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la pierre est dure, ils diront, l'arbre grand, la pierre dure.

Des milliers de siècles ne suffiront pas à des êtres si peu différens des animaux, et qui n'obéissent qu'à un aveugle instinct, pour exprimer, d'après les premières règles du verbe, l'action, soit de l'esprit, soit du corps, subdivisée en autant de parties qu'il y a de mouvemens dans l'homme. Pour rendre les mouvemens de courir, de marcher, de toucher, de regarder, par les verbes les plus aisés à trouver, puisque l'action se renouvelle sans cesse, il faut être parvenu à définir cette action. Or, quelles opérations de l'esprit ne faut-il pas pour définir? Il faut concevoir, juger, et raisonner (1). Combien de fois le verbe n'est-il pas employé dans ces trois opérations? Il est donc impossible à l'homme de faire aucune définition sans le secours du verbe (2). Ainsi, le verbe seroit absolument nécessaire à l'invention du verbe ;

(1) Le discours où le verbe est employé, est le discours d'un homme qui ne conçoit pas seulement les choses, mais qui en juge et qui les affirme. Gram. gén.

(2) L'objection des sourds-muets tombe d'elle-même, puisque, dès qu'ils sont avec des hommes qui parlent, ils apprennent intérieurement une langue complète.

on seroit forcé, pour arriver aux élémens de cette science, d'en connoître auparavant la théorie (1). Supposition inadmissible, qui prouve que les partisans de l'état naturel tombent sans cesse dans un cercle vicieux, d'où ils ne peuvent sortir. Donc le don de parler nous a été fait, lors de la création, par Dieu, qui a voulu que l'homme fût un être pensant et sociable (2).

Je n'ai pas cité les plus grandes difficultés d'une langue ainsi formée. Des hommes, aussi dépourvus d'intelligence, inventeront-ils ces combinaisons admirables des verbes, qui, sous le nom de conjugaisons et de temps, expriment le présent, le passé et l'avenir? Je le répète, cette faculté, dont jouit l'homme, d'exprimer ainsi les plus secrètes opérations de son esprit, ne peut être qu'un présent de la Divinité.

(1) Dans le Discours sur l'inégalité, Rousseau, qui n'avoit pas encore fait le traité que je viens d'examiner, dit: Que la parole paroît avoir été fort nécessaire pour établir la parole.

(2) Buffon pense que l'homme à toujours parlé, «L'homme, » dit-il, rend par un signe extérieur ce qui se passe au-de» dans de lui; il commanique sa pensée par la parole; ce » signe est commun à toute l'espèce humaine; l'homme » sauvage parle comme l'homme policé, et tous deux par» lent naturellement et parlent pour se faire entendre ».

Que

Que dirai-je des substantifs qui expriment des objets métaphysiques, tels que raison, jugement, bonté, vertu, etc., et des verbes qui n'ont aucun rapport aux mouvemens de notre corps, tels que juger, réfléchir, penser, etc.? Je n'ai pas besoin de multiplier les difficultés.

J'abandonne les hypothèses, et pour pousser plus loin la conviction, je ne m'en rapporte plus qu'aux objets qui existent, et qui frappent continuellement nos yeux. C'est en les observant sous ce nouveau point de vue, que je parviendrai à donner la preuve incontestable que les hommes ont toujours parlé.

soit

Tout être existant dans l'univers, et doué du sentiment, a des organes plus ou moins perfectionnés. Tous ces organes ont leur usage pour l'existence, soit pour la conservation, soit pour la destination future de l'individu. Si quelqu'un de ces êtres a quelque organe imparfait, ou en est privé, l'exception confirme la règle générale, puisque l'individu supplée à cet organe ou perd, par cette privation, les avantages accordés à son espèce (1).

(1) Quoiqu'un monstre tout seul, dit Mallebranche, soit un ouvrage imparfait, toutefois lorsqu'il est joint avec le reste des créatures, il ne rend point le monde imparfait ou indigne de la sagesse du Créateur.

B

Or personne ne peut révoquer en doute que l'homme ne reçoive en naissant l'organe de la parole. Cet organe lui a été donné pour penser et pour parler. L'inutilité de cet organe porteroit à croire que l'homme seroit sorti imparfait des mains du Créateur, et qu'il se seroit perfectionné de lui-même : cela contredit toute opinion raisonnable; cela est démenti par tous les êtres vivans que nous voyons profiter de la totalité de leurs organes.

Ce qui a été accordé au plus vil insecte, eût été refusé à l'homme! La proposition est par trop absurde.

L'homme, naissant avec le don de la parole, a donc toujours parlé. S'il a toujours parlé, il a toujours été en société. L'état naturel n'a donc jamais existé.

Les savans ont remarqué que dans les plus anciennes langues du nord, et principalement dans le celte, les substantifs usuels ne s'exprimoient que par un seul son. La langue arabe qui, malgré son antiquité reculée, n'a aucune affinité avec le celte, en diffère essentiellement sous ce rapport. Presque tous les mots radicaux sont composés de trois consonnes, qui suppose trois sons. Mais une espèce de mots qu'on peut regarder comme inhérente à

ce

l'état social, puisqu'elle exprime la possession et la propriété, les pronoms possessifs ne sont figurés que par une seule lettre qu'on met à la fin du nom substantif. Ainsi, pour rendre ces idées : Ma chambre, ta chambre sa chambre, on ajoute au mot

qui signi

fie chambre, les lettres

et

et l'on

Il est a croire que بیته et وليتك بيتي écrit

les mots d'absolue nécessité ont été, dans leur origine, très-courts.

C'est aux savans à examiner comment les langues modernes se sont formées, à l'époque de la décadence de l'empire romain, lorsque les mêmes provinces voyoient se succéder une multitude de nations barbares, lorsque les peuples du nord et du midi se sont mêlés, au milieu des plus grands désastres que l'humanité ait éprouvés ; lorsqu'enfin tous ces hommes, étrangers l'un à l'autre par leur éducation, par leurs mœurs et par leurs goûts, ont coufondu des idiomes barbares, avec les langues harmonieuses de la Grèce et de l'Italie.

Ils doivent sur-tout rechercher comment, du sein de ce désordre, put naître une langue moderne, qui, par sa clarté, sa noble élégance, et par des chefs-d'œuvres, s'est répandue dans

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