Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Les contes de La Fontaine ont quelques-unes des beautés des fables, mais les défauts y sont en plus grand nombre. Sans parlr des tableaux licencieux, et presque tous uniformes, dont ils sont remplis, j'observerai que l'incorrection et les mauvaises tournures de phrase en rendent la lecture difficile pour ceux qui ont du goût, et dangereuse pour ceux qui n'en ont point. Les poésies diverses de La Fontaine sont foibles: on n'y remarque que son élégie sur la disgrâce de Fouquet, qui est un modèle dans ce genre. Son roman de Psyché a le mérite du naturel et de l'invention. Sa comédie du Florentin est restée, non à cause du plan qui est vicieux, mais à cause des détails de style.

Chaulieu donna le premier l'idée de l'aisance et de la légèreté qui doivent caractériser les pièces fugitives. Les progrès du goût avoient fait oublier celles de Voiture, parmi lesquelles on ne trouve qu'une épître qui ait de la grâce et du naturel ; ce sont des vers au grand Condé, qui finissent ainsi :

Croyez-moi, c'est bien peu de chose

Qu'un demi-dieu quand il est mort.

La Fare, dans sa vieillesse, avoit excellé dans ce genre. Chapelle avoit mêlé heureusement

1

les vers à la prose dans son Voyage avec Bachaumont. La description du château de NotreDame-de-la-Garde, dont Scudéry étoit gouverneur, est pleine de gaîté. J'ai déja dit que Chapelle n'étoit pas l'inventeur des poésies à rimes redoublées. Madame Deshoulières acquit beaucoup de réputation par ses poésies amoureuses, et sur-tout par ses idylles. Celle des moutons a été si souvent citée et analysée, queje ne la rapporterai pas ici. Pour donner une idée de son talent poétique, je me bornerai à transcrire un madrigal, où la délicatesse du sentiment me paroît unie à l'élégance de l'expression:

par

Le cœur tout dévoré par un secret martyre,
Je ne demande point, Amour,

Que sous ton tyrannique empire,
L'insensible Tircis s'engage quelque jour.

Pour punir son âme orgueilleuse,

De l'immortel affront qu'il fait à mes attraits
N'arme point contre lui ta main victorieuse.
Sa tendresse pour moi seroit plus dangereuse
Que tous les maux que tu me fais.

Parmi les poëtes qui, sans s'être distingués des chefs-d'œuvres, ont fait des ouvrages très - estimables, on doit distinguer Thomas Corneille. Ses tragédies d'Ariadne et du Comte d'Essex se sont soutenues malgré les critiques

de Voltaire. On trouve le bon style de la comédie dans le Festin de Pierre, le Baron d'Albikrak, la Comtesse d'Orgueil, et l'Inconnu. Plusieurs personnes ignorent que Thomas Corneille fit des ouvrages en prose très-utiles et trèsestimés de son temps. On lui doit des notes judicieuses sur un ouvrage grammatical de Vaugelas, un Dictionnaire universel Géographique et Historique, et un Dictionnaire des Arts, dont les encyclopédistes ont profité pour la partie de leur ouvrage qui concerne les métiers.

Je n'ai point parlé de l'Alaric, du Moyse Sauvé, de la Pucelle, tous ces poëmes épiques que Boileau a si justement anéantis. On trouve cependant, ainsi que l'observe lui-même notre grand critique, quelques passages de la Pucelle qui ont de la force et de la précision. J'en citerai un dans lequel on verra la manière de Chapelain, lorsqu'il s'élève au-dessus de lui-même. Malgré la dureté et la mauvaise tournure des vers, on remarquera des images rendues avec assez de vérité. Le poëte peint la Terreur :

Entre le haut des cieux, et le bas de la terre,
Dans la plaine étendue où règne le tonnerre,
Habite la Terreur qui, par cent froides mains,
Serre et glace le cœur des malheureux humains.

Chapelain fait avec beaucoup de soin la description de cette divinité terrible :

D'un mouvement rapide, elle vole et revole
Du levant au couchant, de l'un à l'autre pôle,
S'accommode sans peine aux changemens du sort,
Et se range toujours du côté du plus fort.

La Terreur va près de Betfort, général anglais : elle l'intimide, en lui offrant les plus affreuses images :

A ses regards douteux, elle peint et figure
Chacun des assaillans, immense de structure;
Les présente chacun de deux masses armé,
Envenimé de haine, et de sang affamé.
Ainsi, dans sa fureur, par son crime excitée,
Sur le mont Cythéron, le fabuleux Panthée
Voyoit ou pensoit voir de ses farouches yeux,

Et deux Thèbes en terre, et deux soleils aux cieux.

Ces vers sont difficiles à lire, quand on est habitué à l'harmonie de ceux de Racine; mais il étoit nécessaire de donner une idée du style de Chapelain, qui jouit long-temps d'une grande réputation. J'ai choisi un de ses plus beaux morceaux ; il faut, pour en trouver de pareils, se condamner à une lecture qui peut être regardée comme un travail très-pénible.

Les gens

de lettres doivent distinguer le Saint

1

Louis du père Le Moine, et la Pharsale de Bréboeuf, où se trouvent quelques beaux vers; mais il faut les lire avec précaution.

Une dispute ecclésiastique fit naître le premier ouvrage où la prose françoise fut fixée et perfectionnée. On devine aisément que je veux parler des Provinciales de Pascal. Balzac avoit donné à son style de l'harmonie et une sorte de dignité; mais cet auteur si vanté de son temps, n'avoit écrit que sur des sujets, frivoles, avec emphase et affectation. Le style de Montagne, nourri d'idées et sans prétention, étoit bien supérieur aux phrases vides et sonores de Balzac.

[ocr errors]

Pour donner une idée juste des Provinciales et des autres ouvrages de Pascal, il est nécessaire que j'explique ce que c'étoit que cette fameuse réunion des solitaires de Port-Royal, quels furent les motifs de leur scission avec l'église romaine, et des persécutions dont ils furent l'objet. L'ouvrage posthume d'un évêque d'Ypres, appelé Jansenius, fut imprimé à cette époque. Quoique très-obscur, il eut le succès qu'obtiennent toujours les livres où l'on espère trouver une nouvelle doctrine. Arnauld, docteur de Sorbonne, et plusieurs ecclésiastiques estimables, crurent trouver dans cet ouvrage les

« AnteriorContinuar »