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ses autres poëmes. Pendant un été, ce fut la mode d'aller tous les soirs dans la promenade du Pré-aux-Clercs (1), pour chanter en choeur les pseaumes de Marot. Les femmes de la première distinction se rendoient à ces réunions nocturnes ; et il est probable que le prétexte de ces concerts, prétendus religieux, servit à couvrir quelques intrigues, ce qui ne manqua pas d'y augmenter la foule.

Lorsque les causes de ce succès furent passées, on fit beaucoup moins de cas des pseaumes de Marot. On remarqua que le poëte n'avoit ni l'énergie, ni le beau désordre, ni le coloris brillant qui conviennent au genre lyrique. Accoutumé à exprimer des sentimens délicats, tendres et naïfs, il ne put prendre le ton inspiré et prophétique que Racine et Jean-Baptiste Rousseau ont employé depuis avec tant de

succès.

Marot ne réussit pas plus dans les poëmes qui exigent un plan suivi et raisonné, une certaine élévation dans le langage. Son poëme d'Héro et Léander est de ce genre ; et l'on y voit sou

(1) Le Pré-aux-Clercs occupoit cette partie du bord de l'eau où l'on a bâti le quartier neuf du faubourg SaintGermain.

vent que le poëte est au-dessous de lui-même. Il étoit incapable de faire un ouvrage de longue haleine. Un heureux badinage étoit son caractère, et il ne put s'en éloigner. Indépendamment de cette cause, la langue n'avoit point encore la noblesse et la dignité soutenues qu'elle acquit dans le siècle suivant.

Chez tous les peuples, la prose s'est formée plus tard que la poésie. Il semble que, pour bien posséder cette aisance, ce nombre, cette variété de tours qui caractérisent la bonne prose, il faut s'être rompu à la versification et que les difficultés du langage mesuré sont nécessaires pour perfectionner le langage ordinaire. Aussi Rabelais, contemporain de Marot, ne mérita-t-il pas les mêmes éloges. Sous le voile d'une bouffonnerie grossière, il fit intervenir dans son ouvrage tous les grands personnages du siècle où il vécut. Il ne respecta ni les mœurs, ni la religion; et le ton grotesque qu'il avoit pris, put seul le soustraire aux persécutions qu'il se seroit attirées, s'il avoit eu l'air de parler sérieusement. En faisant continuellement des allusions malignes aux événemens et aux anecdotes qui n'ont été connues que des contemporains, il obtint ce genre de succès que les hommes accordent toujours à la malignité.

Il est encore lu par quelques littérateurs qui se flattent de l'entendre, et qui, pour faire un petit nombre de rapprochemens curieux, ont la patience et le courage de supporter les turpitudes et les farces dégoûtantes dont son ouvrage est rempli.

L'année de la mort de Marot vit naître le Tasse. C'étoit à lui qu'il étoit réservé de faire prendre à la langue italienne un essor qu'elle n'avoit pas encore eu. L'Arioste avoit montré l'étonnante variété de ses ressources; le Trissin l'avoit employée sans succès dans un long poëme épique; le Tasse seul sut l'élever et la soutenir au ton de l'épopée. Dans ce poëte, elle est presque comparable aux langues anciennes. Les légères traces de faux bel-esprit, que Boileau appeloit avec raison du clinquant, disparoissent près des beautés innombrables dont ce poëme étincelle. Expressions constamment justes et nobles, tournures élégantes, suite heureuse de pensées, descriptions pittoresques, allégories ingénieuses, on trouve dans cet ouvrage toutes ces richesses; et ce qui prouve jusqu'à quel point il mérite l'estime que tous les peuples lui ont accordée, c'est qu'il se fait lire dans les traductions, épreuve que l'Arioste n'a pu soutenir. La langue italienne fut fixée à cette époque.

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Depuis ce temps elle a dégénéré. Guarini, en imitant, dans le Pastorfido, l'Aminte du Tasse, tomba dans les défauts que j'ai déja reprochés aux Italiens. Il mit de la finesse et des subtilités dans une pastorale; et sa versification élégante en couvrant une partie de ces défauts, lui procura un grand nombre d'imitateurs. Marini, qui vint après, poussa beaucoup plus loin ce goût vicieux. La préférence accordée à l'opéra sur tous les autres genres de littérature, les improvisateurs qui abusoient de la facilité de faire des vers, contribuèrent aussi à la décadence de la langue italienne. On ne vit plus que quelques auteurs qui se distinguèrent de loin en loin. Parmi eux on peut placer Apostolo Zeno, Métastase, Maffei, et, de nos jours, Alfieri et Pignotti.

Après l'époque où la Jérusalem délivrée répandit tant d'éclat sur la littérature italienne, finissent les rapports que nos auteurs avoient eus pendant si long-temps avec les auteurs italiens. La langue françoise se sépare sans retour de celle qui avoit contribué à la former. Nous n'imitons plus des auteurs que nous parviendrons bientôt à surpasser dans presque tous les genres de littérature. Notre langue, marchant à grands pas vers sa fixation, et renforçant

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chaque jour son caractère distinctif, n'a plus besoin de s'appuyer sur une langue plus parfaite. Elle lui laisse son harmonie trop monotone, ses élisions, ses mots parasites, ses strophes, sa poésie sans rimes ses inversions multipliées, pour adopter irrévocablement une harmonie qui lui est propre, des difficultés poétiques sans nombre, une construction toujours claire et directe. Je vais donc cesser de faire des rapprochemens entre les deux langues, pour ne plus m'occuper que des progrès de la langue françoise.

Avant qu'on pût conduire cette langue au degré de perfection où elle arriva, plusieurs obstacles retardèrent encore sa marche pendant quelque temps. J'ai dit que les disputes de religion avoient donné aux esprits une direction contraire au bon goût et au perfectionnement des belles-lettres. Plusieurs hommes, doués de grands talens, et qui auroient pu honorer la littérature, se consumèrent dans l'étude de la controverse, et contractèrent l'habitude d'un ton pédantesque et dogmatique. Une autre cause nuisit encore plus aux développemens heureux de la langue françoise. Ronsard avoit remarqué que la diction de Marot ne pouvoit se prêter aux sujets nobles; et il en avoit con

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