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depuis long-temps par une secte sombre et cruelle; trahie par tous ceux qui devoient lui être le plus attachés, précipitée de ce trône, et mourant sur l'échafaud, après une captivité de dix-huit ans, a mérité, par ses malheurs inouis, l'intérêt de la postérité. Parmi les maux qu'elle éprouva, et les inquiétudes cruelles dont elle fut souvent tourmentée, il paroît qu'elle trouva dans la littérature une douce consolation. Son éducation en France avoit été perfectionnée; elle savoit les langues grecque et latine, et parloit plusieurs langues vivantes. Mais la langue françoise étoit celle qu'elle préféroit. Tout le monde connoît la chanson qu'elle composa sur le vaisseau qui la portoit en Écosse, où elle devoit être si malheureuse, et les vœux qu'elle formoit pour qu'une tempête la rejetât sur les côtes de France. Je citerai de cette princesse une romance qui est moins répandue, et qu'elle fit après la mort de François 11 son premier

mari.

En mon triste et doux chant,
D'un ton fort lamentable,
Je jette un œil touchant

De perte irréparable;

Et en soupirs cuisans

Je passe mes beaux ans.

E

Fut-il un tel malheur

De dure destinée,

Ni si triste douleur

De dame infortunée,

Qui mon cœur et mon œil
Voi en bière et cercueil ?

Qui en mon doux printemps
Et fleur de ma jeunesse,
Toutes les peines sens
D'une extrême tristesse;
Et en rien n'ai plaisir
Qu'en regret et desir.

Si, en quelque séjour,
Soit en bois, ou en prée,
Soit à l'aube du jour,
Ou soit sur la vesprée,

Sans cesse mon cœur sent

Le regret d'un absent.

Si je suis en repos,

Sommeillant sur ma couche,
J'oy qu'il me tient propos,
Je le sens qui me touche.

En labeur, en recoy
Toujours est près de moi.

Mets, chanson, ici fin

A si triste complainte,
Dont sera le refrain:

Amour vraye et sans feinte.

J'ai cru devoir rapporter cette romance toute entière, parce qu'elle m'a paru propre à donner une idée assez juste de la langue poétique de ce temps-là. Vous n'y trouvez point l'élégance de Marot, mais vous remarquez que la versification s'est perfectionnée, et que les règles en sont devenues plus difficiles. Les hiatus sont plus rares, le rithme est plus harmonieux, les rimes masculines et les rimes féminines sont distribuées avec régularité. Cette romance touchante, soit par le fond des idées, soit par la situation de celle qui l'a composée, porte une teinte de mélancolie qui semble présager les malheurs dont cette reine étoit menacée.

si

Les expressions et les tours barbares que Ronsard avoit introduits dans la poésie françoise, furent bannis par Berteaux et Desportes. Ce dernier, dont on a retenu quelques beaux vers, prépara les grands succès de Malherbe.

Henri IV, vainqueur, rendit à la France la tranquillité qu'elle avoit perdue depuis si longtemps. L'époque trop courte de son règne présente deux poëtes qu'on peut regarder comme ceux qui, les premiers, ont donné à la langue françoise la force et la clarté qui la distinguent aujourd'hui. Regnier, né avec ce caractère âcre et caustique qui convient à la satire,

s'exerça dans ce genre. Sa poésie est énergique et serrée; ses descriptions, qui passent trop souvent les bornes de la décence, offrent des traits frappans que jusqu'à lui la langue françoise n'avoit pu rendre. L'art du dialogue, dont Boileau s'est souvent servi dans ses satires, est. employé heureusement par Regnier; et l'on trouve dans ce poëte les premières traces de nos bonnes scènes comiques. Trop enthousiaste de Juvénal, il eut rarement la grace et l'aimable philosophie d'Horace. Dans ses élégies et ses poésies amoureuses, il imita souvent Ovide; mais son esprit sage et sévère resserra les pensées trop abondantes du poëte latin. En évitant cet écueil, Regnier tomba dans un défaut opposé; quelquefois il rendit séchement les idées tendres et voluptueuses d'Ovide. Malherbe prit un vol plus élevé. Il s'exerça principalement dans le genre lyrique, et donna à la langue françoise l'harmonie, la majesté et la magnificence d'expression qui conviennent à l'ode. On admira le tour heureux de ses phrases, la vérité de ses descriptions, la justesse et le choix de ses comparaisons. Boileau représente Malherbe comme le législateur du goût, et comme celui qui enseigna le pouvoir d'un mot mis à sa place. La postérité a confirmé ce jugement, et, après

deux siècles, les poésies de Malherbe font encore les délices de tous les amateurs de la littérature françoise.

On sera plus à portée de juger la manière d'écrire de Regnier et de Malherbe, en rappro

chant deux morceaux où ils ont traité le même

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sujet. Après que le feu des guerres civiles fut éteint, lorsque les factions furent anéanties lorsqu'enfin la France respira sous un chef, aussi grand dans la guerre que dans la paix, les deux poëtes célébrèrent cette heureuse époque. Regnier, en s'adressant à Henri iv, dit :

Je ne veux point me taire

Où tout le monde entier ne bruit que
tes projets ;
Où ta bonté discourt au bien de tes sujets,
Où notre aise et la paix ta vaillance publie,
Où le discord éteint, et la loi rétablie,

Annoncent ta justice; où le vice abattu

Semble, en ses pleurs, chanter un hymne à ta vertu.

On voit que le poëte, habitué au genre satirique, s'élève, autant qu'il le peut, à la hauteur de son sujet, mais que ses expressions n'y répondent pas assez. Écoutons Malherbe, et nous verrons un premier exemple de la poésie noble et éloquente. Le poëte fait une prière à

Dieu :

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