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quer les dieux pour que le règne de son amant soit heureux, et elle ajoute :

Aussitôt sans l'attendre et sans être attendue,
Je reviens le chercher ; et dans cette entrevue,
Dire tout ce qu'aux cœurs, l'un de l'autre
Inspirent des transports retenus si long-temps.

contens

Voici la remarque de Voltaire. « Ces vers ne » sont que des vers d'églogue. La sortie de Béré» nice, qui ne s'en va que pour revenir dire tout » ce que disent les cœurs contens, est sans in» térêt, sans art, sans dignité. Rien ne ressemble » moins à une tragédie ». On sentira facilement l'inattention de Voltaire, qui ne relève ici que la phrase incidente. En tournant ainsi la pensée de Racine, non-seulement elle est indigne de la tragédie, mais elle est ridicule. Bérénice ne reviendra pas dire tout ce que disent les cœurs contens, mais elle reviendra exprimer tout ce qu'inspirent des transports si long-temps retenus. Cette pensée est juste, elle rentre bien dans le sujet, puisque, depuis la mort de Vespasien, Bérénice n'a point vu Titus.

сс

dit

<<< Presque toutes les héroïnes de Racine, » Voltaire, étalent des sentimens de tendresse, » de jalousie, de colère, de fureur, tantôt sou» misęs, tantôt désespérées. C'est avec raison

כב

seul mot,

» qu'on a nommé Racine le poëte des femmes. » Ce n'est pas là du vrai tragique ». Ici, la réflexion devient générale; elle s'applique à Hermione, à Roxane, à Ériphyle et à Phèdre. D'un Voltaire insinue que la plus grande partie des tragédies de Racine n'ont pas un vrai tragique. Sans doute l'amour n'est pas l'unique ressort de la tragédie, Racine l'a prouvé dans Iphigénie, dans Esther et dans Athalie. Mais les situations et les sentimens que peuvent fournir la religion, l'amour maternel, la piété filiale et l'amitié fraternelle, sont très-bornés; au lieu que l'amour prend mille formes différentes; ses tourmens, ses erreurs, ses caprices même, sont une source inépuisable d'idées tragiques. Il est étonnant que Voltaire ait fait cette remarque, lui qui n'a banni l'amour que dans Mérope, Oreste et César.

Quelques pages plus loin, Voltaire donne plus de développement à cette idée; mais il tombe dans une contradiction. Il vient de dire expressém nt que Racine a étalé des sentimens de jalousie, de fureur, et il fait la réflexion suivante à l'occasion de ce vers si naturel et si touchant:

Vous ne comptez pour rien les pleurs de Bérénice.

( 122 )

122)

<<< Tout cela me paroît petit, je le dis hardi» ment; et je suis en cela seul de l'opinion de Saint-Évremont, qui dit en plusieurs en» droits, que les sentimens, dans nos tragédies, » ne sont pas assez profonds, que le désespoir » n'y est qu'une simple douleur, la fureur un » peu de colère ».

le

Dans Phèdre, le désespoir n'est-il qu'une simple douleur? Dans Hermione et dans Roxane, la fureur n'est-elle qu'un peu de colère? Cependant, à l'époque où Voltaire écrivoit, on se faisoit illusion au point de croire que style enchanteur de Racine n'avoit été propre qu'à peindre des sentimens doux et élégiaques, plutôt que tragiques. M. de Saint-Lambert disoit « On va frémir et fondre en larmes >> aux tragédies de M. de Voltaire; et on revient » dire par habitude que rien ne peut égaler >> Corneille et Racine ».

:

Je ne pousserai pas plus loin mes réflexions sur le commentaire de Bérénice. J'aurois à relever des fautes d'attention pareilles à celles que je viens d'indiquer.

Dans un temps où, par une espèce de mode, on se faisoit un mérite de trouver des fautes dans Racine, l'abbé d'Olivet, si peu digne de sentir les beautés de ce grand poëte, fit aussi un petit

commentaire, où, plus hardi que Voltaire, il examina le style de toutes les tragédies. Les réflexions du grammairien sont si minutieuses, si dépourvues de goût, que je ne m'y arrêterai point. Je n'en citerai que deux, qui servent à prouver combien la timide exactitude est inhabile à juger le génie.

כב

כל

Théramède dit, en parlant de Thésée :

Par un indigne obstacle il n'est point retenu;
Et fixant de ses voeux l'inconstance fatale,
Phèdre, depuis long-temps, ne craint plus de rivale.

« Pendant qu'on lit le second vers, observe » d'Olivet, on se persvade, et avec raison, qu'il se rapporte au nominatif énoncé dans » le premier. On n'est détrompé que par le » troisième vers, qui prouve que tout ce qui » est dit dans le second, se rapporte à Phèdre ».

Si, au lieu d'une virgule que l'abbé d'Olivet a mise après le premier vers, il y eût placé un point et virgule, il n'y auroit point eu d'équivoque. Il est pénible de faire des remarques si minutieuses.

Pyrrhus dit, en parlant d'Astianax :

сс

Oui, les Grecs sur le fils persécutent le père.

<< Rien de si clair que persécuter quelqu'un, >> dit l'abbé d'Olivet; mais persécuter quel

qu'un sur un autre, ne seroit-ce pas de ces » mots qui, comme on parle quelquefois en » riant, doivent être bien étonnés de se trouver » ensemble »> ?

כל

Cette remarque est celle d'un foible prosateur qui n'a aucune idée de la langue poétique. L'alliance de mots est très-hardie, à la vérité ; mais elle est claire, élégante, précise, et ne blesse point les règles de l'analogie.

Tous ceux qui ont cherché à déprimer Racine, se sont accordés à dire qu'Esther n'avoit dû son succès à Saint-Cyr, qu'aux allusions faites par les courtisans à la faveur de madame de Maintenon. Ils n'ont pu révoquer en doute que le style ne fût admirable; mais ils ont prétendu qu'on ne pouvoit regarder cette pièce que comme une suite de beaux vers dont la représentation ne pouvoit intéresser. Examinons jusqu'à quel point ces reproches peuvent être fondés, et essayons de détruire un préjugé qui s'est conservé jusqu'à présent.

Vous ne trouverez point dans cette pièce les passions violentes mises en jeu ; vous n'y verrez point de ces rivalités, de ces excès, de ces crimes, produits par un sentiment dont l'empire est si puissant sur les hommes, et qui sont un des principaux ressorts de nos tragédies.

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