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Ramon de Villafranca. A son arrivée, le gouverneur, Don Pedro de Yarza, le successeur de Dón Christóbal Felix de Guzman, réclama deux de ces missionnaires. pour le service de l'île. Soit par un reste de ressentiment contre ce gouvernement, soit par nécessité, ils lui furent refusés par le préfet de la mission. Il s'en suivit une vive contestation, à l'issue de laquelle le gouverneur, à court de prêtres, et ne voulant pas perdre cette occasion unique de s'en procurer, prit le parti d'interdire la sortie de l'île aux religieux. Ceux-ci, pour pouvoir se rendre à leur destination, furent alors contraints de se soumettre à son exigence (1).

L'année suivante, 1718, les isleños arrivèrent à SantoTomé de Guayana, et le procureur général de la mission, le révérend père frère Mariano de Seba, muni de sa réquisition sur le trésor royal de Santa-Fé de Bogota, se mit en route pour cette ville. Là, il fit rencontre du procureur général des missions de Caracas, le révérend père frère Salvador de Cadix, lequel était, lui aussi, porteur d'un mandat sur le trésor royal. Tous deux se concertèrent sur les moyens à employer et la marche à suivre pour obtenir, dans le plus bref délai possible, le remboursement de leurs créances, mais en pure perte; le trésor royal se trouvait non seulement vide, mais encore criblé d'engagements antérieurement pris pour une somme considérable; tel était, à cette époque, l'état de délabrement des finances dans tous les gouvernements américains. Ainsi renvoyés aux calendes

(1) Blanco, Documentos pa la historia del Libertador, t. I, § CXLVI, p. 422.

grecques, les deux religieux prirent le parti de s'en retourner les mains vides. Ils firent route ensemble, et après un pénible voyage qui ne dura pas moins de trois ans, aller et retour, arrivèrent à Santo-Tomé de Guayana. L'insuccès de la démarche du père Mariano de Seba plongea la ville dans le découragement; presque toutes les familles espagnoles l'abandonnèrent et accompagnèrent le père Salvador de Cadix à Caracas. Se voyant alors sans appui, les religieux abandonnèrent à leur tour les missions du Caroni, qu'ils avaient commencé à fonder, et avec l'autorisation du gouverneur de la Trinidad, Don Martin de Anda y Salazar, le successeur de Don Pedro de Yarza, se retirèrent, les uns en Espagne et les autres dans notre île; il n'y eut qu'un seul d'entre eux qui se dévoua à y séjourner pour veiller aux soins spirituels de ses quelques habitants (1).

Telle fut la fin prématurée de cette seconde tentative de réduction à la vie civile des Indiens belliqueux de la Guyane. Pour cette belle province, elle fut infructueuse; elle ne profita qu'à la Trinidad, où par son insuccès s'établit un certain nombre de ses religieux. A cette île, alors dans sa période de bonheur, tout souriait, tout servait comme par enchantement, tout promettait un avenir fécond et brillant.

(1) Blanco, Documentos pa la historia del Libertador, t. I, § CXLVII, p. 423.

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Par un de ces coups les plus soudains et les plus accablants du sort, il arriva que la Trinidad, juste au moment où, avec le travail de ses noirs et de ses Indiens, commençait enfin le plein développement de sa colonisation, eut à subir la plus grande calamité qui pùt l'atteindre la perte totale de sa culture de cacao. Ce malheur eut lieu en 1727 (1), selon le père Gumilla, qui en fut un témoin oculaire. Les cacaoyers euxmêmes ne périrent pas, nous apprend-il; ils continuèrent, au contraire, à se montrer sains et robustes ; même après qu'ils eurent été privés de toute culture pendant plusieurs années et abandonnés dans les halliers, ils ne cessèrent de se couvrir de fleurs. Mais ces promesses ne tardaient pas à s'évanouir; les fruits qui

(1) M. E.-L. Joseph rapporte ce malheur à l'année 1725, en s'appuyant sur des papiers de famille qui lui auraient été communiqués; nous avons préféré l'autorité du P. Gumilla.

succédaient à ces fleurs, dès qu'ils acquéraient un degré de développement n'excédant pas la longueur du petit doigt, se desséchaient et noircissaient l'arbre (1). On ne voyait aucun remède à ce mal; la malédiction du ciel semblait s'être appesantie sur la colonie.

Nécessairement, la cause de ce grand malheur fut matière à hypothèse les uns l'attribuèrent aux gelées, les autres aux refroidissements occasionnés par les vents intermittents du nord. Ces vents, qui abaissent subitement la température, ont toujours été considérés aux Antilles comme pernicieux; le proverbe « vent de nord, vent de mort, en a pris naissance. Mais le père Gumilla rejette avec quelque dédain ces deux opinions, « les gelées ne pouvant se produire dans les pays chauds, dit-il, et les cacaoyères se trouvant trop bien abritées des vents du nord par les épaisses forêts dont elles sont entourées. » Il assigne au malheur une cause surnaturelle. Pour lui, ce fut un fléau de Dieu, envoyé pour la punition de ces cultivateurs qui ne payaient pas régulièrement la dîme; avec la foi vive d'un religieux, il cite à l'appui de sa thèse la préservation exceptionnelle de la cacaoyère d'un isleño, du nom de Rabelo, qui avait toujours payé l'impôt. Dans le cours d'une mission de quinze jours qu'il prêcha aux habitants de San-José de Oruña, « il s'appliqua, dit-il, à leur indiquer les moyens les plus propres à obtenir de Dieu qu'il apaise sa colère et leur rende le fruit précieux de leur pays (2). » Nous ignorons si les cultivateurs

(1) P. Gumilla, Orinoco ilustrado, t. I, ch. 1, § 1, p. 11. (2) Id., ibid., p. 11 et seq.

ont jamais employé les moyens indiqués par le bon père; tout ce que nous savons, c'est que les cacaoyères continuèrent à demeurer improductives. En raison de cette persistance invétérée, il nous sera sans doute permis de rechercher, à notre tour, une cause naturelle à ce désastre.

On a vu que le cacao qui se cultivait dans l'ile était de la variété dite créole, variété savoureuse, mais d'une délicatesse extrême; les arbres qui le produisent semblent chétifs et rabougris comparés à ceux qui donnent le forastero. Ce cacao ne prospère que dans les terrains à température égale et élevée, et à sous-sol constamment humide. De telles conditions ne se rencontrent pas toujours dans la zone où se produit cette denrée; à la Trinidad, elles font complètement défaut. Là, les différences entre la température de la journée et celle de la nuit sont souvent de 5o à 6o centigrades, et les deux saisons des contrées équinoxiales nous font passer chaque année d'une sécheresse intense à une humidité excessive. La culture de cette variété de cacao s'adapte donc mal à ce climat; cependant, telle est la fertilité de notre sol qu'elle peut encore y prospérer, mais seulement pendant sa période de croissance, lorsque sa sève est surabondante. Parvenue à son plein développement, son exubérance végétative ne pouvant plus contre-balancer les désavantages climatériques du milieu où elle se trouve, elle s'affaiblit d'année en année et finit par perdre la force de nourrir ses fruits. Telle fut, pensons-nous, la cause de la perte du cacao créole de l'île. Dès lors, il est évident que si la cacaoyère de l'isleño Rabelo échappa au désastre, ce n'a

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