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l'égard de ceux que l'on croit morts. Pline rapporte plusieurs fables reçues dans son temps sur les différentes espèces d'hommes; Buffon puise dans les savans et dans les voyageurs dignes de foi, des notions beaucoup plus justes; ses aperçus sont plus profonds, ses conjectures plus fondées. Pline, pour donner une idée de l'homme par excellence, trace le portrait de Cicéron ; ce morceau de la plus haute éloquence, rappelle le plus grand des orateurs, et le libérateur de la patrie; Buffon, plus hardi, peint l'homme en général; le tableau qu'il présente des facultés intellectuelles et physiques de ce chef-d'œuvre de la création, est non-seulement éloquent; mais, par la variété des couleurs il peut être regardé comme un modèle de poésie descriptive. Pline, en terminant sa description, s'attriste par la peinture des misères de l'homme. Il répète que la vie est une ombre, que l'on ne doit pas se fier au bonheur; et, pour mettre le comble au découragement, après s'être étendu sur les maux de l'humanité, il finit par insinuer que l'âme ne survit point au corps. Buffon, au contraire, élève continuellement l'âme de l'homme par l'idée qu'il lui donne de sa supériorité sur les autres animaux. En parlant de la mort, il multiplie ses efforts pour en diminuer

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les horreurs, et pour familiariser l'humanité avec l'arrêt irrévocable de la Providence. Le style de l'auteur latin est plein d'harmonie et de douceur ; il annonce, dans Pline, un homme qui aimoit à raconter des faits extraordinaires, et qui se plaisoit à enchanter ses auditeurs par des récits intéressans; le style de Buffon est plus soutenu, sans avoir moins de charmes ; jamais l'auteur ne se livre à des digressions qui l'éloigneroient du sujet qu'il traite.

J'ai dit que Buffon avoit de l'aversion pour la poésie, et qu'il partageoit, à cet égard, les opinions de la Motte; mais cette erreur de goût n'influa point sur son talent, qu'il consacra à des objets absolument étrangers à la poésie. Lorsqu'il voulut en parler dans quelques discours académiques, il parut pousser plus loin que la Motte même le systême contraire aux opinions des grands littérateurs du siècle de Louis XIV. En parlant de la Henriade et de l'Iliade il cherche «<< quelle comparaison il » peut y avoir entre le bon et le Grand Henri, » et le petit Ulysse, ou le fier Agamemnon, >> entre nos potentats et ces rois de village, dont

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toutes les forces réunies feroient à peine un » détachement de nos armées. Quelle diffé»rence, ajoute-t-il, dans l'art même ? N'est

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>> il pas plus aisé de monter l'imagination des » hommes, que d'élever leur raison? de leur >> montrer des mannequins gigantesques de » héros fabuleux, que de leur présenter des

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portraits ressemblans de vrais hommes, vrai>>ment grands»? Buffon, accoutumé à l'exactitude rigoureuse des sciences, jugeoit la poésie épique, non d'après les beautés qui lui sont propres, mais d'après des vues d'utilité et des rapprochemens historiques que les poëtes n'ont jamais consultés. S'il se fût livré à cet art sublime, il auroit bientôt reconnu la différence du génie d'Homère, et du bel esprit moderne. Je n'ai cité ce fragment, auquel Buffon n'attachoit aucune importance, que parce que les erreurs des grands hommes sont les plus dangereuses.

Tels furent les quatre hommes de génie qui, sans se préserver entièrement du goût dominant de leur siècle, ont, par des chefs-d'œuvres soutenu l'éclat de la littérature françoise. La fin du dix-huitième siècle s'honore aussi d'avoir vu fleurir le peintre de l'antique Grèce, qui, sous le nom d'Anacharsis, retraça les mœurs, les rapports politiques, et analysa les chefsd'œuvres littéraires de la patrie des Périclès et des Démosthène ; le poëte élégant qui sut faire

passer dans la versification françoise les beautés didactiques des Géorgiques de Virgile; l'auteur plein de sel et d'enjouement, qui, sur les traces de Molière, de Boileau et de Pope, soutint la cause du goût et combattit la fausse philosophie; enfin le littérateur célèbre qui, après avoir fait retentir sur la scène les noms de Warwick et de Philoctète, rappela le temps où Quintilien recueilloit les débris de la bonne littérature et donnoit, par ses écrits, l'exemple et les préceptes de l'éloquence.

Parmi ceux que le dix-huitième siècle semble avoir légués au dix-neuvième pour la gloire des lettres françoises, on distinguera le poëte élégant et harmonieux qui, en peignant la solemnité du Jour des Morts, déploya tous les trésors que la sensibilité et la religion peuvent fournir à une imagination forte et brillante, à vingt ans traduisit Pope, traça pendant une longue proscription, les premiers chants d'un poëme épique, et qui, dans des dissertations littéraires, a souvent rappelé la prose des grands écrivains du siècle de Louis XIV.

On n'oubliera pas non plus l'auteur comique, qui, bannissant de son théâtre les petites nuances, la fausse délicatesse et les subtilités méta¬ physiques, a fait revivre la gaîté de l'ancienne

comédie. Heureux, si la direction dont il s'est chargé lui laissoit le temps d'approfondir les sujets qu'il traite; et de donner à son style, d'ailleurs plein d'élégance et de naturel, surtout en prose, la précision et la pureté qu'il laisse encore desirer.

J'ai cherché à présenter un tableau fidèle des progrès de la langue françoise, et des causes de sa décadence. On a vu que les nouveaux systêmes qui se sont succédés si rapidement dans le dix-huitième siècle, ont contribué à la faire dégénérer. Le commencement du dix-neuvième, signalé par l'oubli de toutes ces vaines théories, par le retour aux bons principes, et par l'aurore du bonheur public, dont l'âge du Héros qui préside aux destinées de la France nous garantit la durée, annonce la renaissance des lettres, et promet à la patrie de Corneille et de Racine, une époque semblable à ces temps heureux où la langue latine reprit son ancienne splendeur sous les auspices glorieux de Titus et de Trajan.

FIN.

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