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netteté. Cependant ces discours présentent encore plusieurs idées tournées avec prétention; l'expression que l'auteur cherche à rendre piquante, devient embarrassée et peu naturelle. Je n'en citerai qu'un exemple. Fontenelle veut dire que Duhamel savoit embellir les pensées les plus abstraites, sans néanmoins leur prêter des ornemens étrangers. « Ce sont, dit-il, » raisonnemens philosophiques qui ont dépouillé leur sécheresse naturelle, ou du moins » ordinaire, en passant au travers d'une ima

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gination fleurie et ornée, et qui n'y ont pris » que la juste dose d'agrément qui leur conve» noit. Ce qui ne doit être embelli qu'à une me» sure précise, est ce qui coûte le plus à embel» lir ». Quelle incohérence dans la première phrase! Peut-on concevoir que des raisonnemens secs cessent de l'être en passant au travers d'une imagination fleurie, et que ces raisonnemens n'y prennent que la dose juste d'agrémens? Fontenelle auroit dû méditer beaucoup la vérité contenue dans la dernière phrase. Il a trouvé plus facile de ne point garder cette mesure précise qu'il recommande.

Fontenelle fut le premier littérateur qui / exerça une égale domination sur l'Académie françoise et sur l'Académie des Sciences. Dalembert

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lui succéda, et fut depuis remplacé par le marquis de Condorcet. Je laisse à penser si cette double influence eut d'heureux résultats, soit sous le rapport des lettres, soit sous celui de la politique.

Dans le commencement du dix-huitième siècle, les lumières étoient très-répandues, et les moyens de les acquérir étoient devenus faciles. Plusieurs dictionnaires avoient propagé des connoissances superficielles sur toutes les sciences, mais avoient nui au travail obstiné auquel ceux qui vouloient s'instruire avoient été obligés de se livrer dans le siècle précédent. Cette dangereuse facilité de pouvoir parler de tout sans être remonté aux sources, multiplia les demi-connoissances; le nombre des auteurs s'accrut, et devint beaucoup plus considérable que sous le règne de Louis XIV. Dans cette multitude innombrable d'écrivains qui parurent pendant le dix-huitième siècle, on distinguera quatre hommes qui, par leur génie, par leur génie, par leur style, par leurs opinions, ont influé puissamment sur la littérature, sur la philosophie, et sur la politique. Ces hommes sont Voltaire, Montesquieu, J. J. Rousseau et Buffon.

Le premier essai de Voltaire fut une tragédie qui donnoit les plus heureuses espérances. A

cette époque, les paradoxes de la Motte étoient accueillis par la plus grande partie des gens de lettres, et les défauts du style de Fontenelle se trouvoient dans la plupart des livres nouveaux. Voltaire fut d'abord frappé de cette décadence du goût, et de cette confusion de styles qui annonçoient que la langue alloit dégénérer. Son opinion, en matière de goût, fut marquée dans ses lettres à la Motte qui suivirent la tragédie d'OEdipe. On voit que le jeune poëte s'élève avec force contre les innovations qu'on vouloit introduire dans la poésie dramatique. Voltaire exprima, plusieurs années après, son opinion, d'une manière plus claire et plus directe, dans son discours de réception à l'Académie françoise. « Ce qui déprave le goût, dit-il, déprave enfin le langage. Souvent on affecte » d'égayer des ouvrages sérieux et instructifs,

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par les expressions familières de la conversa>>tion. Souvent on introduit le style marotique » dans les sujets les plus nobles; c'est revêtir » un prince des habits d'un farceur. On se sert » determes nouveaux qui sont inutiles, et qu'on » ne doit hasarder que quand ils sont nécessai>> res. Il est d'autres défauts dont je suis encore plus frappé >>. On voit que Voltaire sentoit bien de quelle importance il est, lorsqu'une

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langue est formée, de ne point confondre les
styles, et qu'il attaquoit principalement Fonte-
nelle et ses imitateurs, ainsi que les auteurs mo-
dernes qui, sous le prétexte d'être plus précis
et plus énergiques, se plaignant sans cesse de
la pauvreté et du défaut d'harmonie de la
langue de Racine et de Pascal, surchargeoient
leur diction d'une multitude de mots nouveaux
tirés des sciences exactes, ou de quelque ana-
logie contraire à l'usage. Dans la multitude
d'ouvrages de différens genres que Voltaire
composa, il ne suivit pas avec assez d'exactitude
les préceptes qu'il avoit donnés lui-même. On
n'eut presque jamais à lui reprocher, ni le néo-
logisme, ni les constructions vicieuses; mais
on remarqua, sur-tout dans ses ouvrages en
prose
les plus sérieux, un penchant invincible
à un genre de plaisanterie qui lui étoit parti-
culier. L'Histoire de Charles XII en offre quel-
ques exemples. L'Essai sur l'Histoire générale
est encore moins exempt de ce défaut. Toutes
les fois qu'il s'agit des papes, des conciles, des
divisions de l'Église, l'épigramme est substituée
au ton noble et décent qui convient au sujet.
Le Siècle de Louis XIV est l'ouvrage le plus
parfait que Voltaire ait fait dans ce genre. Ce-
pendant il offre encore plusieurs traits de plai-

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santerie qui s'éloignent de la sévérité de l'histoire. Quelques discussions littéraires de Voltaire, éparses dans l'immense recueil de ses OEuvres, sont des modèles de goût, lorsque l'auteur ne s'abandonne pas à ses passions violentes. Cet homme extraordinaire cultiva aussi les sciences; mais une étude aussi aride convenoit trop peu à son imagination ardente: suivant l'opinion de ses amis, qui étoient le plus à portée de le juger sous ce rapport, il ne fut jamais qu'un savant médiocre. Cependant on doit reconnoître qu'il évita de répandre des ornemens étrangers sur les matières scientifiques. Loin d'imiter Fontenelle, il employa toujours un style convenable aux objets qu'il traitoit, et il se borna à chercher la clarté et la pureté du langage. Ses tragédies sont, avec celle de Rhadamiste et Zénobie, les plus beaux ouvrages de ce genre qui aient paru depuis Racine. On a reproché avec raison à Voltaire de n'avoir point été assez sévère sur le choix des ressorts et des

moyens, d'avoir été trop prodigue de déclamations philosophiques, et d'avoir trop sacrifié à l'effet théâtral. Son style, moins soigné que 'celui de Racine, offre, au premier coup-d'œil, un éclat qui disparoît quelquefois à un examen plus réfléchi. Malgré ces défauts, il sera tou

jours

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