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et ensuite baissoit le ton sur une même voyelle : nous le mettons ordinairement sur les voyelles qui sont longues et graves; exemples, age, fête, côte, jeúne : on le met aussi sur les voyelles qui sont longues sans être graves; exemples, gîte, flúte, voûte. Il est à remarquer que nous n'avons point de sons graves qui ne soient longs; ce qui ne vient cependant pas de la nature du grave, car les Anglois ont des graves brefs. On a imaginé pour marquer les brèves, de redoubler la consonne qui suit la voyelle; mais l'emploi de cette lettre oisive n'est pas fort conséquent : on la supprime quelquefois par respect pour l'étymologie, comme dans comète et prophète ; quelquefois on la redouble malgré l'étymologie, comme dans personne, honneur et couronne: d'autres fois on redouble la consonne après une longue, flämme, mānne, et l'on n'en met qu'une après une brève, dåme, råme, rime, prune, etc. La superstition de l'étymologie fait dans son petit domaine autant d'inconséquences, que la supersti-* tion proprement dite en fait en matière plus grave. Notre orthographe est un assemblage de bizarreries et de contradictions.

Le moyen de marquer exactement la prosodie, seroit d'abord d'en déterminer les signes, et d'en fixer l'usage, sans jamais en faire d'emplois inutiles: il ne seroit pas même nécessaire d'imaginer de nouveaux signes.

Quant aux accens, le grave et l'aigu suffiroient, pourvu qu'on les employât toujours pour leur valeur.

A l'égard de la quantité, le circonflexe ne se mettroit que sur les longues décidées; de façon que toutes les voyelles qui n'auroient pas ce signe, seroient censées brèves ou moyennes. On pourroit même, en simplifiant, se bor

ner à

marquer

d'un circonflexe les longues qui ne sont pas

graves, puisque tous nos sons graves étant longs, l'accent la double fonction de marquer à la fois grave suffiroit pour la gravité et la longueur. Ainsi on écriroit àge, fète, còte, jeùne, et gîte, flûte, voûte, etc.

L'é fermé conserveroit l'accent aigu par-tout où il n'est pas long; il ne seroit pas même besoin de substituer le circonflexe à l'aigu sur l'é fermé final au pluriel. Pour ne pas se tromper à la quantité, il suffit de retenir pour règle générale que cet é fermé au pluriel est toujours long; exemples, les bontés, les beautés, etc.

des e

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Les sons ouverts brefs (ce qui n'a lieu que pour tels que dans père, mère, frère, dans la première syllabe de netteté, fermeté, etc.) pourroient se marquer d'un accent perpendiculaire.

Il ne resteroit plus qu'à supprimer l'aspiration H par-tout où la voyelle n'est pas aspirée, comme les Italiens l'ont fait. Leur orthographe est la plus raisonnable de toutes.

Cependant, quelque soin qu'on prit.de noter notre prosodie, outre le désagrément de voir une impression hérissée de signes, je doute fort que cela fût d'une grande utilité. Il y a des choses qui ne s'apprennent que par l'usage; elles sont purement organiques, et donnent si peu de prise à l'esprit, qu'il seroit impossible de les saisir par la théorie seule, qui même est fautive dans les auteurs qui en ont traité expressément. Je sens même que ce que j'écris ici est trèsdifficile à faire entendre, et qu'il seroit très clair, si je m'exprimois de vive voix.

Les Grammairiens, s'ils veulent être de bonne foi, con viendront qu'ils se conduisent plus par l'usage que par leurs

règles, que je connois peut-être comme eux, et il s'en faut bien qu'ils aient présent à l'esprit tout ce qu'ils ont écrit sur la Grammaire; quoiqu'il soit utile que ces règles, c'est-àdire, les observations sur l'usage, soient rédigées, écrites et consignées dans les méthodes analogiques. Peu de règles, beaucoup de réflexions, et encore plus d'usage, c'est la clef de tous les arts. Tous les signes prosodiques des anciens, supposé que l'emploi en fût bien fixé, ne valoient pas encore l'usage.

