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Conforme donc, Seigneur, ta grace à nos pensées;
Oté-nous ces objets qui, des choses passées
Ramènent à nos yeux le triste souvenir;
Et, comme sa valeur maîtresse de l'orage,
A nous donner la paix a montré son courage,
Fais luïre sa prudence à nous l'entretenir.

La terreur de son nom rendra nos villes fortes
On n'en gardera plus ni les murs, ni les portes;
Les veilles cesseront au sommet de nos tours;
Et le peuple, qui tremble aux fureurs de la guerre,
Si ce n'est pour danser, n'aura plus de tambours.

Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années
Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs;
Toute sorte de biens comblera nos familles ;

La moisson de nos champs lassera nos faucilles,
Et les fruits passeront les promesses des fleurs.

On ne peut s'empêcher d'être frappé d'admiration, en pensant aux progrès que Malherbe fit faire à la langue françoise, et en se rappelant que ce grand poëte naquit neuf ans après la mort de Marot. Quelle différence entre les idiomes de ces deux poëtes! On penseroit qu'ils n'ont point écrit dans la même langue; et cependant ils ont vécu dans le même siècle; les mêmes personnes ont pu les voir. Les causes d'un changement si prompt doivent être attribuées à l'esprit de société qui continua de se

perfectionner, et à la protection que les derniers Valois donnèrent aux lettres, quoique leurs malheurs, et les erreurs auxquelles ils furent entraînés, dussent étouffer en eux le goût des

arts.

Un critique sévère pourroit relever dans le morceau de Malherbe que j'ai cité, la valeur qui montre son courage à donner la paix. Encore cette faute disparoît-elle par l'heureuse tournure du vers. Du reste, quelles images frappantes! quel retour mélancolique vers les malheurs passés ! quel art dans les constructions! quelle élégance dans les alliances de mots!

On sait que Henri Iv avoit pour les femmes un penchant qu'il ne put vaincre, unique défaut de ce grand prince, qui troubla souvent sa vie domestique. L'objet de sa dernière passion, et, si l'on en croit les mémoires du temps, de la plus forte qu'il ait éprouvée, fut la princesse de Condé, qui lui fut enlevée au moment où il se flattoit d'avoir fait quelques progrès dans son cœur. Ce prince employoit souvent Regnier et Malherbe à faire des vers pour ses maîtresses ; il y prenoit le nom du grand Alcandre, et les deux poëtes s'efforçoient de rendre les idées galantes du monarque. Malherbe fut chargé de faire des stances sur le départ de la princesse

de Condé. J'en citerai quelques-unes, et l'on verra que le poëte réussissoit moins dans le genre dans la poésie noble. C'est Henri IV

érotique que

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Cette dernière stance renfermé un sentiment touchant et profond. Les deux premières sont rendues péniblement. On voit que le poëte s'ef

force d'exprimer des idées tendres, mais qu'il revient malgré lui au ton élevé de l'ode.

Regnier, lorsqu'il ne peignoit pas les turpitudes du libertinage auquel il n'étoit que trop enclin, réussissoit à exprimer avec grâce les sentimens les plus délicats de l'amour. Les élégies qu'il composa pour Henri Iv, sont en général écrites dans le style qui convient à ce genre. Si l'on veut en excepter quelques sentimens exagérés, quelques détails peu nobles, défauts qui tiennent au goût du temps, on pourra les regarder comme des poëmes érotiques très-agréables. Après avoir lu quelques stances amoureuses de Malherbe, on sera peutêtre curieux de connoître la manière de Regnier dans le style élégiaque. On verra que ses vers, faits avec beaucoup de travail, ont cependant de la légèreté et de l'élégance; et que sur-tout le sentiment qu'ils renferment est plein de vérité. Regnier peint une veuve regrettant l'amour, et levant les scrupules d'une jeune fille qui craint d'aimer :

Licandre aima Lisis, Philisque aima Filene,
Et si l'âge esteignit leur vie et leurs soupirs,
Par ces plaines encore on en sent les zéphirs.
Même que penses-tu? Berénice la belle,
Qui semble contre amour si fière et si cruelle,

Me dit tout franchement, en pleurant l'autre jour,
Qu'elle étoit sans amant, mais non pas sans amour.
Telle encore qu'on me voit, j'aime de telle sorte,
Que l'effet en est vif, si la cause en est morte.
Aux cendres d'Alexis, Amour nourrit les feux
Que jamais par mes pleurs esteindre je ne peux ;
Mais, comme d'un seul trait notre âme fut blessée,
S'il n'avoit qu'un desir, je n'eus qu'une pensée.

Un goût épuré blâmera l'enflure des premiers vers, mais il ne pourra s'empêcher d'admirer la tournure noble et élégante de ceux qui suivent. On remarquera aussi, qu'à l'exception de l'inversion vicieuse du second hémistiche du onzième vers, ce morceau porte entièrement le caractère des poésies du siècle suivant.

On a vu quelle influence Regnier et Malherbe ont eue sur la formation de la langue françoise. Le dernier sur-tout affectoit un purisme rigoureux, et ne souffroit point qu'on blessât en sa présence les règles du langage. Admis quelquefois à la cour, il se permettoit de reprendre avec chaleur ceux qui s'exprimoient incorrectement. Le roi, élevé dans le inidi de la France, avoit conservé quelques mots et quelques tournures du jargon méridional.

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