Imágenes de páginas
PDF
EPUB

jours regardé comme un des poëtes qui ont le plus honoré la scène françoise. Le poëme de la Henriade étonna l'Europe, qui paroissoit convaincue que notre poésie ne pouvoit conve nir à la grande épopée. On vit, pour la première fois, un long poëme héroïque en vers alexandrins, dont le style n'étoit point monotone, et qui pouvoit se faire lire sans fatigue. Les défauts du plan, le choix du merveilleux qui n'est point suffisamment épique, les caractères, qui ne sont point assez soutenus, ont seuls nui à la Henriade, dont le style est généralement noble, harmonieux et élégant. Les poésies fugitives de Voltaire surpassèrent celles de Chaulieu pour la pureté et l'élégance, mais ne purent les surpasser pour la grâce, et pour une certaine mollesse dont Chaulieu seul connut le charme.

Voltaire fut le premier qui fit connoître aux François la littérature angloise. L'enthousiasme qu'il excita pour les philosophes de cette nation, donna une nouvelle force à l'esprit de doute et d'innovation qui commençoit à se répandre. La hardiesse des idées politiques n'eut plus de bornes, et tout annonça un changement prochain dans les lois et dans le gouvernement de la France. Les anciennes institutions devinrent

P*

des objets de risée, toutes les classes de la société se confondirent, et l'on se fit une gloire d'abandonner les usages nationaux pour se livrer à une licence dont les attraits cachoient le danger. L'anglomanie se répandit avec autant de rapidité sur la littérature. Le théâtre informe de Shakespeare fut traduit; les éditeurs annoncèrent avec une confiance fastueuse, que le poëte anglois avoit seul connu l'art de la tragédie, et que les tragédies de Corneille et de Racine n'étoient que de belles amplifications. Toute la France admira les pièces monstrueuses de Shakespeare, l'exagération, l'emphase et le faux goût se mirent en possession de notre théâtre, et gâtèrent presque tous les ouvrages modernes. Ce goût effréné pour la littérature angloise peut être considéré comme une des principales causes de la décadence de notre littérature. Voltaire le reconnut enfin, et il s'éleva souvent contre une manie qu'il pouvoit se reprocher d'avoir introduite. M. de Laharpe, dans des dissertations pleines de chaleur et de logique, a démontré jusqu'à l'évidence les absurdités du poëte anglois; et l'on doit à ce grand littérateur d'être revenu de l'aveugle admiration que l'on avoit conçue pour des pièces barbares.

Je ne parlerai point des ouvrages de Voltaire,

qui furent le fruit de ses passions ou de sa haine pour la religion. L'influence de cet homme célèbre fut immense dans un siècle de corruption et d'impiété. Placé, dans sa vieillesse, à la tête du parti de la philosophie moderne, il se repentit souvent de s'être associé aux encyclopédistes; mais son enthousiasme pour la gloire, qui lui faisoit voir dans ces hommes, dont la puissance étoit extrême sur l'opinion publique, des soutiens redoutables de sa réputation, l'empêcha de se détacher d'une faction dont il servit trop souvent les passions violentes, et dont il eut le malheur de partager les excès.

Les Lettres persannes de Montesquieu se ressentirent un peu de l'esprit qui régnoit pendant la régence. Cet ouvrage qui, sous une forme agréable et piquante, renferme de grandes vues, peut être regardé comme le premier modèle de cette multitude de livres qui, pendant le dix-huitième siècle, offrirent un mélange singulier de sérieux et de frivole, de raisonnemens dogmatiques et de tableaux licencieux. On connoît assez le succès qu'obtint cette méthode employée par la philosophie moderne, pour répandre ses principes dans toutes les classes de la société. Les Lettres persannes annoncèrent un génie original; quelques écarts

sur la politique, quelques diatribes contre la religion, n'empêchèrent pas les bons juges d'apercevoir dans Montesquieu un observateur profond et juste, dont quelques idées pourroient être altérées par les préjugés nouveaux, mais qui conserveroit, du moins en politique, les principes invariables sur lesquels reposent les sociétés.

L'Esprit des Lois justifia cette opinion. Le but de Montesquieu, ainsi qu'il l'annonce luimême, paroît avoir été d'augmenter les connoissances des gouvernans sur le principe, l'étendue et les bornes de leur pouvoir, et de faire comprendre aux gouvernés qu'il est de leur intérêt de se soumettre aux lois de leur pays. Au premier coup-d'œil, cette idée paroît grande et utile. Mais comment Montesquieu n'a-t-il pas remarqué que les usages, et même les préjugés, sont l'unique règle qui dirige les peuples; qu'en voulant faire un traité méthodique sur les principes fondamentaux des gouvernemens, on détruit nécessairement cette multitude de nuances qui différencient les États dont l'administration paroît être la même; et que de la destruction des usages, beaucoup plus puissans que les lois constitutionnelles, résultent l'anéantissement et la dissolution des sociétés? Ainsi,

[ocr errors]

quoique l'on reconnoisse généralement, qu'à l'exception des systêmes sur l'influence des climats, sur le principe des trois sortes de gouvernemens et sur la constitution angloise, l'Esprit des Lois présente des idées saines en politique et en législation, on ne peut néanmoins révoquer en doute que ce livre n'ait puissamment contribué à donner à l'opinion publique une direction dangereuse, soit par des applications imprudentes, soit par de fausses interprétations. Lorsqu'en France la société fut dissoute, après les essais monstrueux qu'on avoit osé tenter en politique, on puisa dans Montesquieu des idées justes pour la reconstruction de l'ordre social.

Ce livre, dangereux peut-être dans un État tranquille et bien organisé, devint utile, lorsque, pour sortir de l'anarchie, on recourut à des principes fondamentaux. C'est ce qui distingue glorieusement Montesquieu comme philosophe; c'est ce qui explique pourquoi, lorsque les troubles ont cessé, la réputation de ce grand homme n'a presque point été attaquée.

Le style de Montesquieu est loin d'avoir le nombre et l'harmonie qui distinguent la diction des auteurs du siècle précédent. La recherche d'une précision trop rigoureuse, l'envie de mul

« AnteriorContinuar »