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comme un des plus beaux morceaux de poésie descriptive, a été composé quelque temps après les premières représentations des Frères ennemiş. Racine, par une modestie rare dans un jeune poëte, s'étoit servi d'un récit qui se trouve dans l'Antigone de Rotrou, et qui avoit alors une grande réputation. Le morceau que Racine substitua depuis aux vers de Rotrou ne doit, donc pas être examiné sous le même point de vue que le reste de la pièce.

On remarque des progrès dans Alexandre: Le rôle de Porus annonçoit un grand maître : mais Racine ne donna' une idée juste de la perfection à laquelle il devoit arriver que dans Andromaque, qui eut le même succès que le

Cid.

Rappellerai-je des vers qui sont gravés dans la mémoire de tous ceux qui ont quelque goût pour les lettres françoises? Examinerai-je avec un soin minutieux des tragédies qui, depuis un siècle, ont épuisé l'admiration des lecteurs et des commentateurs? « Racine a tout fait → disoit Voltaire, il n'y a qu'à écrire au bas » de chaque page: Beau, pathétique, harmo» nieux, sublime »!

En effet, il est impossible de faire sentir cette pureté soutenue dans le style, cette raison

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supérieure qui préside à toutes les pensées, cette convenance parfaite du langage de tous les personnages que peint le poëte, cet heureux choix de mots qui semblent réunis sans effort, cette harmonie continuelle et variée qui fait disparoître la monotonie de nos alexandrins et qui produit sur toutes les oreilles délicates l'effet d'une musique enchanteresse. On doit lire Racine, si l'on veut se former une idée de son génie. Les observations littéraires ne sont utiles que lorsqu'un poëte présente des défauts mêlés à des beautés. Elles peuvent préserver les, jeunes gens d'une admiration aveugle pour des idées fausses ou pour de mauvaises alliances de mots. Dans Racine, elles seroient superflues, et l'on peut tout admirer sans craindre de compromettre son goût.

Je crois devoir répondre à quelques critiques qui ont été faites dans le dix-huitième siècle par les admirateurs outrés de Voltaire. On a prétendu que Racine n'avoit su peindre que des Juifs, et que le coloris local manquoit à ses autres pièces (1).

(1) M. Saint-Lambert, dans la note de ce vers des Saisons, où il désigne ainsi Voltaire :

Vainqueur des deux rivaux qui régnoient sur la scène.

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En commençant par Andromaque, je ferai observer que le personnage d'Oreste répond parfaitement à l'idée que les anciens nous en ont laissée. Malheureux dans tout ce qu'il entreprend, il paroît frappé de cette fatalité terrible qni l'entraîne malgré lui au crime. C'est lui qui porte à la cour d'Epire l'infortune qui le suit constamment. A son aspect, la paix est bannie, les passions les plus violentes sont excitées, et une catastrophe affreuse se prépare. Le rôle d'Andromaque renferme peut-être le tableau le plus pur des mœurs des anciens. Aucun ornement moderne ne dépare le caractère de la veuve d'Hector et de la mère d'Astianax. Hermione est telle que doit être la fille de Ménélas. Elle a toute la fierté de la famille des Atrides. On lui a reproché un peu de coquetterie, mais 'on n'a pas remarqué que les emportemens, les artifices, le dépit d'une femme outragée, he tiennent ni aux temps, ni même aux mœurs. S'est-on jamais avisé de relever dans Homère la coquetterie d'Hélène ? On a donc mal-àpropos critiqué, dans la tragédie d'Andromaque, un des caractères les plus vrais que Racine ait tracés.

Britannicus mérite-t-il le reproche de n'avoir point de coloris local ? Il faut être de bien mau

vaise foi, pour oublier que, dans cette tragédie admirable, Racine a su faire passer dans notre langue poétique les traits les plus frappans et les plus profonds de Tacite. Néron, entre le vice et la vertu, désignés par les caractères de Narcisse et de Burrhus ; dégoûté d'une épouse dont la constance le fatigue, se familiarisant avec le crime par les exemples récens du règne de Claude; Agrippine, toujours dévorée d'ambition, voyant son crédit se perdre à la cour d'un fils pour lequel elle a tout sacrifié ; Burrhus, cherchant à la calmer, défendant par une politique sage le prince dont il désapprouve en secret les actions, et s'exposant à une disgrâce par les vertueuses remontrances qu'il ose faire à son empereur; Britannicus enfin, n'opposant que la franchise imprudente d'un jeune homme aux artifices d'une cour corrompue toutes ces combinaisons dramatiques, rendues plus belles et plus frappantes par un style constamment assorti aux mœurs, aux caractères et aux situations, ne sont-elles pas des modèles où l'on remarque toutes les ressources que la tragédie peut puiser dans l'histoire ?

Tout le monde convient que, dans Bajazet, le rôle d'Acomat est un chef-d'œuvre. On n'a

peut-être pas assez remarqué que ce rôle renferme tout le génie de l'empire turc. On y voit les abus du despotisme, on distingue facilement que la mort d'Amurat et l'élévation de Bajazet nę changeront rien au gouvernement. Le sérail seul éprouvera une révolution. Il n'appartient qu'au génie de placer des vues si profondes dans un ouvrage dramatique. Il faudroit citer tout ce rôle, si l'on vouloit chercher jusqu'à quel point le style répond à la situation et aux projets du visir. On s'accorde moins sur le rôle de Roxane. Ce n'est point une princesse à qui l'éducation a donné la modestie et la décence qui conviennent à son sexe; c'est une esclave élevée au rang de favorite, qui n'a aucune délicatesse, dont rien ne contient la passion furieuse, et qui consent à pardonner à son amant, s'il veut voir périr celle qu'il aime. La diction enchanteresse de Racine pouvoit seule faire réussir ce rôle, le plus difficile peut-être qu'un poëte dramatique pût tracer. Plusieurs critiques ont reproché de la foiblesse au personnage de Bajazet; mais ils n'ont pas fait réflexion que ce jeune prince, enfermé dans le sérail dès son enfance, partagé entre une princesse qu'il aime, et une femme dont son sort dépend, devoit nécessairement avoir quelques irrésolutions produites

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