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le levant, contribua à enrichir l'Italie, à la rendre moins barbare; et le midi de la France jouit des mêmes avantages.

Les livres d'Aristote avoient été retrouvés vers la fin du onzième siècle. Presque tous les auteurs attribuent à cette découverte l'introduc

tion dans la langue romane, de plusieurs mots grecs que les Romains n'avoient pas adoptés. Je pense que le séjour des François dans la Grèce, influa beaucoup plus sur cette variation de leur langue. En effet, une révolution de ce genre, dans le langage d'un peuple, se fait plutôt par l'impulsion donnée à la multitude, que par les. efforts des savans; et ce qui sert à fonder cette conjecture, relativement au peuple dont je parle, c'est qu'à cette époque, les savans seuls étoient en état de lire Aristote, tandis que le peuple entier avoit des relations avec les vainqueurs. des Grecs. D'ailleurs, on sait qu'alors les livres sérieux étoient écrits en latin, langue inconnue à la multitude. Les mots grecs ne purent donc se répandre par ce moyen dans la langue vulgaire.

L'époque des croisades nous offre les premiers monumens de la poésie françoise. Thibault, comte de Champagne, et le châtelain de Coucy chantèrent leur amour dans cette langue informe. L'un, égaré par une passion

qui ne fut jamais partagée, composa pour la reine Blanche, mère de saint Louis, plusieurs chansons qui ont été conservées. L'autre, qui fit le malheur de la fameuse Gabrielle de Vergy, lui adressa aussi des vers. Leur idiome étoit bien peu propre à exprimer de tels sentimens. Tous les mots dont les terminaisons s'expriment aujourd'hui par la syllabe ueil, finissoient par le son dur de oil. Ainsi, au lieu de dire orgueil, accueil, sommeil, on disoit : orgoil, accoil, sommoil. Les mots en eur se terminoient en our; ainsi, au lieu de dire douceur, douleur, on disoit : douçour, doulour (1). On se permettoit de retrancher une partie des mots, ce qui rend ce jargon presque inintelligible; enfin les verbes n'avoient pas de conjugaisons fixes, et chaque auteur se formoit des règles particulières.

Joinville écrivit en prose l'histoire de la guerre dans laquelle il s'étoit signalé. Son langage étoit si peu intelligible, même sous le règne de François 1°, qu'à cette époque on le traduisit. Nous ne lisons plus aujourd'hui que cette traduction. Le Roman de la Rose, attribué

(1) Les sons age, agne, se prononçoient comme aige, aigne.

à Guillaume de Lorris, et à Jéhan de Mehun, fut aussi un monument littéraire de ce temps. Quoique le fonds de ce roman n'ait rien d'attachant, ni d'ingénieux, il est encore trèsrecherché par les amateurs du vieux langage.

La France ne comptoit encore que ces auteurs barbares, lorsque la langue italienne se formoit, devenoit harmonieuse, et se prêtoit à l'enthousiasme de la poésie. Au milieu des discordes des Guelphes et des Gibelins, parmi les dissentions d'une république qui ne trouva le repos qu'en recevant les lois des Médicis, le Dante, citoyen séditieux et poëte énergique, débrouilla le chaos de l'idiome grossier que les Goths avoient substitué à la langue romaine. Ses poëmes que les Italiens même ont peine à comprendre aujourd'hui, parce qu'ils sont remplis d'allusions aux événemens dont il fut témoin et auxquels il prit part, firent les délices de son temps, produisirent une révolution favorable aux lettres, et doivent être considérés comme le premier monument de la langue toscane. Plusieurs mots employés par ce poëte, ont été bannis, lorsque l'idiome italien s'est perfectionné, et se retrouvent dans notre langue; cela prouve qu'à cette époque le françois différoit peu du langage de l'Italie.

Les malheurs de la France, beaucoup plus graves que ceux des Florentins, retardèrent les progrès de la littérature, et la formation de la langue françoise. Lorsqu'après les troubles civils qui suivirent la captivité du roi Jean, les peuples dûrent quelques années de repos à la sagesse et à la prudence de Charles v, les lettres furent sur le point de renaître. Ce prince, qui les aimoit, fit rassembler dans son palais les livres les plus estimés de son temps, et jeta les fondemens de la bibliothèque impériale, la plus complète, peut-être, qui existe. Sous son règne, Froissard se distingua comme poëte et comme historien. Les chroniques de cet auteur, qui ont été d'une si grande utilité aux historiens françois, deviennent plus intelligibles que les récits de Joinville. On y remarque que la langue a fait des progrès sensibles; les règles grammaticales sont moins arbitraires, et l'on trouve même une sorte d'élégance.

Les poésies de Froissard, parmi lesquelles on distingue, sur-tout, les pastourelles, sont presque toutes galantes ; quelquefois elles sont trop libres. Ce fut lui qui réussit le premier dans la ballade. Pour faire connoître le langage de Froissard, je citerai quelques vers d'une

pièce intitulée

la Prison d'amour. L'auteur

y peint la mort cruelle de Gabrielle de Vergy.

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Après la mort du Baceler (1),
On ne le peut, ni doit céler,
Parce qu'on vouloit se vangier
Des vrais amans, on fit wangier
La dam' le cœur de son ami.

Gabrielle, instruite de cette horreur, dit:

« Jamais plus boire ne me faut,
>> Car sur mortel (2) si précious,
» Si doux et si delicious,

» Nul boire ne pourrai prendre ».
On ne lui put puis faire entendre
Qu'elle voisist (3) manger, ni boire.

Cette matere (4) est toute voire (5).

On voit que la langue s'étoit un peu adoucie du temps de Froissard. Au lieu de doel, on au

(1) Bachelier.

(2) Morceau.

(3) Voulût.

(4) Matière.

(5) Vraie.

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