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Cette scène a tout l'effet que l'on peut attendre d'une situation aussi terrible. Le poëte a soin de retracer le caractère d'Esther. Il fait dire au roi :

Je ne trouve qu'en vous, je ne sais quelle grâce,
Qui me charme toujours, et jamais ne me lasse;
De l'aimable vertu doux et puissans attraits!
Tout respire en Esther l'innocence et la paix.

Étoit-il possible de rassembler plus d'intérêt sur cette reine aussi vertueuse que belle? Il a fallu être bien égaré par l'esprit de parti pour méconnoître tant d'art et tant de beautés. Mais c'est dans le troisième acte, qu'Esther emploie toutes les ressources d'une éloquence douce et persuasive, pour obtenir la grâce des Israélites. Elle commence par rappeler leur antique gloire:

Ces Juifs dont vous voulez délivrer la nature,
Que vous croyez, seigneur, le rebut des humains,
D'une riche contrée autrefois souverains,
Pendant qu'ils n'adoroient que le Dieu de leurs pères,
Qnt vu bénir le cours de leurs destins prospères.

Elle présente ensuite l'idée du Dieu d'Israël :

Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N'est point tel que l'erreur le figure à vos yeux;

L'Eternel est son nom, le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage;
Juge tous les mortels avec d'égales lois,

Et du haut de son trône interroge les rois.

Elle peint la captivité de Babylone, la délivrance des Juifs par Cyrus; et elle fait adroitement l'éloge de son époux :

Dieu regarde en pitié son peuple malheureux,
Disions-nous, un roi règne, ami de l'innocence.

Elle finit par attendrir Assuérus, moyen si puissant dans les péroraisons.

Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ?
Quelle guerre intestine avons-nous allumée?
Les a-t-on vus jamais parmi vos ennemis?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis?
Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie,
Tandis que votre main, sur eux appesantie,
A leurs persécuteurs les livroit sans secours,
Ils conjuroient ce Dieu de veiller sur vos jours,
De rompre des méchans les trames criminelles,
De mettre votre trône à l'ombre de ses ailes.

Il me semble résulter de cette analyse du rôle d'Esther, que ce personnage, qui n'a jamais été imité au théâtre, et qui porte en conséquence tous les caractères de l'originalité, pourroit produire un grand effet à la représentation. Mais, disent les critiques, les autres rôles sont foibles.

Seroit-ce Mardochée ? Écoutons-le exhorter Esther à se sacrifier pour Israël :

Quoi! lorsque vous voyez périr votre patrie,

Pour quelque chose, Esther, comptez-vous votre vie?
Dieu parle ; et d'un mortel vous craignez le courroux !
Que dis-je ? votre vie, Esther, est-elle à vous?
dont vous êtes issue?

N'est-elle pas au sang
N'est-elle pas à Dieu dont vous l'avez reçue?
Et qui sait, lorsqu'au trône il conduisoit vos pas,
Si pour sauver ce peuple, il ne vous gardoit pas?

s?

Songez-y bien, ce Dieu ne vous a point choisie
Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Asie,
Ni pour charmer les yeux des profanes humains.

Mardochée ajoute :

Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours?
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre?
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre
Pour dissiper leur ligue, il n'a qu'à se montrer;
Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au seul son de sa voix, la mer fuit, le ciel tremble:
Il voit comme un néant tout l'univers ensemble;

Et les foibles mortels, vils jouets du trépas,

Sont tous,

devant ses yeux,

comme s'ils n'étoient pas.

A-t-on jamais vu une telle profusion de beautés poétiques? cette éloquence ne doit-elle pas tout entraîner? Le personnage de Mardochée que, par une adresse extrême, Racine n'offre

qu'un moment aux regards, a-t-il un rôle foible?

Le rôle d'Aman est un des plus profonds que Racine ait imaginés. Ce ministre cruel peint d'un seul trait sa situation et son caractère :

J'ai su de mon destin corriger l'injustice.

Dans les mains des Persans, jeune enfant apporté,
Je gouverne l'empire où je fus acheté.

Ce trait rappelle tout de suite les mœurs de l'Orient. Un esclave gouverne l'empire où il fut acheté. Tous les vices de ces gouvernemens monstrueux se développent à l'instant au lecteur. Du sein de la fange, s'élèvent des hommes qui portent dans les emplois publics, les penchans honteux de la servitude. Rampans avec leurs maîtres, ils poussent à l'excès l'insolence avec leurs inférieurs. Tout autre qu'un esclave parvenu, auroit - il pu ordonner la mort d'un peuple entier, parce qu'il a été bravé par un individu de cette nation? On reconnoît dans cette combinaison la raison supérieure de Racine. Remarquez la suite de ce caractère lorsqu'Aman se plaint d'Assuérus:

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Il sait qu'il me doit tout, et que, pour sa grandeur,
J'ai foulé sous les pieds, remords, crainte, pudeur;

Qu'avec un cœur d'airain, exerçant sa puissance,
J'ai fait taire les lois, et gémir l'innocence.

Ce caractère, soutenu par tout le talent de Racine, fait le plus heureux contraste avec la pureté et la douceur d'Esther.

Le rôle d'Assuérus est le moins théâtral; mais tout le monde conviendra qu'il est bien supérieur au personnage du roi dans le Cid. On doit observer que, dans cette pièce, Racine a banni les confidens. Elise est une ancienne amie qu'Esther revoit après une longue absence; Hidaspe est un officier du palais qui n'a qu'un entretien avec Aman. Tharès est la femme de ce ministre; il est naturel qu'il s'explique avec elle sans déguisement.

Les chœurs d'Esther sont aussi beaux que ceux d'Athalie. On connoît le talent de Racine

pour le genre lyrique. Je ne citerai qu'un morceau dont l'idée est prise dans le fameux Pseaume, Super flumina Babylonis.

Déplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire?

Tout l'univers admiroit ta splendeur,

Tu n'es plus que poussière; et de cette grandeur,
Il ne nous reste plus que la triste mémoire.
Sion, jusques au Ciel élevée autrefois,
Jusqu'aux Enfers maintenant abaissée!

Puissé-je demeurer sans voix,

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