxmêmes, sans l'intermédiaire d'aucun magistrat. Ils connaissaient des matières civiles et criminelles, et les jugeaient souverainement. Les peines corporelles qu'ils infligeaient étaient le fouet, les cepos ou ceps, et les grillos ou fers; au moyen de la confession, ils obtenaient le plus souvent les aveux judiciaires que les tribunaux ordinaires étaient alors obligés d'arracher par la torture. Leur pouvoir était absolu, mais leur

(1) Blanco, Documentos pa la historia del Libertador, t. I, passim.

gouvernement paternel. Ils ne se montraient sévères. que par crainte de la contagion du mauvais exemple; les précautions les plus minutieuses étaient strictement prises pour empêcher toute communication entre leurs néophytes et les Indiens encore insoumis, les esclaves noirs, et même les colons espagnols. Sous aucun prétexte il n'était permis aux Indiens, une fois soumis, de s'absenter de leurs missions respectives; ils y étaient véritablement internés. Telle était l'organisation indépendante de ces premières missions des quatre provinces de la Nouvelle-Andalousie (1).

Le zèle déployé par ces religieux mérite les plus grands éloges; rien ne leur coûtait pour gagner les Indiens à la foi. Dans leurs courses à travers la forêt vierge pour les désabuser de la vie sauvage, maintes fois ils faillirent être leurs victimes; maintes fois. aussi, dans leurs voyages par terre et par mer, ils furent sur le point de mourir d'inanition. A la Trinidad, ils eurent à combattre non seulement contre l'attachement des Indiens de l'intérieur à la vie sauvage, mais encore contre l'hostilité de ceux de l'extérieur. Indépendamment des missions de Mayaro et de Moruga qu'ils dévastèrent, les Guaraunos du delta de l'Orénoque attaquèrent plusieurs fois les deux autres missions ports de mer de Naparima et de Guayaguayare. Dans cette dernière mission, en 1691, le révérend père José Francisco de Barcelona et le frère Gil de Villamayor furent couverts de blessures, et laissés pour morts par ces Indiens. Ces luttes incessantes portèrent la dévasta

(1) Baralt, Historia de Venezuela, t. I, ch. xiv, p. 260 et seq.

tion dans les rangs des religieux. Des vingt-deux qui vinrent d'Espagne et de Cumaná dans les dix années comprises entre 1682 et 1692, quinze succombèrent à la lutte, dont douze de mort naturelle et trois de mort violente. Ceux qui moururent de mort naturelle furent :

1o Le père Angel de Matarol, à Mariguaca, le 8 novembre 1682;

2o Le père Pablo de Blanes, à la Havane, le 20 juillet 1683;

3o Le père Tomás de Lupian, à Mariguaca, en 1688; 4o Le père Arcangel de Barcelona, à Naparima, le 1er février 1689;

5o Le père Basilio de Barcelona, à San-Francisco de los Arenales, le 7 septembre 1689;

6o Le père José de Ezeba, à Caracas, le 8 octobre 1694; 7o Le frère Sylvestre de Montargull, à la Guaira, en 1694;

8o Le père Lucian de Vique, à Caracas, en décembre 1694;

9o Le père Ambrosio de Matarol, à Las Totumas, en 1695;

10o Le frère Angel de Llavaneras, à Naparima, le 2 février 1697;

11o Le père Pedro de Aneto, à Naparima, le 9 mai 1698;

12o Le père Felix de Mosset, à Naparima, le 2 février 1699 (1).

Les trois religieux qui moururent de mort violente furent massacrés dans une révolte des Indiens de la

(1) P. Balme, Definicion de la provincia de Cataluña, notes ms.

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