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En commençant par Andromaque, je ferai observer que le personnage d'Oreste répond parfaitement à l'idée que les anciens nous en ont laissée. Malheureux dans tout ce qu'il entreprend, il paroît frappé de cette fatalité terrible qni l'entraîne malgré lui au crime. C'est lui qui porte à la cour d'Epire l'infortune qui le suit constamment. A son aspect, la paix est bannie, les passions les plus violentes sont excitées, et une catastrophe affreuse se prépare. Le rôle d'Andromaque renferme peut-être le tableau le plus pur des mœurs des anciens. Aucun ornement moderne ne dépare le caractère de la veuve d'Hector et de la mère d'Astianax. Hermione est telle que doit être la fille de Ménélas. Elle a toute la fierté de la famille des Atrides. On lui a reproché un peu de coquetterie, mais on n'a pas remarqué que les emportemens, les artifices, le dépit d'une femme outragée, ne tiennent ni aux temps, ni même aux mœurs. S'est-on jamais avisé de relever dans Homère la coquetterie d'Hélène ? On a donc mal-àpropos critiqué, dans la tragédie d'Andromaque, un des caractères les plus vrais que Racine ait tracés.

Britannicus mérite-t-il le reproche de n'avoir point de coloris local ? Il faut être de bien mau

dans notre

vaise foi, pour oublier que, dans cette tragédie admirable, Racine a su faire passer langue poétique les traits les plus frappans et les plus profonds de Tacite. Néron, entre le vice et la vertu, désignés par les caractères de Narcisse et de Burrhus ; dégoûté d'une épouse dont la constance le fatigue, se familiarisant avec le crime par les exemples récens du règne de Claude; Agrippine, toujours dévorée d'ambition, voyant son crédit se perdre à la cour d'un fils pour lequel elle a tout sacrifié ; Burrhus, cherchant à la calmer, défendant par une politique sage le prince dont il désapprouve en secret les actions, et s'exposant à une disgrâce par les vertueuses remontrances qu'il ose faire à son empereur; Britannicus enfin, n'opposant que la franchise imprudente d'un jeune homme aux artifices d'une cour corrompue toutes ces combinaisons dramatiques, rendues plus belles et plus frappantes par un style constamment assorti aux mœurs aux caractères et aux situations, ne sont-elles pas des modèles où l'on remarque toutes les ressources que la tragédie peut puiser dans l'histoire?

Tout le monde convient que, dans Bajazet, le rôle d'Acomat est un chef-d'oeuvre. On n'a

peut-être pas assez remarqué que ce rôle renferme tout le génie de l'empire turc. On y voit les abus du despotisme, on distingue facilement que la mort d'Amurat et l'élévation de Bajazet ne changeront rien au gouvernement. Le sérail seul éprouvera une révolution. Il n'appartient qu'au génie de placer des vues si profondes dans un ouvrage dramatique. Il faudroit citer tout ce rôle, si l'on vouloit chercher jusqu'à quel point le style répond à la situation et aux projets du visir. On s'accorde moins sur le rôle de Roxane. Ce n'est point une princesse à qui l'éducation a donné la modestie et la décence qui conviennent à son sexe; c'est une esclave élevée au rang de favorite, qui n'a aucune délicatesse, dont rien ne contient la passion furieuse, et qui consent à pardonner à son amant, s'il veut voir périr celle qu'il aime. La diction enchanteresse de Racine pouvoit seule faire réussir ce rôle, le plus difficile peut-être qu'un poëte dramatique pût tracer. Plusieurs critiques ont reproché de la foiblesse au personnage de Bajazet; mais ils n'ont pas fait réflexion que ce jeune prince, enfermé dans le sérail dès son enfance, partagé entre une princesse qu'il aime, et une femme dont son sort dépend, devoit nécessairement avoir quelques irrésolutions produites

produites par son inexpérience, et par la situation difficile où il se trouve. Cependant le poëte ne laisse point échapper une occasion de montrer la générosité et l'élévation de son caractère. Bajazet dit au visir :

La mort n'est pas pour moi le comble des disgrâces,
J'osai tout jeune encor la chercher sur vos traces,
Et l'indigne prison où je suis enfermé

A la voir de plus près m'a même accoutumé.

Lorsque Roxane lui offre sa grâce à condition. qu'il verra périr Atalide, Bajazet lui répond:

Je ne la recevrois que pour vous en punir;

Que pour faire éclater aux yeux de tout l'empire
L'horreur et le mépris que cette offre m'inspire.

Ces exemples suffisent pour prouver que Bajazet n'a point la foiblesse qui lui a été si souvent reprochée. Il n'a aucune crainte de la mort, et montre toutes les dispositions à devenir un grand prince s'il est délivré de sa captivité.

La haine que les peuples de l'Orient avoient conçue pour les Romains, l'indignation qu'avoient dû leur inspirer ces conquérans, qui n'avoient aucun respect pour les droits des nations, et qui employoient leur politique à les asservir en les divisant, n'avoient été peintes que

H

par Corneille dans Nicomède. Mais le principal personnage de cette dernière pièce n'avoit peutpar être pas une réputation assez avouée les historiens, pour produire tout l'effet qu'on pouvoit attendre de cette aversion implacable et invétérée. L'excellent goût de Racine, qui vouloit traiter cette situation vraiment théâtrale, le porta à choisir Mithridate, ce roi qui fit trembler les conquérans du monde, et qui ordonna la mort de cent mille Romains. Pour peu que l'on veuille examiner cette tragédie, on ne doutera plus qu'elle ne peigne, avec la plus grande vérité, les mœurs du temps, et qu'elle ne rap-. pelle parfaitement les historiens d'où elle est tirée. Mithridate n'a-t-il pas les vertus et les vices que lui attribuent toutes les traditions historiques? Racine le représente vaincu, mais son abaissement ne le rend-il pas plus terrible et plus théâtral? Les caractères de ses deux fils ne contribuent-ils pas à former le tableau dramatique le mieux composé? Pharnace ressemble à son père pour la fausseté; il l'atteint presque dans l'art d'entraîner ses ennemis dans le piége; mais il n'a aucune de ces grandes qualités qui balançoient les vices de Mithridate. Xipharès possède les vertus brillantes de son père; il a pour les Romains la même haine; le même

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