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troduit sur le théâtre. Le ridicule y est noble, si je puis m'exprimer ainsi; et c'est peut-être l'effort le plus extraordinaire qu'ait fait le créateur de la comédie françoise. Le fougueux Alceste, le prudent Philinte, la coquette Célimène, la douce Éliante, la prude Arsinoé, le pédant Oronte, les deux marquis, forment, par leurs caractères, les contrastes les plus piquans; il résulte de leur rapprochement les scènes les plus comiques et les plus spirituelles; enfin ils composent cet ensemble heureux et inimitable qu'on ne se lassera jamais d'admirer. Les Femmes savantes montrèrent le ridicule des bourgeoises qui veulent cultiver les lettres et les sciences, et qui sacrifient leurs devoirs et les grâces de leur sexe à un vain pédantisme. Les caractères d'Armande et d'Henriette développent parfaitement cette idée. Le public avoit fait trop de progrès dans le langage, depuis le Misantrope, pour que Molière se crût obligé de faire faire la critique des deux pièces de vers de Trissotin. Au contraire, les éloges dont on accable ce mauvais poëte, servent à faire apercevoir tous ses défauts. Il faut remarquer que, dans cette pièce, Molière présente un homme de la cour qui, par son langage élégant et simple, fait ressortir les phrases pédantesques de Trissotin et de Vadius.

Je ne ferai point observer les beautés théâ trales des pièces de Molière ; je ne parlerai point du rôle inimitable d'Agnès, du personnage aussi passionné que comique d'Arnolphe, du second acte de l'Ecole des maris, où toutes les ressources de la comédie sont déployées ; je n’analyserai point le caractère de l'Avare, si supérieur à celui de Plaute; je ne ferai point remarquer que tous les personnages qui entourent Harpagon, et une multitude de circonstances telles qu'un jour de fête, des projets de mariage, un repas à donner, etc. contribuent à rendre plus forte et plus dramatique la situation de l'Avare; je ne m'étendrai pas sur le Tartuffe, où se trouve l'intrigue la plus savante que Molière ait conçue ; je n'examinerai point le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire, et cette foule de petites pièces où l'on trouve toujours ce profond talent d'observation, et ce comique plein de force, qui n'ont jamais appartenu qu'à Molière.

Obligé de multiplier ses pièces pour un théâtre dont il étoit directeur, il négligea quelquefois son style. Quelques grands esprits de son temps, et principalement Boileau et Fénélon, lui en firent le reproche. On trouve sur-tout dans ses premières pièces quelques mots vieillis,

quelques phrases incorrectes; mais, en général, sa prose est élégante, naturelle, et sur-tout parfaitement assortie aux personnages qu'il fait parler; ses vers sont pleins d'énergie et de verve. On a remarqué qu'aucun poëte n'avoit senti, mieux que lui, l'harmonie des vers libres. Amphitryon peut être regardé comme un modèle dans ce genre.

Les habitudes adoptées dans le monde, la politesse qu'on voit régner, le soin que prennent les personnes bien élevées d'éviter les ridicules, l'absence, ou du moins la dissimulation de quelques vices difformes, sont l'ouvrage de Molière. La langue françoise ne lui doit pas moins. Ce grand homme mérita donc, sous tous les rapports, l'éloge du père Bouhours :

Tu réformas et la ville et la cour, etc.

Regnard, qui fut le successeur de Molière, l'égala quelquefois dans la gaîté du style. On remarque même dans cet auteur des alliances de mots comiques que l'auteur du Misantrope n'a pas connues. Mais quelle différence entre Molière et Regnard, pour la conception des pièces, pour les vues morales, et pour le fonds des idées? Molière ne doit jamais ses plaisanteries à un bon mot isolé ; il les puise dans son sujet;

elles naissent de la situation, et leur effet est toujours sûr. Regnard, au contraire, s'abandonne à sa gaîté naturelle; il place les mots plaisans sans faire une distinction toujours juste de leur convenance. Il fait rire, mais il s'éloigne quelquefois de la vraisemblance, etne donne pas aux connoisseurs cette satisfaction complette qu'ils trouvent dans les ouvrages du père de la comédie. Le caractère des deux auteurs explique cette différence. Molière étoit profond observateur, et par conséquent triste dans le monde; son tempérament étoit bilieux, son esprit irascible. Regnard étoit épicurien; il ne voyoit que des plaisanteries à faire sur les travers de la société ; il saisissoit plutôt le côté bouffon le côté ridicule d'un personnage. De là ses rôles un peu chargés, et le défaut absolu de cette énergie qu'avoit Molière.

que

Le style de Regnard est plein de facilité et de grâces; mais on y relève quelques négligences échappées à la paresse de l'auteur. Malgré ces défauts, on lira toujours avec plaisir les vers du Joueur, du Distrait, et la prose comique et piquante du Retour imprévu. Dufréni, que les comédiens ont mal-à-propos banni du théâtre, n'a pas égalé Regnard, mais son style est spirituel et comique, quoiqu'un peu affecté.

Nous avons vu les grands poëtes du siècle de Louis XIV s'exercer dans la poésie noble, et dans celle qui a pour objet de peindre les ridicules et les travers des hommes. On auroit pu regretter le genre naïf des siècles précédens, si La Fontaine, digne contemporain des Corneille, des Racine et des Molière, n'avoit su faire entrer dans ses fables la manière perfectionnée de Marot, et le petit nombre de bonnes plaisanteries que l'on trouve dans Rabelais. La Fontaine jouit dans son temps, des suffrages qu'il avoit mérités, quoique des raisons étrangères à la littérature l'aient privé des bienfaits de Louis XIV. Dans le dix-huitième siècle, on l'a élevé beaucoup plus haut. Quelques littérateurs ont prétendu qu'il étoit le génie le plus étonnant du grand siècle, et par une inconséquence assez ordinaire aux philosophes modernes, ils ont fait de lui un être impassible, et guidé par son seul instinct. Enfin, pour rendre cette idée, ils l'ont nommé fablier (1), c'est-à-dire un arbre qui porte des fables.

Cet auteur n'étoit point tel que quelques litté

(1) Madame de la Sablière lui avoit donné ce nom, qui ne fut jamais considéré par elle-même, que comme une plaisanterie de société, Dans le dix-huitième siècle, on se souvint

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