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furent obligés de lutter péniblement contre la dureté de la langue; et de cette lutte résulta un travail qui fut utile au perfectionnement dų langage. A force de tourmenter cet idiome barbare, on parvint à l'adoucir; les efforts qu'on faisoit pour écrire avec une sorte d'élégance, contribuoient à rendre lès pensées plus nettes, à les faire exprimer avec plus de clarté. On admit plusieurs mots et plusieurs tournures de la langue italienne; mais on ne les substitua pas, ainsi que dans le midi, aux mots et aux tournures de la langue nationale. On les adapta, comme on put, au génie de la langue françoise; on les modifia pour leur faire perdre les traces de leur origine; et l'on conserva, sur-tout, les terminaisons qui, seules, suffisent pour donner à un langage un caractère particulier. Le séjour continuel de la cour dans les lieux où l'on parloit cette langue, servit aussi à la répandre et à la fixer. Tout ceci explique pourquoi la langue du nord a prévalu sur la langue du midi. Les observations que j'ai faites me semblent suffire pour répondre à ceux qui ont semblé regretter que le languedocien ne l'ait pas emporté sur le picard. Peut-on s'élever en effet contre la dureté d'une langue, dans laquelle furent écrits nos chefs-d'œuvres, et qui sur

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passe toutes les autres langues modernes, par la clarté, le nombre et l'harmonie que les grands écrivains du siècle de Louis XIV ont su lui donner?

Les efforts lents et pénibles que les auteurs françois furent obligés de faire pour former leur style, retardèrent donc un succès qui, s'il eût été prématuré, n'auroit pas été aussi durable. Tandis qu'en poésie et en prose nous n'avions que les pastourelles et les chroniques de Froissard, la langue italienne, rendue poétique par Pétrarque, acquéroit dans la prose de Bocace une pureté et une harmonie qui jusqu'alors lui avoient manqué. Les ouvrages de cet auteur, fruits d'une imagination riante, et quelquefois trop libre, sont écrits d'un style facile et correct. Ses périodes, souvent trop longues, présentent quelques obscurités ; mais en général la grace et l'élégance sont ses caractères distinctifs. On auroit ignoré le talent de Bocace pour peindre des tableaux sérieux et pour exprimer des sentimens nobles, si, dans l'Introduction à ses Nouvelles, il n'avoit fait le récit des effets de la peste du quatorzième siècle qui fit le tour de l'Europe, la dévasta et dont fut victime la fameuse Laure qui avoit inspiré Pétrarque. Ce morceau historique est

de la plus grande beauté. Il peut être comparé à tout ce que les anciens ont de plus parfait dans ce genre. Le style est rapide et serré, les descriptions pleines de vérité ; et les désastres de la contagion sont tracés avec tant d'art que, sans jamais faire naître le dégoût, ils excitent, toujours le plus vif intérêt. C'est donc à Bocace que les Italiens ont dû la formation de leur prose.

VI

Les lumières se propageoient en Italie, par la protection que les princes commençoient à leur accorder. En France, les dissentions politiques qui troublèrent le règne de Charles vi, et les conquêtes des Anglois qui rendirent si orageux celui de Charles VII, retardèrent les progrès qu'avoient faits les belles-lettres sous le règne trop court de Charles v. Alain Chartier fut presque le seul qui les cultiva avec quelque succès. Prosateur et poëte, ainsi que Froissard, il se distingua dans l'un et l'autre genre, et fut successivement le secrétaire de deux rois. De son temps, on le regardoit comme le père de l'éloquence françoise; maintenant il n'est lu que par ceux qui font des recherches sur notre ancien langage. Celui de ses ouvrages qui réussit le plus, est un Traité sur l'Espérance. Dans un temps où les malheurs publics étoient parvenus

à leur comble, le sujet seul de cet ouvrage devoit en assurer le succès. Les poésies d'Alain Chartier, comme toutes celles de ces temps reculés, n'ont pour objet que d'exprimer les passions de l'auteur. Presque toutes sont en rimes redoublées ; ce qui prouve que Chapelle. n'a point inventé ce genre, qui ne convient qu'aux pièces légères. En général, on remardans les que d'Alain Chartier, que ouvrages la langue acquiert de l'harmonie, que les constructions deviennent régulières, et que la syntaxe se rapproche de celle que nous avons adoptée depuis. Philippe de Commines, qui vécut sous le règne suivant, parvint aux premières dignités à la cour d'un roi qui avoit assez de pénétration pour distinguer le mérite, mais dont le caractère sombre et cruel rendoit souvent cette distinction dangereuse pour ceux qui en étoient l'objet. Sans m'occuper à chercher si cet écrivain s'étoit vendu au duc de Bourgogne, et avoit mérité, par cette trahison, le traitement affreux que lui fit subir le fils de Louis xi, je me bornerai à faire quelques remarques sur ses Mémoires.

C'est le seul ouvrage françois de ce tempslà qu'on lise encore avec plaisir. La diction est claire et intelligible; elle a même une

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sorte d'élégance inconnue aux auteurs contemporains. Philippe de Commines avoit été long-temps dans l'intimité du roi; il avoit pu quelquefois pénétrer dans les replis de cette âme sombre et dissimulée; enfin il avoit eu part à l'administration publique et à des négociations importantes. Il rapporte donc des faits dont lui seul a pu être instruit. Son langage porte toujours le caractère de la vérité. Les récits intéressans qu'il offre aux lecteurs paroissent faits sans art; il y règne une grâce et un ton facile qui ne peuvent se trouver que dans un homme de la cour. Ses Mémoires servent encore de guides à tous ceux qui veulent s'instruire à fond des particularités du règne de Louis XI. On y remarque une réserve et une retenue qui prouvent que, quoique l'auteur ait écrit la plus grande partie de son ouvrage après la mort de ce monarque, il étoit cependant arrêté involontairement par la crainte à laquelle il avoit été habitué. Cette contrainte lui a fait chercher le moyen de s'exprimer en termes détournés, lorsqu'il craignoit d'attaquer ou des hommes puissans, ou des opinions reçues. C'est lui qui, le premier, a connu l'art de parler des choses les plus délicates, de manière à ne pas se compromettre. Il a introduit dans son style

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