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Le poëte, nouvel Orphée, parle à Pluton en faveur de son bienfaiteur ; et il ajoute ces beaux

vers :

C'est ainsi qu'au-delà de la fatale barque,

Mes chants adouciroient de l'orgueilleuse Parque
L'impitoyable loi;

Lachésis apprendroit à devenir sensible,

Et le double ciseau de sa sœur inflexible

Tomberoit devant moi.

Le mouvement de cette Ode, son plan qui, dans un beau désordre, présente tous les caractères d'une profonde combinaison, l'harmonie des vers, la magnificence des expressions, forment un des plus beaux morceaux poétiques de notre langue.

Rousseau créa en France le genre des Cantates; non seulement il fut bien supérieur aux poëtes italiens, mais il n'eut point d'imitateurs dans son pays. Dans sa vieillesse, il écrivit plusieurs épîtres et plusieurs allégories en vers marotiques. Le succès de ses épigrammes lui avoit donné du goût pour ce langage vieilli, qui n'a de charmes que dans les petites poésies malignes, ou dans les récits naïfs. Rousseau, malheureusement, n'avoit point la naïveté de La Fontaine. C'est ce qui explique pourquoi ses derniers ouvrages eurent peu de

succès. Il ne faut cependant pas s'en rapporter au jugement que Voltaire a porté sur les épîtres et les allégories; trop souvent ce critique fut égaré par la haine qu'il avoit conçue contre Rousseau.

Crébillon obtint de grands succès dramatiques; et sa tragédie de Rhadamiste mérita d'être placée à côté des chefs-d'œuvres de la scène françoise. Trop de négligence dans son style, une fougue d'imagination qui détruisoit quelquefois la netteté de ses idées, un goût trop vif pour les sentimens romanesques, nuisirent aux développemens du talent vraiment original de 'ce grand poëte.

La Motte, qui n'avoit eu que de foibles succès dans la poésie, à laquelle il avoit consacré toute sa jeunesse, prit, dans un âge avancé, le parti de s'élever contre un art qu'il avoit cultivé sans sortir de la médiocrité. Cette composition avec son amour-propre, l'entraîna bientôt à combattre indistinctement toutes les anciennes règles de la littérature ; il les considéra comme des préjugés qu'un siècle éclairé doit proscrire. Bientôt il entassa sophismes sur sophismes dans les discours qui accompagnèrent ses tragédies, dans ses réflexions sur Homère, et dans ses autres traités. Un style piquant et

agréable, un talent distingué pour la discussion, un soin constant d'éviter le pédantisme, lui procurèrent des succès d'autant plus grands, que ses adversaires n'eurent pas le talent de se faire lire. Quoique la Motte ne se soit jamais écarté du respect dû à la religion, on doit convenir que ses écrits ont répandu, dans la majorité de la nation, un esprit de doute sur les choses les plus certaines, et cette manie d'innover qui s'étendit par la suite sur des objets beaucoup plus importans que la littérature..

Fontenelle eut, dans sa jeunesse, le malheur d'être un des détracteurs de Racine. Il paroît que la tragédie d'Aspar, dont la chute fut si éclatante qu'elle donna lieu à une épigramme célèbre sur l'origine des sifflets, dégoûta Fontenelle d'un genre pour lequel il n'avoit aucun talent. Il sentit très-bien qu'il ne parviendroit jamais à une grande réputation par la poésie. Il se livra donc, avec ardeur, à l'étude des sciences exactes, où il acquit bientôt des connoissances plus étendues que profondes. Voulant couvrir par les agrémens du bel-esprit l'aridité des sciences, il donna, le premier, l'exemple de la confusion des styles, innovation que l'on peut considérer comme un signe certain de la décadence d'une langue. Dès le milieu du

dix-huitième siècle, les plus zélés admirateurs de Fontenelle avoient reconnu que les Lettres du chevalier d'Her*** n'étoient qu'une collection de petites subtilités, de froides galanteries, que le style en étoit maniéré, et qu'elles ne méritoient, tout au plus, que d'être placées à côté des Lettres de Voiture, Les Poésies pastorales du philosophe eurent plus de succès; mais elles furent bientôt négligées, par la raison que le bel-esprit ne supplée jamais long-temps au ton naturel et vrai. L'Histoire des Oracles fut un des ouvrages de Fontenelle qui fit le plus de bruit. Plusieurs opinions hardies, cachées cependant avec l'adresse la plus déliée, manquèrent de rendre ce triomphe fatal à l'auteur. La protection d'un ministre alors tout-puissant sauva Fontenelle. Ce fut le premier exemple de l'appui donné par l'autorité à l'auteur d'un livre répréhensible; exemple qui ne fut que trop suivi jusqu'au moment où l'on en vit le résultat. Le livre des Mondes fut encore plus généralement répandu que l'Histoire des Oracles. Le but de l'auteur étoit de mettre l'astronomie à la portée des esprits les moins éclairés, et sur-tout des femmes. C'est dans cet ouvrage que les défauts qui résultent de la confusion des styles se font principalement remarquer. Le philosophe

prend constamment le ton de la plus fade plaisanterie, pour expliquer les phénomènes de l'univers. Il compare la nuit à une brune, et le jour à une blonde; enfin toutes les leçons données à une marquise imaginaire, sont accompagnées de complimens doucereux, qui font le plus singulier contraste avec la gravité des objets. Ce livre cependant eut un succès qui dura plusieurs années sans être contesté. On le compara même aux Traités de Cicéron. Voltaire fut le premier qui se servit de l'ascendant que ses talens lui donnoient sur la littérature, pour relever ces défauts par des critiques pleines de goût. Les Dialogues des Morts sont au-dessous de tout ce que Fontenelle a écrit en prose. On cherche vainement le but que s'est proposé l'auteur en faisant parler aux grands personnages de l'antiquité et des temps modernes, un langage dépourvu de dignité, contraire à leur caractère, et en se bornant à présenter quelques contrastes qui n'ont pas même le mérite d'être piquans. Les Éloges de Fontenelle sont ses titres les plus justes et les plus durables à l'estime des savans et des gens de lettres. On y trouve de la clarté et de l'élégance; l'instruction y est offerte sans pédantisme; et les matières les plus obscures y sont éclaircies et développées avec beaucoup de

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