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produites par son inexpérience, et par la situation difficile où il se trouve. Cependant le poëte ne laisse point échapper une occasion de montrer la générosité et l'élévation de son caractère. Bajazet dit au visir :

La mort n'est pas pour moi le comble des disgrâces,
J'osai tout jeune encor la chercher sur vos traces,
Et l'indigne prison où je suis enfermé

A la voir de plus près m'a même accoutumé.

Lorsque Roxane lui offre sa grâce à condition qu'il verra périr Atalide, Bajazet lui répond:

Je ne la recevrois que pour vous en punir;

Que pour faire éclater aux yeux de tout l'empire
L'horreur et le mépris que cette offre m'inspire.

Ces exemples suffisent pour prouver que Bajazet n'a point la foiblesse qui lui a été si souvent reprochée. Il n'a aucune crainte de la mort, et montre toutes les dispositions à devenir un grand prince s'il est délivré de sa captivité.

La haine que les peuples de l'Orient avoient conçue pour les Romains, l'indignation qu'avoient dû leur inspirer ces conquérans, qui n'avoient aucun respect pour les droits des nations, et qui employoient leur politique à les asservir en les divisant, n'avoient été peintes que

H

par

Corneille dans Nicomède. Mais le principal personnage de cette dernière pièce n'avoit peutêtre pas une réputation assez avouée par les historiens, pour produire tout l'effet qu'on pouvoit attendre de cette aversion implacable et invétérée. L'excellent goût de Racine, qui vouloit traiter cette situation vraiment théâtrale, le porta à choisir Mithridate, ce roi qui fit trembler les conquérans du monde, et qui ordonna la mort de cent mille Romains. Pour peu que l'on veuille examiner cette tragédie, on ne doutera plus qu'elle ne peigne, avec la plus grande vérité, les mœurs du temps, et qu'elle ne rappelle parfaitement les historiens d'où elle est tirée. Mithridate n'a-t-il pas les vertus et les vices que lui attribuent toutes les traditions historiques ? Racine le représente vaincu, mais son abaissement ne le rend-il pas plus terrible et plus théâtral ? Les caractères de ses deux fils ne contribuent-ils pas à former le tableau dramatique le mieux composé? Pharnace ressemble à son père pour la fausseté; il l'atteint presque dans l'art d'entraîner ses ennemis dans le piége; mais il n'a aucune de ces grandes qualités qui balançoient les vices de Mithridate. Xipharès possède les vertus brillantes de son père ; il a pour les Romains la même haine; le même

courage le rend invincible dans les combats; mais il n'est pas, comme Mithridate, traître et cruel. Son caractère est noble, généreux, et doit fixer tout l'intérêt. On voit que, par cette combinaison pleine de raison et de génie, les deux fils ressemblent à leur père d'une manière différente, et donnent lieu au contraste le plus heureusement calculé. Que dirai-je de Monime? de ce rôle si tendre, et en même temps si décent? Quelques critiques lui ont trouvé trop de politesse, et une couleur trop moderne. Il suffit de leur répondre que Monime n'est point née dans le royaume barbare du Pont. Elle a vu le jour sous le ciel heureux de la Grèce; elle a été élevée dans le pays le plus policé qu'il y eût alors. Racine devoit donc lui donner un langage et une politesse inconnus à la cour de Mithridate. En cela, il a donc parfaitement conservé le coloris local. Je n'ai point parlé des beaux développemens du caractère de Mithridate, et des moyens qu'il propose à ses enfans pour porter la guerre jusque sous les murs de Rome. Ces morceaux sublimes sont trop connus.

Il n'y a que les détracteurs les plus injustes et les plus outrés, qui aient osé attaquer le coloris d'Iphigénie. Ce chef-d'œuvre a été examiné avec soin par Voltaire, qui en a fait ressortir

se donnant la mort ; et le poëte pousse le soin de conserver le coloris local, jusqu'à faire dire à Phèdre qu'elle meurt

D'un poison que Médée apporta dans Athènes.

Toutes ces observations me semblent prouver que jamais poëte dramatique ne poussa plus loin que Racine la fidélité pour le coloris local. Voltaire lui-même a étudié avec beaucoup moins de succès cette partie de l'art théâtral, quoiqu'il ait toujours affiché beaucoup de prétention à peindre différens usages et différentes mœurs.

Cette digression sur le coloris qui convient aux diverses tragédies, pourroit, au premier coup-d'œil, paroître sortir de mon sujet ; mais je ferai observer que, sans le style, il n'y a point de coloris dans la poésie. En effet, Racine n'a dû qu'à sa diction toujours variée, toujours pure, toujours élégante, cette aptitude à peindre les hommes de tous les lieux et de tous les temps.

Si l'on peut lui reprocher d'avoir quelquefois sacrifié au goût de son siècle, on ne trouve jamais des exemples de cette faute dans les principaux personnages de ses pièces. Ils ne pourroient, à la rigueur, se faire remarquer que dans quelques vers des rôles de Pyrrhus, de Junie,

d'Atalide, et d'Aricie. Je ne parlerai point d'Athalie; les détracteurs de Racine ont avoué qu'il avoit su peindre les Juifs. Je terminerai ce que j'ai à dire sur ce grand poëte, par quelques observations relatives au commentaire de Bérénice par Voltaire, et par un examen d'Esther, tragédie trop peu estimée, où Racine a cependant déployé autant d'art et de talent

ses autres chefs-d'œuvres.

que dans

Voltaire, dans ses réflexions sur Bérénice, commence par attaquer le personnage d'Antiochus, qu'il trouve fade et sans couleur. L'épreuve de la représentation, toujours décisive, lorsqu'il ne s'agit que de juger la conception d'un rôle, est manifestement contraire à cette opinion. Si l'on veut en décider par la simple lecture, on ne pourra s'empêcher de s'intéresser à ce personnage, qui éprouve tous les tourmens d'un amour sans espoir, qui est obligé de faire l'éloge de son rival, et qui placé entre deux amans que l'honneur force à se séparer, se trouve en butte à leurs caprices. Voltaire avoue cependant que la douce harmonie des vers de Racine se fait principalement remarquer dans ce rôle.

Bérénice, qui n'est pas encore instruite du sort dont elle est menacée, dit qu'elle va invo

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