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cette mesure dont nos bons auteurs se sont servi depuis avec tant d'avantage, qui, poussée trop loin dans le dix-huitième siècle, a dégénéré en subtilité et en finesse recherchée ; ce qui, avec beaucoup d'autres causes, a contribué à la décadence du langage.

Villon, comme l'a dit Boileau, dans ces siècles grossièrs,

Débrouilla l'art confus de nos vieux romanciers.

Ses poésies sont beaucoup moins lues que les Mémoires de Philippe de Commines, parce que leur objet ne présente aucun intérêt. Malgré l'espèce d'éloge que notre grand critique paroît donner à Villon, il y a peu de différence entre ses ouvrages et ceux d'Alain Chartier. C'est àpeu près à la même époque que l'on place la première comédie où nous nous soyons rapprochés du genre d'Aristophane et de Plaute. Cette pièce, qui a été rajeunie par l'abbé Brueys, est restée à notre théâtre sous le nom de l'Avocat Patelin (1).

On commençoit à s'occuper sérieusement de

(1) Cette pièce est d'un nommé Blanchet. Elle est intitulée : Ruses et subtilités de maître Patelain, avocat. Elle est écrite en petits vers. Quelques auteurs la placent sous le règne de Charles vi.

la Grammaire; on fixoit les règles encore incertaines de la langue françoise, et l'on cherchoit à inventer des méthodes faciles pour enseigner la langue latine; on raisonnoit sur les différentes acceptions des mots; on analysoit les propositions; on définissoit les termes dont on se servoit ; on donnoit aux parties du discours les dénominations qui pouvoient leur convenir. Despautére, notre plus ancien grammairien fit alors sa Grammaire royale, qui fut conservée, pour l'instruction de la jeunesse, jusqu'au siècle de Louis xiv et dont le plan est si bien combiné, qu'en la perfectionnant par la suite, on n'osa presque rien changer aux bases principales de l'ouvrage (1).

Une découverte qui eut une grande influence sur les institutions politiques de l'Europe, rendit la science familière à un plus grand nombre d'hommes, répandit les ouvrages des anciens, dont les copies étoient très-rares; et, par son introduction en France, contribua, d'une manière puissante, au perfectionnement du

(1) Scipion Dupleix donna plus de clarté à la Grammatica regia de Despautère; on en fit paroître une édition pendant la minorité de Louis XIV. La première Grammaire françoise, faite d'après Despautère, parut en 1649.

langage. L'art d'écrire en caractères mobiles, et de multiplier avec rapidité les exemplaires d'un livre, fut, trouvé par un peuple dont la langue vulgaire n'étoit pas encore formée, et connu seulement en Europe par une érudition pédantesque que le goût n'avoit point épurée.

L'Italie conserva la gloire littéraire qu'elle avoit acquise du temps de Pétrarque et de Bocace. L'influence des Médicis se faisoit sentir à Florence, et de toute part on voyoit les arts se répandre et se perfectionner. Déja tous les savans de Constantinople, après la chute de l'empire grec, quittoient leur patrie pour se fixer dans la Toscane. Ils y apportoient des connoissances nouvelles pour les peuples de l'occident. Léonard Aretin écrivit l'histoire dans le goût des anciens. On regretta qu'il se fût trop peu exercé dans la langue vulgaire, et qu'il eût composé en latin la plus grande partie de ses ouvrages. Ange Politien justifia la faveur dont il jouissoit à la cour de Florence, par des poésies moins agréables que celles de Pétrarque, mais d'un langage plus clair et plus correct. Pic de la Mirandole, qui mourut très-jeune, après avoir acquis cette multitude de connoissances qu'on ne peut posséder qu'à un âge avancé, et s'être exercé dans presque tous les genres,

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illustra aussi cette belle époque de la littérature italienne. Laurent de Médicis lui-même се pacificateur de l'Italie, ce bienfaiteur de la Toscane cultiva les lettres au milieu des grands travaux dont il étoit accablé. Ce prince, aussi aimable dans sa vie privée, que ferme et intègre dans sa vie publique, faisant les délices du peuple dont l'administration lui étoit confiée, joignant aux talens politiques de son aïeul, cette affabilité et cette douceur qui assurent des amis aux hommes puissans, ce prince consacra ses loisirs à l'étude des sciences et à la poésie. Ses ouvrages qu'on a conservés, annoncent une âme élevée, et ce penchant pour les femmes qui, lorsqu'il est réglé par la décence, donne aux mœurs une élégance et une politesse qui tiennent à la finesse du tåct, et à la délicatesse du goût d'un sexe, dont l'influence, bien dirigée, fut toujours favorable aux progrès des arts. Les poésies de Laurent de Médicis, la protection dont il honora constamment les bons écrivains, lui valurent le titre de Père des lettres.

La France alors profita plus que jamais des progrès que la littérature avoit faits à Rome et dans la Toscane. Les François qui suivirent Charles VIII en Italie, trouvèrent un peuple

poli, dont le goût étoit formé, dont le langage étoit fixé, et qui étoit parvenu à un degré de civilisation dont le reste de l'Europe étoit encore très-éloigné. Dès-lors, une multitude de relations s'établit entre les deux peuples; les gens de lettres lièrent des correspondances utiles; il s'introduisit une espèce de rivalité où, long-temps encore, les François furent inférieurs à ceux qu'ils avoient pris pour modèles. Du temps de Pétrarque, la langue françoise avoit emprunté plusieurs mots et plusieurs constructions à la langue italienne. J'ai montré les effets du séjour de ce poëte célèbre dans les provinces méridionales. A l'époque de la conquête de Charles VIII, l'influence littéraire de l'Italie sur la France, fut beaucoup plus forte; et les imitations que nos poëtes firent des poésies toscanes, frayèrent la route à Clément Marot et à Malherbe. Malgré l'harmonie et la douceur d'une langue qui devoient séduire un peuple dont le langage étoit encore barbare, lorsque nous adoptâmes de nouveaux mots, lorsque nous perfectionnâmes la tournure de nos phrases, nous gardâmes nos constructions directes, et nos terminaisons variées. Le caractère particulier de la langue françoise ne changea point.

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