On ne doit pas confondre l'accent oratoire avec l'accent prosodique. L'accent oratoire influe moins sur chaque syllabe d'un mot, par rapport aux autres syllabes, que sur la phrase entière par rapport au sens et au sentiment: il modifie la substance même du discours, sans altérer sensiblement l'accent prosodique. La prosodie particulière des mots d'une phrase interrogative, ne diffère pas de la prosodie d'une phrase affirmative, quoique l'accent oratoire soit très-différent dans l'une et dans l'autre. Nous marquons dans l'écriture l'interrogation et la surprise; mais combien avonsnous de mouvemens de l'ame, et par conséquent d'inflexions oratoires, qui n'ont point de signes écrits, et que l'intelligence et le sentiment peuvent seuls faire saisir ! Telles sont les inflexions qui marquent la colère, le mépris, l'ironie, etc. etc. L'accent oratoire est le principe et la base de la déclamation.

M. DUCLOS se plaint avec raison de ce que MM. du Port-Royal n'ont point parlé de l'usage que les accens ont et peuvent avoir en françois. Les moyens qu'il propose pour marquer exactement notre prosodie, sont presque impossibles dans une langue fixée depuis

long-temps. L'usage de la bonne compagnie supplée très-bien à ce qui peut nous manquer sous ce rapport.

Chez les Grecs, le mot prosodie répondoit parfaitement à celui d'accent. Пpoowdia est composé de deux mots, Пpos qui répond au mot latin ad, et d'a♪', qui se traduit par cantus. De ces deux mots, ad cantus, les Romains ont formé accentus, d'où nous avons tiré notre mot d'accent.

Les Grammairiens modernes ont partagé la prosodie, dont ils ont fait un terme général, en trois parties, les accens, l'aspiration et la quantité. L'abbé d'Olivet observe très-bien qu'aucun langage ne peut être uniforme dans ses sons. Une telle monotonie seroit insupportable à l'oreille la moins délicate. Les cris même des animaux éprouvent une certaine variation de tons. L'académicien en conclut que les peuples les plus sauvages ont leur prosodie. Mais il y a cette différence entre les langues barbares et les langues perfectionnées, que les premières n'ont aucune régularité dans leur accent, et que les secondes ont plus ou moins de règles fixes. L'abbé d'Olivet trouve les premières traces de notre prosodie dans les poésies en vers mesurés de Marc-Claude Butet, qui parurent en 1561. Plusieurs poëtes du même temps cultivèrent ce genre de poésie qui a été abandonné jusqu'à l'époque récente où M. Turgot a essayé, sans succès, de faire des vers françois non rimés d'après les règles prosodiques des Grecs et des Latins.

Outre l'accent prosodique et l'accent oratoire que M. Duclos définit très-bien, on compte encore l'accent musical et l'accent provincial. L'accent musical consiste, ainsi que les deux premiers, à élever ou à baisser la voix. Mais il a cette différence sur-tout avec l'accent oratoire, que ses opérations sont assujetties à des intervalles certains, et que l'on ne peut s'écarter des mesures sans enfreindre les lois de la musique. Je n'ai pas besoin de m'étendre sur l'accent provincial. Il tient à la prononciation vicieuse des provinces éloignées de la capitale. Quand on a dit que pour bien parler françois il ne falloit pas avoir d'accent, on n'a pas voulu faire entendre, observe l'abbé d'Olivet, qu'il falloit être monotone, on a seulement voulu dire

qu'il ne faut pas avoir l'accent de telle ou telle province; car chaque province a le sien.

Il existe dans l'accent oratoire un art dont MM. Duclos et d'Olivet n'ont point parlé, c'est celui d'employer heureusement ce qu'on appelle les mots de valeur. Dans toute espèce de phrase, et presque toujours dans un seul vers, il se trouve un mot sur lequel il est nécessaire d'appuyer. C'est le moyen infaillible de bien graver dans l'esprit de l'auditeur l'idée que l'on exprime. Les constructions latines étoient très-propres à remplir cet objet. L'orateur avoit presque toujours soin de mettre à la fin de la phrase le mot qui devoit produire le plus d'effet. On en voit un exemple dans cette phrase de Quinte-Curce : « Darius tanti modo exercitûs rex, qui triumphantis magis, quam dimicantis more, curru sublimis inierat prælium; per loca, quæ prope immensis agminibus compleverat, jam inania, ex ingenti solitudine vasta, fugiebat ». Le mot fugiebat est celui qui produit le plus d'effet dans cette phrase par le contraste qu'il fait avec la fortune passée de Darius.

Les aspirations ne sont point l'objet du chapitre de la Grammaire générale. Quant à la quantité, on sait qu'elle est très-douteuse dans la langue françoise. L'abbé d'Olivet a cherché à fixer celle d'un grand nombre de mots.

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