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» l'univers entier s'arme pour l'écraser ; une » vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer; >> mais quand l'univers l'écraseroit, l'homme >> seroit encore plus noble que celui qui le tue,

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parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que » l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. » Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée ; c'est de là qu'il faut nous relever, non » de l'espace et de la durée. Travaillons donc » à bien penser ; voilà le principe de la morale». Je n'ai pas besoin de faire remarquer l'éloquence avec laquelle cette pensée est exprimée. La vérité peut seule donner cette force et cette justesse dans la tournure et dans l'expression. Voici l'observation de Voltaire : «Que veut dire >> ce mot noble? Il est bien vrai que ma pensée » est autre chose, par exemple, que le globe du. » soleil ; mais est-il bien prouvé qu'un animal, » parce qu'il a quelques pensées, est plus noble » que le soleil qui anime tout ce que nous connoissons de la nature ? Est-ce à l'homme à en » décider? il est juge et partie. On dit qu'un ou» vrage est supérieur à un autre, quand il a » coûté plus de peine à l'ouvrier, et qu'il est d'un » usage plus utile. Mais en a-t-il moins coûté au » Créateur de faire le soleil, que de pétrir un

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petit animal haut de cinq pieds, qui raisonne

» bien ou mal? Qui des deux est le plus utile au monde, ou de cet animal, ou de l'astre qui » éclaire tant de globes? et en quoi quelques » idées reçues dans un cerveau sont-elles pré» férables à l'univers matériel » ? Le lecteur a déjà remarqué la différence du style des deux auteurs. Pascal, en observant la noblesse et la dignité de l'homme, qu'il appelle un roseau pensant, et en le mettant au-dessus de l'univers matériel, rend une idée sublime et vraie, avec toute la magnificence de l'expression. Voltaire, en s'abaissant lui-même au vil état des animaux, parle d'une manière basse et triviale. 'Il est vrai, dit-il, que ma pensée est autre chose que le globe du soleil. Ensuite il compare Dieu à un ouvrier qui eût plus de peine à faire le soleil que l'homme, comme si le Tout-Puissant avoit eu de la peine à créer quelques-uns de ses ouvrages. En quoi, ajoute-t-il, quelques pensées sont-elles préférables à l'univers matériel? Ainsi la fange, qui fait, comme le soleil, partie de l'univers matériel, est aussi noble que l'homme. Quel déplorable usage de l'esprit, lorsqu'on l'emploie à se ravaler jusqu'à se mettre au niveau des animaux et de la matière !

La Recherche de la Vérité, du père Mallebranche, peut être regardée comme un modèle

que

du style qu'on doit employer dans la métaphysique. L'auteur a partagé les erreurs de Descartes; il n'a pas assez réprimé les écarts d'une brillante imagination; mais il a développé de grandes vérités morales, et n'est jamais tombé dans l'obscurité et dans la sécheresse des idéologues modernes. Toutes les opinions de Mallebranche ont quelque chose de sublime`: son systême élève la nature humaine, et la sépare de ce la matière a de vil et de grossier. Il pense que les rapports de nos esprits avec Dieu sont naturels, nécessaires, indispensables; et que les rapports de nos esprits avec nos corps ne le sont point. Les foiblesses inévitables de l'homme sont attribuées à la dégénération d'un état plus parfait. En cela Mallebranche rentre dans les idées de Pascal sur le péché originel. Selon l'auteur de la Recherche de la Vérité, les sens ne sont donnés à l'homme que pour conserver son corps, et pour le garantir des dangers dont il est environné. Si l'homme se livre à leur impulsion, soit pour contenter sa curiosité, soit pour trouver des plaisirs, il ne peut que commettre des erreurs. De notre impuissance à lutter contre nos sens, résultent les égaremens et les crimes de l'humanité. Les preuves de ce systême sont tirées des nombreuses erreurs de nos

sens. Deux hommes ne sentent pas l'un comme l'autre ; il y a autant de différence dans les sensations que dans les formes des individus. Les sens nous trompent sur l'étendue, la figure et 'la nature des objets. Ils sont fidèles et exacts pour nous instruire des rapports que les corps qui nous environnent ont avec le nôtre; mais ils sont incapables de nous apprendre ce que ces corps sont en eux-mêmes. Il faut se servir des sens pour conserver sa santé et sa vie ; mais on ne peut trop les mépriser quand ils veulent s'élever jusqu'à soumettre l'esprit. On voit que cette philosophie ramène à toutes les idées morales qui assurent la durée et le bonheur des sociétés : elle apprend à vaincre les orages des sens, et à consulter une raison indépendante du plaisir et de la douleur. Il peut y avoir des erreurs dans l'ensemble de cette doctrine; mais du moins ces erreurs ne peuvent être d'aucun danger. Le style de Mallebranche répond à la sublimité de ses idées; remarquez avec quelle éloquence il peint l'incertitude de l'homme qui veut percer des mystères supérieurs à la raison humaine. « On appréhende avec sujet, dit-il, » de vouloir pénétrer trop avant dans les ou» vrages de Dieu : on n'y voit qu'infinité par>> tout ; et non-seulement nos sens, notre ima

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gination sont trop limités pour les comprendre; mais l'esprit même, tout pur et tout

dégagé qu'il est de la matière, est trop gros» sier et trop foible pour pénétrer le plus petit » des ouvrages de Dieu. Il se perd, il se dissipe,• » il s'éblouit, il s'effraye à la vue de ce qu'on

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appelle un atôme, selon le langage des sens; >> mais toutefois l'esprit pur a cet avantage sur » les sens et sur l'imagination, qu'il reconnoît » sa foiblesse et la grandeur de Dieu, et qu'il aperçoit l'infini dans lequel il se perd; au » lieu que nos sens rabaissent les ouvrages de » Dieu, et nous donnent une sotte confiance

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quinous précipite aveuglément dans l'erreur». Cette modestie d'un esprit supérieur, cette clarté dans les idées, cette éloquence dans la diction, ne sont-elles pas bien au-dessus du style ordinaire de nos Traités de Matérialisme, où la présomption imprudente de l'homme est aussi repoussante que l'obscurité et la sécheresse de ses pensées ?

Le tableau complet des mœurs et des travers du siècle de Louis XIV fut fait par un homme que l'on peut regarder comme le plus grand observateur qui ait existé. La Bruyère composa ce recueil unique dans son genre, des réflexions que les premières classes de la

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