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Cependant M. Duclos avoit pensé qu'il étoit impossible de faire sur-le-champ une réforme complète dans l'orthographe françoise. Dans la nouvelle orthographe qu'il avoit adoptée, il n'avoit point rectifié toutes les irrégularités; il s'étoit borné à un petit nombre de changemens qui ne laissent pas néanmoins de dénaturer entièrement l'orthographe françoise. Pour mettre le lecteur à portée d'en juger, j'ai fait conserver l'orthographe de M. Duclos, dans la partie de sa note, où il en fait l'apologie. J'ai voulu qu'on pût juger de la force de ses raisons, par l'exemple que l'on auroit en même temps sous les yeux.

M. Bauzée, qui s'étoit aussi exagéré les difficultés de l'enseignement de la lecture, vouloit qu'on changeât entièrement l'alphabet. Il proposoit de former les voyelles de traits arrondis, et les consonnes de traits droits. Ce changement, qui passe un peu une simple réforme, est encore plus hardi que les idées de M. Duclos. Heureusement ce système ne fut regardé que comme le fruit des méditations oisives d'un homme qui consacra toute sa vie au travail minutieux de peser des mots et des syllabes.

Mais il est une autre espèce d'innovation qui jamais n'a pu être desirée par un homme de lettres, et qui cependant a été proposée sérieusement par M. Duclos, l'un des quarante de l'Académie françoise. C'est de ne plus suivre aucune règle fixe en écrivant. L'orthographe des femmes lui paroît préférable à celle des savans; et il voudroit que ceux-ci adoptassent l'orthographe des femmes, en écartant encore ce qu'une demi-éducation y a mis de défectueux, c'est-à-dire de savant. Je suis dispensé de faire aucune réflexion sur ce singulier passage de M. Duclos ; je ne l'aurois pas même relevé, si je n'avois voulu faire voir jusqu'à quel point l'esprit prétendu philosophique peut égarer les hommes les plus sensés.

Il résulte de tout ceci, qu'on s'est beaucoup abusé sur les progrès que l'on a cru que la Grammaire avoit faits depuis le siècle de Louis XIV. J'ai dit, dans l'ouvrage qui précède la Grammaire de Port-Royal, que, depuis cette époque, presque toutes les spéculations grammaticales n'avoient servi qu'à jeter de la confusion dans

le langage, et à embrouiller les choses les plus claires. Je ne laisserois aucun doute sur la vérité de cette opinion, si je voulois offrir aux lecteurs l'analyse de toutes les méthodes et Grammaires générales qui ont paru pendant le dix-huitième siècle.

CHAPITRE V I.

Τουτ TOUT ce chapitre est excellent, et ne souffre ni exception ni réplique. Il est étonnant que l'autorité de P. R. sur-tout dans ce temps-là, et qui depuis a été appuyée de l'expérience, n'ait pas encore fait triompher la raison, des absurdités de la méthode vulgaire. C'est d'après la réflexion de P. R. que le Bureau Typographique a donné aux lettres leur dénomination la plus naturelle; fe, he, ke, le, me, ne, re, se, ze, ve, je, et l'abréviation cse, gze; et non pas èfe, ache, ka, èle, ème, ène, ère, esse, zède, i et u consonnes icse. Cette méthode déja admise dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie, et pratiquée dans les meilleures écoles, l'emportera tôt ou tard sur l'ancienne par l'avantage qu'on ne pourra pas enfin s'empêcher d'y reconnoître; mais il faudra du temps, parce que cela est rai

sonnable.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

MESSIEURS de P. R. établissent dans ce chapitre les vrais fondemens sur lesquels porte la métaphysique des langues. Tous les Grammairiens qui s'en sont écartés ou qui ont voulu les déguiser, sont tombés dans l'erreur ou dans l'obscurité. M. du Marsais, en adoptant le principe de P. R. a eu raison d'en rectifier l'application au sujet des vues de l'esprit. En effet, MM. de P. R. après avoir si bien distingué les mots qui signifient les objets des pensées, d'avec ceux qui marquent la manière de nos pensées, ne devoient pas mettre dans la première classe, l'article, la préposition, ni même l'adverbe. L'article et la préposition appartiennent à la seconde ; et l'adverbe contenant une préposition et un nom, pourroit, sous différens aspects, se rappeler à l'une et à l'autre classe.

