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rait dit doil, sous le règne de saint Louis. Les verbes se conjuguent mieux, et la construction devient directe, ce qui est le caractère de la langue françoise.

Mais l'Italie avoit fait de plus grands pas vers la perfection du langage. Pétrarque y florissoit dans le quatorzième siècle. Il adoucit les expressions trop rudes dont s'étoit servi le Dante; il rendit les constructions plus claires, et il fixa la syntaxe. Heureux si, en donnant à la langue italienne l'élégance qui lui est particulière, il eût banni les licences que le Dante avoit introduites dans ses poëmes. Quelques auteurs modernes ont attribué à cette faculté que les Italiens se sont donnée de faire des élisions, de supprimer des syllabes entières, de syncoper les temps des verbes, de multiplier les mots parasites, la facilité qu'ils eurent de perfectionner de bonne heure leur langue. J'espère prouver au contraire, quand j'aurai occasion d'en parler, que l'absence des difficultés dans la poésie, est la principale cause d'une prompte décadence.

Après quatre siècles, on admire encore les poésies de Pétrarque. L'amour qui avoit été peint par Virgile, avec tant de sensibilité et d'énergie, prend, sous le pinceau de l'amant de Laure, un coloris chevaleresque, une rete

nue, et une décence absolument inconnus aux anciens. Si le goût qui s'est formé depuis, relève, dans Pétrarque, un retour trop fréquent des mêmes idées et des mêmes termes, un peu d'affectation, des sentimens forcés, et quelques traits de faux bel esprit, il ne peut manquer d'adopter ces odes charmantes qui ont été imitées dans toutes les langues, qui servent encore de modèles aux poésies amoureuses, et qui ont rendu si fameuse la fontaine de Vaucluse.

Pétrarque passa une partie de sa vie à la cour du pape Clément vi qui résidoit à Avignon. Le caractère des habitans du midi de la France avoit plus d'un rapport avec celui des peuples de l'Italie. Le succès que les poésies de Pétrarque obtinrent en Languedoc et en Provence, adoucit lelangage de ces provinces, mais ne le fixa point. Ce patois s'enrichit de mots sonores, et seroit peut-être devenu la langue nationale, si quelque poëte célèbre lui eût assigné des règles, et l'eût épuré (1). Il s'est conservé jusqu'à présent, et n'a produit que quelques poésies amoureuses, agréables par leur naïveté, et par la vivacité des sentimens qui y dominent.

(1) On peut s'en former une idée en lisant les poésies de Goudouli.

A cette époque, la langue françoise étoit partagée en deux dialectes; l'un se parloit dans le nord de la France jusqu'à la Loire, l'autre dans le midi au-delà de cette rivière. Le premier avoit toutes les terminaisons barbares que les Francs avoient ajoutées aux mots latins. Il étoit rempli de sons désagréables à l'oreille, tels que oi, oin, ouil, oil. Plusieurs de ces sons furent adoucis lorsque la langue se forma; ceux qui furent conservés, ayant été placés convenablement, ont jeté dans le langage une variété que n'a pas la langue italienne. Le dialecte du midi étoit beaucoup plus doux, sur-tout depuis que l'italien s'y étoit mêlé; mais il ne portoit pas ce caractère particulier sans lequel une langue ne peut ni s'établir, ni se répandre. Adoptanttoutes les licences de la langue toscane, y joignant celles qu'il avoit déja, il ne put jamais acquérir ni cette noblesse qui convient aux ouvrages sérieux, ni cette élégance qui doit parer les ouvrages d'agrément, ni cette correction scrupuleuse, nécessaire dans le genre didactique. L'idiome du nord, par des causes différentes, parvint à se former, et devint propre, par la suite, à exprimer tous les sentimens, à rendre toutes les pensées, à peindre tous les tableaux, à se plier enfin à tous les tons. Nos premiers auteurs furent

furent obligés de lutter péniblement contre la dureté de la langue; et de cette lutte résulta un travail qui fut utile au perfectionnement du langage. A force de tourmenter cet idiome barbare, on parvint à l'adoucir; les efforts qu'on faisoit pour écrire avec une sorte d'élégance contribuoient à rendre les pensées plus nettes, à les faire exprimer avec plus de clarté. On admit plusieurs mots et plusieurs tournures de la langue italienne; mais on ne les substitua pas, ainsi que dans le midi, aux mots et aux tournures de la langue nationale. On les adapta, comme on put, au génie de la langue françoise; on les modifia pour leur faire perdre les traces de leur origine; et l'on conserva, sur-tout, les terminaisons qui, seules, suffisent pour donner à un langage un caractère particulier. Le séjour continuel de la cour dans les lieux où l'on parloit cette langue, servit aussi à la répandre et à la fixer. Tout ceci explique pourquoi la langue du nord a prévalu sur la langue du midi. Les observations que j'ai faites me semblent suffire pour répondre à ceux qui ont semblé regretter que le languedocien ne l'ait pas emporté sur le picard. Peut-on s'élever en effet. contre la dureté d'une langue, dans laquelle furent écrits nos chefs-d'œuvres, et qui sur

C

passe toutes les autres langues modernes, par la clarté, le nombre et l'harmonie que les grands écrivains du siècle de Louis XIV ont su lui donner?

Les efforts lents et pénibles que les auteurs françois furent obligés de faire pour former leur style, retardèrent donc un succès qui, s'il eût été prématuré, n'auroit pas été aussi durable. Tandis qu'en poésie et en prose nous n'avions que les pastourelles et les chroniques de Froissard, la langue italienne, rendue poétique par Pétrarque, acquéroit dans la prose de Bocace une pureté et une harmonie qui jusqu'alors lui avoient manqué. Les ouvrages de cet auteur, fruits d'une imagination riante, et quelquefois trop libre, sont écrits d'un style facile et correct. Ses périodes, souvent trop longues, présentent quelques obscurités ; mais en général la grace et l'élégance sont ses caractères distinctifs. On auroit ignoré le talent de Bocace pour peindre des tableaux sérieux, et pour exprimer des sentimens nobles, si, dans l'Introduction à ses Nouvelles, il n'avoit fait le récit des effets de la peste du quatorzième siècle qui fit le tour de l'Europe, la dévasta et dont fut victime la fameuse Laure qui avoit inspiré Pétrarque. Ce morceau historique est

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