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société purent fournir à un esprit doué du tact le plus délicat, sur les nuances des devoirs de l'homme, et sur les convenances de mœurs. On pourroit reprocher quelques erreurs de goût à ses réflexions sur les ouvrages d'esprit. L'ancienne réputation de Rabelais, de Ronsard et de Théophile avoit pu l'égarer; mais ce qu'il dit sur les hommes, sur les femmes, sur la cour, sur les usages, sur les jugemens, sur les esprits forts, est un modèle de raison et de justesse. Son style est vif et naturel; le tour de ses phrases est varié et original, quoique l'auteur n'ait jamais cherché ces manières de s'exprimer pointilleuses auxquelles on a depuis donné le nom de trait dans le style. La Bruyère fut, comme tous les grands hommes de son siècle, le défenseur de la religion. Ses argumens contre les esprits forts ont quelque rapport avec ceux de Pascal. Il a fait un chapitre sur le cœur. Vous chercheriez en vain cette sensibilité minutieuse qui a été si à la mode dans le dixhuitième siècle. La Bruyère, en parlant de l'amour, n'a pas cette emphase, ces expressions exagérées que nous avons données aux passions. Ses idées sont toujours simples et vraies.: il ne s'aveugle point sur le bonheur que donne l'amour : «< On yeut faire, dit-il, tout le bonheur

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» ou, si cela ne se peut ainsi, tout le malheur de » ce qu'on aime ». Son chapitre sur le souverain contient quelques idées qui nous auroient épargné bien des malheurs, si les novateurs les avoient méditées. Elles prouvent que les grandes pensées politiques n'étoient pas, comme on a voulu le faire croire, étrangères aux écrivains du siècle de Louis XIV. Les jeunes gens qui se destinent à la diplomatie, doivent lire avec attention la digression de la Bruyère sur les fonctions des ambassadeurs. Ils y trouveront développés, avec une sagacité étonnante, tous les moyens de réussir dans une négociation. Dans un temps où l'on a voulu soumettre tout à des principes généraux, où les écrivains politiques se sont plus occupés de systêmes sur l'humanité, que de projets utiles pour le bien de leur pays, on a dit que la Bruyère avoit eu de petites vues, parce que sa morale s'appliquoit aux François. seulement, et non à tous les hommes. Molière, qui n'a peint que des courtisans, des bourgeois de Paris, et des provinciaux, avoit-il de petites vues?

Les Maximes du duc de la Rochefoucault sont loin de pouvoir être comparées aux Caractères. Le style de cet ouvrage a beaucoup de rapport avec celui des écrivains du dix-huitième

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siècle on y remarque sur-tout cette sorte de trait dont j'ai déja parlé. On peut reprocher avec justice à la Rochefoucauld, d'ailleurs si estimable par les vertus qu'il déploya dans ses dernières années, d'avoir affoibli l'enthousiasme que doivent inspirer les grandes actions, d'avoir trop réussi à étouffer dans l'homme les nobles sentimens de l'amitié, du courage et de la générosité; d'avoir enfin développé les premiers germes du systême de l'intérêt personnel, dont Helvétius a tant abusé dans le siècle suivant.

Dans la revue des écrivains du grand siècle, on ne doit point oublier madame de Sévigné, qui devint auteur classique sans le savoir. Ce n'est pas dans un extrait qu'on pourroit faire connoître ce mélange d'aisance, d'abandon, de grandes idées, ce naturel dans les tableaux et dans les récits, cette variété charmante des objets dont s'occupe une femme qui nous fait partager, pour quelques momens, ses passions, ses goûts, ses souvenirs, et même ses préjugés. Le respectable abbé de Vauxcelles, que la mort vient d'enlever aux lettres (1), caractérise trèsbien le style de madame de Sévigné. <<< Cette plume, dit il, devint la plus infatigable, la

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(1) En 1803.

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plus soutenue, la plus simple, la plus bril» lante, la plus variée, la plus semblable à elle» même, dont on ait jamais recueilli les lettres». On a reproché à madame de Sévigné ses jugemens sur Racine; mais on n'a pas observé qu'elle n'avoit aucune prétention à être femme de lettres, et qu'elle ne jugeoit l'auteur de Bajazet que d'après des craintes excusables, quoique peu fondées, sur la conduite d'un fils chéri. Je ne quitterai point les moralistes, parmi lesquels j'ai cru devoir placer madame de Sévigné, sans faire mention de madame de Lafayette, qui, la première, abandonna les traces de la Calprenède et de mademoiselle Scudéri, pour donner au style du roman le naturel et les grâces qui lui conviennent.

Le siècle de Louis XIV produisit quatre historiens célèbres, Mézerai, le Père Daniel, Vertot et Saint-Réal. Le premier mérita un grand succès, par de profondes connoissances politiques, et par un style précis et nerveux. Lié dans sa jeunesse avec Richelieu, lorsque celui-ci fut nommé orateur du clergé aux états de 1514, il fut à portée d'étudier nos usages, nos mœurs, nos lois, et notre ancienne constitution. Les ouvrages de Mézerai se ressentirent des études qu'il avoit faites. On n'avoit pas encore vu un ta

bleau aussi fidèle et aussi complet des événemens qui composent notre histoire. Le style de cet auteur, qui écrivit dans le commencement du règne de Louis XIV, a un peu vieilli; cependant on le lit toujours avec intérêt; et la méthode scrupuleuse de l'historien dédommage de quelques détails minutieux et inutiles. Le père Daniel chercha à se frayer une route nouvelle dans cette carrière difficile. Ses récits ont moins de sécheresse que ceux de son prédécesseur; les faits y sont disposés d'une manière plus intéressante; et le style du jésuite a une correction et une élégance inconnues à Mézerai. Les philosophes modernes ont reproché au père Daniel une partialité marquée, sur-tout dans l'histoire des derniers règnes. Mais les bons esprits ont vu facilement que cette prétendue partialité ne lui étoit attribuée qu'à cause de son zèle pour la religion; et ils ont rendu justice à sa manière adroite de fondre les événemens dans un ensemble toujours intéressant et toujours régulier. Vertot eut plus d'éloquence et de mouvement. Le choix qu'il fit des sujets qu'il traita, dut influer sur son talent. Les Révolutions des Empires offrent à la curiosité des lecteurs ces mouvemens politiques où les grands caractères se déploient, où les passions violentes se dévelop

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