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Et ainsi la plus grande distinction de ce qui se passe dans notre esprit, est de dire qu'on y peut considérer l'objet de notre pensée, et la forme ou la manière de notre pensée, dont la principale est le jugement: mais on y doit encore rapporter les conjonctions, disjonctions, et autres semblables opérations de notre esprit, et tous les autres mouvemens de notre âme, comme les desirs, le commandement, l'interrogation, etc.

Il s'ensuit de là, que les hommes ayant eu besoin de signes pour marquer tout ce qui se passe dans leur esprit, il faut aussi que la plus générale distinction des mots soit que les uns signifient les objets des pensées, et les autres la forme et la manière de nos pensées, quoique souvent ils ne la signifient pas seule, mais avec l'objet, comme nous le ferons voir.

Les mots de la première sorte sont ceux que l'on a appelés, noms, particles, ronoms, participes, prépositions et adverbes; ceux de la seconde, sont les verbes, les conjonctions, et les interjections; qui sont tous tirés par une suite nécessaire, de la manière naturelle en laquelle nous exprimons nos pensées, comme nous allons le montrer.

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LES

et Adjectifs.

Es objets de nos pensées sont ou les choses, comme la terre, le soleil, l'eau, le bois, ce qu'on appelle ordinairement substance; ou la manière des choses, comme d'être rond, d'être rouge, d'être dur, d'être savant, etc, ce qu'on appelle accident.

Et il y a cette différence entre les choses et les substances, et la manière des choses ou des accidens; que les substances subsistent par elles-mêmes, au lieu que les accidens ne sont que par les substances.

C'est ce qui a fait la principale différence entre les mots qui signifient les objets des pensées: car ceux qui signifient les substances ont été appelés noms substantifs ; et ceux qui signifient les accidens, en marquant le sujet auquel ces accidens conviennent, noms adjectifs.

Voilà la première origine des noms substantifs et adjectifs. Mais on n'en est pas demeuré là ; et il se trouve qu'on ne s'est pas tant arrêté à la signification qu'à la manière de signifier. Car, parce que la substance est ce qui subsiste par soi-même, on a appelé noms substantifs tous ceux qui subsistent par eux-mêmes dans le dis

cours,

sans avoir besoin d'un autre nom, encore même qu'ils signifient des accidens. Et au contraire on a appelé adjectifs ceux même qui signifient des substances, lorsque par leur manière de signifier ils doivent être joints à d'autres noms dans le discours.

Or ce qui fait qu'un nom ne peut subsister par soimême, est quand, outre sa signification distincte, il en a encore une confuse, qu'on peut appeler connotation d'une chose à laquelle convient ce qui est marqué par la signification distincte.

Ainsi la signification distincte de rouge, est la rougeur; mais il la signifie en marquant confusément le sujet de cette rougeur, d'où vient qu'il ne subsiste point seul dans le discours, parce qu'on y doit exprimer ou sous-entendre le mot qui signifie ce sujet.

Comme donc cette connotation fait l'adjectif, lorsqu'on l'ôte des mots qui signifient les accidens, on en fait des substantifs, comme de coloré, couleur; de rouge, rougeur; de dur, dureté; de prudent, prudence, etc.

Et au contraire, lorsqu'on ajoute aux mots qui signifient les substances, cette connotation ou signification confuse d'une chose à laquelle ces substances se rapportent, on en fait des adjectifs; comme d'homme, humain, genre humain, vertu humaine, etc.

Les Grecs et les Latins ont une infinité de ces mots; ferreus, aureus, bovinus, vitulinus, etc.

Mais l'hébreu, le françois et les autres langues vul

gaires

gaires en ont moins; car le françois l'explique par un de; d'or, de fer, de bœuf, etc.

Que si l'on dépouille ces adjectifs formés des noms de substances, de leur connotation, on en fait de nouveaux substantifs, qu'on appelle abstraits, ou séparés. Ainsi d'homme ayant fait humain, d'humain on fait humanité, etc.

Mais il y a une autre sorte de noms qui passent pour substantifs, quoiqu'en effet ils soient adjectifs, puisqu'ils signifient une forme accidentelle, et qu'ils marquent aussi un sujet auquel convient cette forme: tels sont les noms de diverses professions des hommes, comme roi, philosophe, peintre, soldat, etc. Et ce qui fait que ces noms passent pour substantifs, est que ne pouvant avoir pour sujet que l'homme seul, au moins pour l'ordinaire, et selon la première imposition des noms, il n'a pas été nécessaire d'y joindre leur substantif, parce qu'on l'y peut sous-entendre sans aucune confusion, le rapport ne s'en pouvant faire à aucune autre; et par-là ces mots ont eu dans l'usage ce qui est particulier aux substantifs, qui est de subsister seuls dans le discours.

C'est pour cette même raison, qu'on dit de certains noms ou pronoms, qu'ils sont pris substantivement, parce qu'ils se rapportent à un substantif si général, qu'il se sous-entend facilement et déterminément ; comme triste lupus stabulis, sup. negotium; patria, sup. terra; judæa, sup. Provincia. Voyez la Nouvelle Méthode lat.

S

1

J'ai dit que les adjectifs ont deux significations; l'une distincte, qui est celle de la forme; et l'autre confuse, qui est celle du sujet : mais il ne faut pas conclure de là qu'ils signifient plus directement la forme que le sujet, comme si la signification plus distincte étoit aussi la plus directe. Car au contraire il est certain qu'ils signifient le sujet directement, et, comme parlent les grammairiens, in recto, quoique plus confusément; et qu'ils ne signifient la forme qu'indirectement, et, comme ils parlent encore, in obliquo, quoique plus distinctement. Ainsi blanc, candidus, signifie directement ce qui a de la blancheur, habens candorem, mais d'une manière fort confuse, ne marquant en particulier aucune des choses qui peuvent avoir de la blancheur; et il ne signifie qu'indirectement la blancheur, mais d'une manière aussi distincte que le mot même de blancheur, candor.

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