Tous les Grammairiens modernes ont cherché à étendre la définition si claire, que MM. du Port-Royal donnent ici des opérations de notre esprit. En y mêlant la nouvelle métaphysique, on n'a fait qu'obscurcir ce qui étoit lumineux. L'abbé de Pont, l'abbé Cochet, l'abbé Girard, l'abbé Terrasson et M. Bauzée, ont prétendu que MM. du Port-Royal avoient omis les pensées qui nous viennent du sentiment. M. Bauzée a, sur cette prétendue découverte, formé un système métaphysique dont je donnerai une légère idée. Il trouve deux espèces de parties d'oraison : « Les premières sont les » signes naturels des sentimens, les autres sont les signes arbitraires

coeur,

elles sont

n des idées; celles - là constituent le langage du n affectives; celles-ci appartiennent au langage de l'esprit, elles " sont discursives ». On sentira facilement que cette division n'a aucune utilité. Elle manque de justesse, en ce qu'il n'y a aucune de nos pensées qui ne tienne en même temps et de la faculté de sentir et de celle de juger. En effet, dans les actions où nous sommes emportés par les sensations les plus fortes, il s'opère toujours en nous-mêmes un jugement dont nous ne nous rendons pas compte; et dans les actions où nous avons employé tous les calculs de notre raison, il se mêle également une sensation qui échappe à nos réflexions.

M. Duclos n'a point eu l'orgueil de réformer la définition de MM. du Port-Poyal. Il la regarde comme contenant les vrais for demens sur lesquels repose la métaphysique des langues.

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Il adopte également la distinction des mots comme objets de nos pensées, et comme exprimant la manière de nos pensées. Mais il pense que MM. du Port-Royal se sont trompés, en plaçant l'article, la préposition et l'adverbe dans la première classe. Il partage en cela l'opinion de M. Dumarsais, le meilleur des Grammairiens modernes, qui, malgré l'extrême justesse de son esprit, n'a pu se préserver entièrement du goût novateur et sophistique du dixhuitième siècle.

M. Duclos ne donne aucune raison pour appuyer son opinion. Il me semble nécessaire d'éclaircir cette question importante par un exemple, et de montrer ensuite, par de courtes réflexions, quelle doit être la place des mots dont il s'agit dans la division grammaticale.

Exemple: L'homme, né pour penser, est véritablement l'ouvrage le plus parfait du Créateur. Il suffit d'examiner les six premiers mots, où se trouvent un article, une préposition, et un adverbe.

L'article le, placé devant le substantif, en est inséparable; il sert, ainsi qu'on le verra par la suite, à donner de la netteté au discours, et à prévenir les fausses interprétations, avantages que n'avoit point la langue latine. Ces deux mots, le et homme, qui,

de quelque manière que l'on combine cette phrase, ne peuvent manquer d'être unis, appartiennent bien certainement à l'objet de la pensée. M. Dumarsais, en faisant une distinction plus subtile que juste, pense que l'on doit séparer les objets de nos pensées, d'avec les différentes vues sous lesquelles l'esprit considère ces objets. C'est pourquoi les mots qui ne marquent point des choses, n'ont d'autre destination que de faire connoître les vues de l'esprit. Cette distinction paroît avoir convaincu M. Duclos; mais on peut observer que les vues de l'esprit s'expliquent par la réunion de tous les mots d'une phrase, et que les mots qui marquent des choses, concourent à cette opération, aussi bien que ceux qui n'en marquent pas. La distinction de M. Dumarsais me semble donc peu juste; elle ne peut servir qu'à multiplier les difficultés; celle de MM. du PortRoyal, au contraire, est lumineuse, et ne peut donner lieu à aucune objection.

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pas

La préposition pour sert à marquer le rapport de la cause finale. Si je dis L'homme est né pour penser, ou l'homme n'est né pour penser, il est clair que dans ma première proposition, est né forme une manière de penser affirmative, et que, dans la seconde, n'est pas né, forme une manière de penser négative. Le sujet de ces propositions, et le rapport indiqué par la préposition pour, sont donc les objets de mes deux pensées.

Par la même raison, l'adverbe, toujours composé d'une préposition et d'un nom, marque un rapport, et doit être considéré comme objet de la pensée. Ainsi dans la phrase que j'ai donnée pour exemple, est véritablement, remplace est avec vérité.

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