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Toutes les fois qu'il lui en échappoit devant Malherbe, le poëte les relevoit sans ménagement; et ce bon prince, loin de s'en fâcher, reconnoissoit, sous le rapport du langage, l'autorité du premier écrivain de son temps. On peut attribuer à cette cause la pureté et l'élégance d'expression qui se sont conservées long-temps à la cour de France. On remarquoit dans les courtisans les moins spirituels et les moins instruits, une manière de parler noble et distinguée, qui frappoit au premier moment, et qui pouvoit quelque temps faire illusion sur le vide de leurs pensées. Avant la révolution de 1789, le langage de la cour s'étoit corrompu. La préférence donnée aux mots à double entente, la fausse sensibilité l'avoient fait dégé

nérer.

Racan, élève de Malherbe, ne réussit point dans le genre qui avoit fait la gloire de son maître. Le goût de la campagne, un caractère d'esprit qui le portoit à peindre des images douces, lui inspirèrent des pastorales où il évita l'exemple des Italiens, dont les poésies champêtres n'avoient pas la simplicité du genre. Racan s'appesantit peut-être un peu trop sur les détails minutieux de la vie rurale. Il ne chercha point assez à rendre ses peintures gra

que

cieuses; il employa quelquefois des expressions peu dignes de la poésie. Quand il voulut prendre un ton plus élevé, il échoua. Tout le monde connoît les vers où, traduisant un des plus beaux morceaux d'Horace, il parle, ainsi Malherbe, de la mort, qui n'épargne ni le pauvre, ni les rois. Le parallèle qui a été fait plusieurs fois de ces deux morceaux, a suffi pour faire sentir la différence des deux poëtes dans le genre noble.

La mort prématurée de Henri iv, les troubles qu'on redoutoit sous un roi foible, sembloient présager la décadence des lettres, lorsque Richelieu, en s'emparant du gouvernement, leur donna une impulsion plus forte, et prépara les succès du règne de Louis xiv.

Le goût exclusif du cardinal pour la poésie dramatique, fut la première cause de la supériorité de notre théâtre, et contribua peut-être, en bornant l'ambition des poëtes françois aux succès de la scène, à rendre notre versification moins propre à l'épopée. Du moins, est-il à remarquer que, pendant le siècle de Louis XIV, aucun de nos bons poëtes n'essaya de faire un poëme épique. En adoptant, pour la poésie noble, les alexandrins à rimes régulières, dont le dialogue dramatique rompt heureusement

la monotorie, on nuisit aux narrations et aux descriptions épiques qui n'ont pas le même avantage. Avant le règne de Louis XIII, l'art du théâtre, quoique très - répandu, n'avoit

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produit aucun ouvrage avoué par le goût. Catherine de Médicis avoit protégé Saint-Gelais, et avoit fait représenter sa tragédie de Sophonishe; mais la cour de cette princesse préféroit les ballets aux tragédies; et cette tentative n'eut aucune suite. Hardi, attaché à une troupe d'histrions, avoit composé jusqu'à deux cents pièces de théâtre, tant tragédies que comédies; mais quoique, par de fréquentes imitations des poëtes grecs, il ait fait faire quelques pas à l'art dramatique, ses ouvrages ne méritent aucune estime sous le rapport du style. Il n'eut aucune idée de cet heureux choix d'expressions qui caractérise la grande poésie; ses tragédies présentèrent un mélange confus de termes ampoulés et de mots bas. Enfin la rapidité avec laquelle il travailla, l'empêcha de donner quelque correction à ses ouvrages. Jodelle et Garnier ses contemporains, quoique moins féconds, n'influèrent pas plus que lui sur les progrès de la langue françoise.

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Richelieu, dans le temps où il terrassoit le parti calviniste, et humilioit la haute noblesse,

au milieu des soins les plus importans et les plus pénibles, se délassoit par la culture des lettres. Poussé plutôt par son penchant pour toute espèce de célébrité, que guidé par un goût éclairé, il rassembla autour de lui un certain nombre de poëtes qui travailloient avec lui aux ouvrages qu'il faisoit représenter sur un magnifique théâtre construit dans son palais. Ceux qui sont curieux d'examiner si, dans les productions du poëte, on trouve quelques gerines du talent qu'a déployé le grand homme d'état, lisent encore la tragédie de Mirame, qui ne put obtenir aucun succès, quoique le cardinal n'eût négligé aucun moyen pour la faire réussir. On s'étonne, en lisant cette pièce, de n'y remarquer aucun trait de force, aucune grande pensée; jamais on n'y découvre les traces du caractère de l'auteur. La diction en est fade, incorrecte, et paroît dégénérée quand on la compare à celle de Malherbe. Dans cette société, composée d'hommes assez médiocres, mais dont la complaisance flattoit le ministre, le grand Corneille fut admis, sans qu'on pût se douter du talent qu'il déploieroit dans la suite. Il en fut exclu lorsqu'il donna le Cid.

La protection que Richelieu accordoit aux lettres, quoique peu éclairée, en répandit le

goût dans presque toutes les classes de la société. Quelques hommes de lettres, voulant épurer et perfectionner la langue, s'assembloient alternativement chez l'un d'eux pour se communiquer leurs lumières et pour fixer leurs doutes. Le bruit des travaux de cette réunion parvint jusqu'au cardinal. Il sentit de quelle utilité pouvoit être une assemblée permanente des hommes les plus célèbres de la littérature, qui s'occuperoient constamment à étudier le génie de notre langue, à donner aux mots une juste acception, à prononcer sur les incertitudes d'une syntaxe, alors peu claire, à déterminer enfin les changemens ou les modifications que l'on pouvoit faire au langage. Comme aucun genre de gloire n'étoit indifférent à Richelieu, il changea en institution publique une réunion privée de quelques hommes instruits, et se déclara le fondateur de cette institution, à laquelle il donna le nom d'Académie françoise (1). L'exécution de cette idée, la plus juste peut-être que ce ministre ait eue sur les moyens de fixer la langue françoise, est sans contredit une des causes qui ont le plus

(1) L'Académie françoise fut instituée par édit du mois de juillet 1637.

A

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