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dont j'ai cherché à donner une idée. L'héroïsme y est exagéré, l'amour y est analysé, et les grands mots y sont employés pour exprimer les pensées les plus communes.

Corneille ne put se préserver entièrement du mauvais goût qui étoit répandu dans les meilleures compagnies de son temps. Mais, dans le choix qu'il fit des auteurs espagnols dont il voulut embellir les ouvrages, on ne peut méconnoître un homme supérieur. Le sujet du Cid, qui, comme je l'ai dit, étoit un des plus heureux qu'on pût trouver, avoit été traité par deux poëtes espagnols. Corneille se l'appropria; il en fit un chef-d'œuvre. L'Héraclius de Calderone étoit un chaos où le mauvais goût et les fausses combinaisons étoient portés à un degré difficile à concevoir. Le poëte françois en fit une pièce régulière, où cependant il suivit un peu trop les traces de ses modèles. Dans la suite, il puisa encore chez les Espagnols le sujet de Don Sanche d'Aragon, qui, pour la conduite et pour le style, est inférieur à Héraclius. On ne doit pas oublier aussi qu'il trouva dans ce théâtre informe l'idée du Menteur. Mais, outre que la première pensée d'une comédie de caractère est peu importante, puisque tout dépend de l'exécution, on doit remarquer encore que la liaison

des scènes, et sur-tout le style vraiment comique de cette pièce, appartiennent entièrement à Corneille.

Quoique ce grand poëte ait embelli et perfectionné tout ce qu'il a emprunté aux Espagnols, on ne peut révoquer en doute qu'en général le style de presque toutes ses pièces ne porte quelque empreinte des défauts qu'on a reprochés aux Calderone et aux Lope de Vega. On remarque quelquefois, dans les tragédies même de son bon temps, que les scènes d'amour y sont trop raisonnées, et que l'auteur y suit, d'une manière trop marquée les formes un peu pédantesques de l'école. Émilie craint que quelques conjurés n'aient la lâcheté de trahir son amant. Cinna lui répond :

pas.

S'il est, pour me trahir, des esprits assez bas,
La vertu, pour le moins, ne me trahira
Vous la verrez brillante, au bord du précipice,
Se couronner de gloire et braver le supplice;
S'il faut enfin souffrir un destin rigoureux,
Je mourrai tout ensemble heureux et malheureux :
Heureux, pour vous servir, de perdre ainsi la vie,
Malheureux de mourir sans vous avoir servie.

On voit que la fin de cette période est péniblement travaillée, et que le développement de

l'idée

l'idée principale n'a rien de naturel. Ce défaut se montre principalement dans les scènes de Rodogune, entre Antiochus et Séleucus. Les deux frères parlent de l'amour et de l'amitié, plutôt en métaphysicien qu'en héros de tragédie. Le goût que Corneille avoit pour les auteurs espagnols l'avoit aussi entraîné à employer de grands mots pour exprimer des idées simples, et à faire parler ses héros d'une manière un peu avantageuse. Cette dernière faute, qu'il avoit soigneusement évitée dans le caractère du jeune Horace, se fait apercevoir quelquefois dans le personnage de Cornélie, et dans celui de Nicomède. On reproche aussi avec raison à Corneille d'avoir mis un peu d'enflure dans le discours de Ptolomée, morceau imité de la Pharsale. Ce poëte, en faisant sa lecture habituelle des auteurs espagnols, avoit été porté naturellement à concevoir beaucoup d'estime pour Sénèque et pour Lucain, tous deux nés en Espagne, et qui sembloient avoir servi de modèles aux écrivains modernes de ce pays. C'est encore ce goût vicieux qui avoit influé sur le génie de Corneille, et qui avoit fait dire à Boileau, dans un mo, ment d'humeur :

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

G

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Ces défauts ne se trouvent que très-rarement dans les bonnes pièces de Corneille, et ils disparoissent sous le grand nombre de beautés franches, hardies et sublimes. Mais, dans ses dernières pièces, lorsque le feu de la jeunesse se fut éteint, les beautés diminuèrent, et les fautes devinrent plus fréquentes. On admire encore cependant une scène d'Attila, où le poëte fait la peinture de l'empire romain qui s'écroule et de la France qui s'élève.

כב

Un grand destin commence, un grand destin s'achève;
L'empire est prêt à choir, et la France s'élève :
L'une peut avec elle affermir son appui,

Et l'autre en trébuchant l'ensevelir sous lui.

L'empire, je l'avoue, est encor quelque chose,
Mais nous ne sommes plus au temps de Théodose,
Et, comme dans sa race, il ne revit pas bien,
L'empire est quelque chose, et l'empereur n'est rien.

сс

Voilà, dit M. Palissot, des idées qui rappellent le souvenir de Corneille ». Le rôle de Suréna, et le dernier acte de la pièce qui porte ce nom doivent être distingués ; ils renferment des beautés qui n'ont pas été assez senties. On convient aujourd'hui assez généralement le Commentaire de Voltaire sur les pièces

que

du père de la scène françoise, est beaucoup trop sévère. Si l'on en croit les partisans du poëte moderne, cette sévérité ne lui fut point inspirée par la jalousie. On peut du moins penser que l'impatience et l'ennui que dut éprouver l'homme dont l'imagination étoit la plus vive et la plus mobile, en se livrant aux travaux pénibles et minutieux d'un commentateur, dûrent influer sur son jugement, et contribuèrent à donner de l'aigreur et de l'injustice à ses critiques. La plus grande partie des censures de Voltaire porte sur des mots et des tours de phrase qui étoient en usage du temps de Corneille, et qu'on ne peut lui reprocher. Il suffisoit d'avertir les étrangers que ces mots et ces tours de phrase avoient été bannis de la langue moderne.

M. Palissot relève un grand nombre de ces critiques, et prouve que Voltaire a souvent blâmé des expressions fortes et hardies qu'on peut considérer comme des beautés. Il fait aussi des observations très-justes sur les métaphores, et sur l'idée que Voltaire s'en étoit formée.

<<< Toute métaphore, dit Voltaire, qui ne » forme point une image vraie et sensible, est » mauvaise; c'est une règle qui ne souffre point » d'exception:

ככ

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G 2

DE LA

VILLE

1893

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