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tiplier les traits frappans, ont donné aux écrits de cet auteur un ton quelquefois épigrammatique qui ne convient point à la gravité des objets. Madame du Défant disoit que le principal ouvrage de Montesquieu n'étoit pas l'Esprit des Lois, mais de l'esprit sur les lois. Ce mot sans doute donneroit une idée beaucoup trop désavantageuse d'un des chefs-d'œuvres du 18° siècle ; mais il explique assez bien le défaut qui frappe le plus souvent dans cet ouvrage.

Les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, sont le livre où Montesquieu a le plus approché de la perfection sous le rapport du style. Constamment rapide et pressante, la diction a de la force, de la pureté et de l'élégance. Quelques mots suffisent souvent pour exprimer des vues vastes et profondes. L'histoire romaine, peinte à grands traits dans cet ouvrage peu étendu, se grave facilement dans la mémoire des lecteurs; le tableau des mœursa un coloris comparable à celui de Tacite; les causes secrètes des révolutions importantes sont développées avec une sagacité, et décrites avec une chaleur qui ne peuvent appartenir qu'à un homme de génie.

Montesquieu, ainsi que plusieurs de ses contemporains, faisoit peu de cas de la poésie. Il

croyoit, comme la Motte, que l'on pouvoit faire des poëmes en prose. Le Temple de Gnide, qui eut un grand succès dans le temps, montra le but où l'on peut atteindre, avec beaucoup d'esprit, lorsque d'ailleurs on n'est pas né poëte.

Un homme dont les talens ne se développe-rent que fort tard, étonna l'Europe par une sorte d'éloquence qui paroissoit n'avoir point été connue des écrivains du siècle précédent. La politique, la morale, prirent, sous la plume de J. J. Rousseau, une forme nouvelle ; un attrait invincible attaché à son style, multiplia ses admirateurs et ses partisans ; et l'on ne vit pas, sans étonnement, le philosophe genevois devenir l'idole d'un monde qu'il affectoit de haïr et de mépriser. Les grands de l'État recherchèrent avec empressement l'ennemi déclaré des distinctions honorifiques; toutes les classes de la société s'enthousiasmèrent pour l'adversaire le plus violent des institutions sociales ; et les femmes les plus galantes déifièrent, pour ainsi dire, celui qui parut s'élever avec le moins de ménagement contre les mœurs dépravées du siècle.

Les causes de ce contraste singulier se trouvent non-seulement dans la légèreté et dans l'inconséquence des François à cette époque,

mais dans le caractère de J. J. Rousseau, et dans l'art qu'il eut de se mettre toujours dans une position favorable au succès de ses opinions. Quelques réflexions serviront à éclairer sur le secret de son éloquence. On reconnoîtra facilement une espèce de charlatanisme qui contribua puissamment à mettre le talent de cet auteur dans le jour le plus avantageux. Le succès étonnant du Discours sur les sciences et les arts, indiqua à Rousseau la route qu'il falloit suivre pour exciter l'admiration et l'enthousiasme du public. La position d'un homme de lettres qui déprime les objets de ses études constantes, avoit, par sa singularité, influé beaucoup sur le triomphe du Genevois; ce fut un exemple du parti qu'un auteur pouvoit tirer de sa situation personnelle dans la composition d'un ouvrage systématique. La découverte de ce nouveau moyen de gloire fut pour Rousseau un trait de lumière. Le philosophe alors ne s'occupa qu'à renforcer les avantages de sa position. Il ne connut plus aucune convenance; la société parut lui être devenue en horreur; il s'isola entièrement ; et du haut de cette espèce de tribune qu'il s'étoit faite avec beaucoup d'art, il put, sans garder de ménagemens, se livrer à toute l'impétuosité de son imagination, dont les

productions originales devinrent plus piquantes par la position de l'écrivain. Jamais homme ne profita mieux que Rousseau de cette sorte d'avantage. Tantôt c'est un Genevois qui jette un regard de mépris sur les États où l'on n'attache aucune importance à des disputes de municipalités; tantôt c'est un calviniste qui regarde toutes les cérémonies religieuses comme des superstitions; ici, c'est un déïste qui s'écrie: Combien d'hommes entre Dieu et moi! Là, c'est un homme religieux qui s'emporte contre les doctrines dangereuses de la philosophie moderne: vous voyez en lui l'homme de la nature rejetant tout ce qui s'éloigne de ses lois; le solitaire bravant les préjugés, ne se soumettant à aucun usage; le sage proscrit dans tous les États, et l'homme satisfait de lui-même, qui affirme que nul n'est meilleur que lui. Tels sont à-peu-près les différens rôles que Rousseau a joués, et qui ont donné à son éloquence ce ton de persuasion et cette chaleur auxquels le commun des hommes ne résiste jamais. Remarquez aussi qu'il commande toujours à son lecteur, qu'il déclare formellement que rien ne pourroit lui faire estimer quelqu'un qui aimeroit médiocrement ses ouvrages; ce moyen lui a parfaitement réussi.

La bonne foi ne fut pas toujours d'accord avec ces moyens de succès que Rousseau savoit si bien employer. J'en citerai un exemple frappant. L'Archevêque de Paris venoit de donner un mandement contre l'Emile; l'auteur, décrété par le parlement, s'étoit retiré en Suisse ; là, il fait une réponse à l'Archevêque. Pour augmenter l'intérêt de sa situation, il falloit que Rousseau peignît avec beaucoup de force la persécution exercée contre lui; qu'il montrât même que sa vie n'avoit pas été en sûreté. Aussi ne manque-t-il pas de faire un tableau trèspathétique des dangers qu'il a courus : «< Pour >> avoir proposé avec circonspection, même avec >> respect, et pour l'amour du genre humain, >> quelques doutes fondés sur la gloire même » de l'Être-Suprême, le défenseur de la cause » de Dieu, flétri, proscrit, poursuivi d'État en État, d'asile en asile, sans égard pour son

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indigence, sans pitié pour ses infirmités, avec » un acharnement que n'éprouva jamais aucun » malfaiteur, et qui seroit barbare, même contre » un homme er santé, se voit interdire le feu » et l'eau dans l'Europe presqu'entière; on le » chasse du milieu de ses bois; il faut toute la » fermeté d'un protecteur illustre, et toute la » bonté d'un prince éclairé, pour le laisser en

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