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Les malheurs de la France, beaucoup plus graves que ceux des Florentins, retardèrent les progrès de la littérature, et la formation de la langue françoise. Lorsqu'après les troubles civils qui suivirent la captivité du roi Jean, les peuples dûrent quelques années de repos à la sagesse et à la prudence de Charles v, les lettres furent sur le point de renaître. Ce prince, qui les aimoit, fit rassembler dans son palais les livres les plus estimés de son temps, et jeta les fondemens de la bibliothèque impériale, la plus complète, peut-être, qui existe. Sous son règne, Froissard se distingua comme › poëte et comme historien. Les chroniques de cet auteur, qui ont été d'une si grande utilité aux historiens françois, deviennent plus intelligibles que les récits de Joinville. On y remarque que la langue a fait des progrès sensibles; les règles grammaticales sont moins arbitraires, et l'on trouve même une sorte d'élégance.

Les poésies de Froissard, parmi lesquelles on distingue, sur-tout, les pastourelles, sont presque toutes galantes; quelquefois elles sont trop libres. Ce fut lui qui réussit le premier dans la ballade. Pour faire connoître le langage de Froissard, je citerai quelques vers d'une

pièce intitulée

la Prison d'amour. L'auteur

y peint la mort cruelle de Gabrielle de Vergy.

La châtelaine de Vergy

Et le châtelain de Coucy,

Qui, outre mer, mourut de doël,

Tout pour la dame de Fayel.

Après la mort du Baceler (1),
On ne le peut, ni doit céler,
Parce qu'on vouloit se vangier
Des vrais amans, on fit wangier
La dam' le cœur de son ami.

Gabrielle, instruite de cette horreur, dit:

du

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adoucie

On voit que la langue s'étoit un peu temps de Froissard. Au lieu de doel, on au

(1) Bachelier,

(2) Morceau.

(3) Voulût.

(4) Matière.

(5) Vraie.

rait dit doil, sous le règne de saint Louis. Les verbes se conjuguent mieux, et la construction devient directe, ce qui est le caractère de la langue françoise.

Mais l'Italie avoit fait de plus grands pas vers la perfection du langage. Pétrarque y florissoit dans le quatorzième siècle. Il adoucit les expressions trop rudes dont s'étoit servi le Dante; il rendit les constructions plus claires, et il fixa la syntaxe. Heureux si, en donnant à la langue italienne l'élégance qui lui est particulière, il eût banni les licences que le Dante avoit introduites dans ses poëmes. Quelques auteurs modernes ont attribué à cette faculté que les Italiens se sont donnée de faire des élisions, de supprimer des syllabes entières, de syncoper les temps des verbes, de multiplier les mots parasites, la facilité qu'ils eurent de perfectionner de bonne heure leur langue. J'espère prouver au contraire, quand j'aurai occasion d'en parler, que l'absence des difficultés dans la poésie, est la principale cause d'une prompte décadence.

Après quatre siècles, on admire encore les poésies de Pétrarque. L'amour qui avoit été peint par Virgile, avec tant de sensibilité et d'énergie, prend, sous le pinceau de l'amant de Laure, un coloris chevaleresque, une rete

nue, et une décence absolument inconnus aux anciens. Si le goût qui s'est formé depuis, relève, dans Pétrarque, un retour trop fréquent des mêmes idées et des mêmes termes, un peu d'affectation, des sentimens forcés, et quelques traits de faux bel esprit, il ne peut manquer d'adopter ces odes charmantes qui ont été imitées dans toutes les langues, qui servent encore de modèles aux poésies amoureuses, et qui ont rendu si fameuse la fontaine de Vaucluse.

Pétrarque passa une partie de sa vie à la cour du pape Clément vi qui résidoit à Avignon. Le caractère des habitans du midi de la France avoit plus d'un rapport avec celui des peuples de l'Italie. Le succès que les poésies de Pétrarque obtinrent en Languedoc et en Provence, adoucit lelangage de ces provinces, mais ne le fixa point. Ce patois s'enrichit de mots sonores, et seroit peut-être devenu la langue nationale, si quelque poëte célèbre lui eût assigné des règles, et l'eût épuré (1). Il s'est conservé jusqu'à présent, et n'a produit que quelques poésies amoureuses, agréables par leur naïveté, et par la vivacité des sentimens qui y dominent.

(1) On peut s'en former une idée en lisant les poésies de Goudouli.

1

2

A cette époque, la langue françoise étoit partagée en deux dialectes ; l'un se parloit dans le nord de la France jusqu'à la Loire, l'autre dans le midi au-delà de cette rivière. Le premier avoit toutes les terminaisons barbares que les Francs avoient ajoutées aux mots latins. Il étoit rempli de sons désagréables à l'oreille, tels que oi, oin, ouil, oil. Plusieurs de ces sons furent adoucis lorsque la langue se forma; ceux qui furent conservés, ayant été placés convenablement, ont jeté dans le langage une variété que n'a pas la langue italienne. Le dialecte du midi étoit beaucoup plus doux, sur-tout depuis que l'italien s'y étoit mêlé ; mais il ne portoit pas ce caractère particulier sans lequel une langue ne peut ni s'établir, ni se répandre. Adoptant toutes les licences de la langue toscane, y joignant celles qu'il avoit déja, il ne put jamais acquérir ni cette noblesse qui convient aux ouvrages sérieux, ni cette élégance qui doit parer les ouvrages d'agrément, ni cette correction scrupuleuse, nécessaire dans le genre didactique. L'idiome du nord, par des causes différentes, parvint à se former, et devint propre, par la suite, à exprimer tous les sentimens, à rendre toutes les pensées, à peindre tous les tableaux, à se plier enfin à tous les tons. Nos premiers auteurs

furent

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