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littérature. Tout plia devant Despréaux : et, tant qu'il vécut, ses jugemens furent adoptés et confirmés par le public. Comme si ce nom eût encore inspiré le respect et la crainte même après la mort de celui qui l'avoit porté, pendant long-temps personne ne s'éleva contre les ouvrages de Boileau. La Motte, dans tous ses paradoxes sur l'épopée, sur la tragédie, et sur la poésie en général, ne cite Despréaux qu'avec respect. L'abbé Trublet qui, avec beaucoup moins d'esprit, poussa plus loin l'erreur des faux systèmes, osa le premier attaquer ce colosse littéraire. Boileau, dans la dernière édition qu'il donna de ses OEuvres, avoit, pour ainsi dire, révélé son secret au public; il avoit indiqué les principes qui l'avoient guidé dans ses travaux, et les causes des succès qu'il avoit obtenus. Après avoir établi que les ouvrages d'esprit ne réussissent que s'ils ont un certain sel, et un certain agrément propres à piquer le goût général des hommes, Boileau ajoute : Que si on me demande ce que c'est que cet agrément et ce sel, je répondrai que c'est un » je ne sais quoi qu'on peut beaucoup mieux » sentir que dire. A mon avis, néanmoins, il >> consiste principalement à ne jamais présenter au lecteur que des pensées vraies et des expres

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»sions justes. Qu'est-ce qu'une pensée neuve, >> brillante, extraordinaire? Ce n'est point, » comme se le persuadent les ignorans, une pensée que personne n'a jamais eue, ni dû >> avoir. C'est au contraire une pensée qui a dû » venir à tout le monde, et que quelqu'un » s'avise le premier d'exprimer ». Boileau cite pour exemple la fameuse réponse de Louis XII: « Un roi de France ne venge point les injures » d'un duc d'Orléans. D'où vient, ajoute-t-il, » que ce mot frappe d'abord ? N'est-il pas aisé » de voir que c'est parce qu'il présente aux » yeux une vérité que tout le monde sent, et qu'il dit mieux que tous les beaux discours » de morale, qu'un grand prince, lorsqu'il est » une fois sur le trône, ne doit plus agir par des » mouvemens particuliers,ni avoir d'autres vues » que la gloire et le bien général de son état »?

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Ces principes de Despréaux devroient être sans cesse présens à l'esprit de tous ceux qui écrivent, soit en prose, soit en vers. C'est en les suivant que l'auteur de l'Art poétique a su se préserver de l'emphase qu'on prend souvent pour de la force, de l'obscurité à qui l'on donne le nom de profondeur, et qu'il a toujours été plein de raison, de clarté et de naturel. L'abbé Trublet s'est efforcé de prouver

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que ces principes n'étoient pas justes, afin d'en prendre occasion de dénigrer tous les ouvrages de Boileau. Je n'entrerai point dans les détours de sa métaphysique, où l'esprit d'analyse ne sert qu'à donner plus de fausse té à ses raisonnemens. Je citerai seulement un exemple de sa manière de définir. Il explique ainsi l'effet que produit la réponse de Louis XII: «La duplicité des personnes qu'elle suppose dans une seule, » cause à l'esprit une sorte de surprise qui le » rend plus attentif à la vérité 'qu'on lui pré>> sente». Que l'on compare cette explication subtile et entortillée à celle que donne Despréaux, et l'on pourra juger lequel des deux auteurs a pour lui le goût et la raison. L'abbé Trublet veut prouver ensuite que, dans la poésie, les idées sont presque toujours fausses, parce qu'on les sacrifie à l'élégance des phrases. Il oublie que Boileau a commencé par dire que le secret des grands poëtes étoit de ne présenter que des pensées vraies et des expressions justes, « Ce défaut de vérité et de justesse, continue » l'abbé Trublet, dans la plupart de ces ou» vrages, même les plus estimés, en a dégoûté >> de tout temps plusieurs bons esprits. N'a-t-on » pas droit de conclure, ajoute-t-il, que la poésie qui existe et qu'on connoît, n'est pas

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» fort estimable, si l'on en juge par le principe » que le plus grand mérite d'un ouvrage n'est » pas d'être bien écrit, mais bien pensé »? En parlant de Racine, j'ai déja fait sentir que la beauté du style étoit inséparable de la justesse des pensées. Que l'on relise Racine et Boileau, et l'on verra que leurs plus beaux morceaux sont ceux où règne la raison supérieure dont ces deux grands esprits étoient doués. Cette idée sera mieux sentie, si l'on remarque que les erreurs du dix-huitième siècle n'ont jamais été revêtues d'un style digne d'être admiré dans tous les temps, et que la vérité seule peut donner un éclat durable à la diction d'un écrivain.

Je ne me suis un peu étendu sur les paradoxes d'un auteur, presque oublié, que parce qu'ils ont été reproduits avec une sorte de succès. Le célèbre Buffon jugeoit ainsi la poésie. Marmontel avoit puisé dans Trublet ses invectives contre Boileau ; et Voltaire même, qui avoit couvert cet abbé d'un juste ridicule, s'abaisse quelquefois jusqu'à répéter ses jugemens sur Despréaux.

Marmontel, dans son Essai sur le goût, soutient contre l'auteur de l'Art poétique, Lucain et Quinault; il appelle Boileau un critique peu

sensible. On pourroit demander à quoi peut servir la sensibilité dans la satire. Mais à l'époque où Marmontel écrivoit, c'étoit la mode d'être sensible. On mettoit du sentiment dans tout. Une discussion politique, un ouvrage de science, le compte qu'un ministre rendoit de son administration n'auroient point été lus, s'ils n'avoient annoncé la profonde sensibilité de leur auteur. On pourroit s'étendre davantage sur cette mode singulière du dix-huitième siècle, qui, de nos jours, a encore plusieurs partisans.

Dans ses Élémens de littérature, ouvrage qui devroit être un livre classique, Marmontel traite Boileau avec encore plus d'injustice. Il lui trouve moins de verve qu'à Regnier. Il lui reproche de n'avoir pas saisi le côté moral du siècle de Louis xiv, de n'avoir pas peint l'avidité des enfans impatiens de succéder, les folles dépenses de deux époux, les fantaisies, le jeu vorace, le luxe ruineux. Marmontel n'étoit de bonne foi, ou il avoit pas peu lu Boileau. En effet, l'avidité des héritiers n'est-elle pas

peinte dans la cinquième épître :

Oh! que si cet hiver un rhume salutaire,
Guérissant de tous maux mon avare beau-père,
Pouvoit, bien confessé, l'étendre en un cercueil,

Et remplir sa maison d'un agréable deuil;

Que

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