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CHAPITRE V.

L'INSTITUTION ou la distinction des genres est une chose purement arbitraire, qui n'est nullement fondée en raison, qui ne paroît pas avoir le moindre avantage, et qui a beaucoup d'inconvéniens.

Les Grecs et les Latins en avoient trois; nous n'en avons que deux, et les Anglois n'en ont point dans les noms; ce qui, pour la facilité d'apprendre leur langue, est un avantage mais ils en ont trois au pronom de la troisième personne; he pour le masculin, she pour le féminin, des êtres animés; et it, neutre pour tous les êtres inanimés. Les genres sont utiles, dit-on, pour distinguer de quel sexe est le sujet dont on parle : on auroit donc dû les borner à l'homme et aux animaux; encore une particule distinctive auroit-elle suffi; mais on n'auroit jamais dû l'appliquer universellement à tous les êtres. Il y a là-dedans une déraison, dont l'habitude seule nous empêche d'être révoltés.

Nous perdons par-là une sorte de variété qui se trouveroit dans la terminaison des adjectifs, au lieu qu'en les féminisant nous augmentons encore le nombre de nos e muets. Mais un plus grand inconvénient des genres, c'est de rendre une langue très-difficile à apprendre. C'est une occasion continuelle d'erreurs pour les étrangers et pour beaucoup de naturels d'un pays. On ne peut se guider que par la mémoire dans l'emploi des genres, le raisonnement n'y étant pour rien. Aussi voyons-nous des étrangers de

beaucoup d'esprit, et très-instruits de notre syntaxe, qui parleroient très-correctement, sans les fautes contre les genres. Voilà ce qui les rend quelquefois si ridicules devant les sots, qui sont incapables de discerner ce qui est de raison d'avec ce qui n'est que d'un usage arbitraire et capricieux. Les gens d'esprit sont ceux qui ont le plus de mémoire dans les choses qui sont du ressort du raisonnement, et qui en ont souvent le moins dans les autres.

C'est ici une observation purement spéculative, car il ne s'agit pas d'un abus qu'on puisse corriger; mais il me semble qu'on doit en faire la remarque dans une Grammaire philosophique.

LES Grammairiens modernes ont voulu rendre raison de toutes les irrégularités de la Grammaire; et cette prétention d'expliquer, par des analogies, des règles absolument arbitraires, a multiplié les définitions inutiles et les distinctions sophistiques.

M. Dumarsais reconnoît qu'il n'existe point une idée accessoire de sexes, ni dans la valeur des noms inanimés, ni dans les termes abstraits, ni dans les noms des êtres spirituels. Il pense qu'il n'y a de genre que dans les noms des animaux, dont la conformation extérieure est différente, et dont l'espèce est visiblement divisée en deux classes. Selon lui, le genre attaché à tous les autres substantifs n'est que le fruit de l'habitude et de l'usage. Jusque-là le grammairien ne s'écarte point de la route tracée par MM. du Port-Royal ; mais il me semble que sa distinction des substantifs animés et des substantifs inanimés, sous le rapport des genres, manque de jus

tesse.

M. Dumarsais croit que dans les noms des animaux à figure distinctive, l'adjectif obéit, c'est-à-dire, que la nécessité lui fait prendre la terminaison de l'un ou de l'autre genre où se trouve classé le substantif. Il pense, au contraire, que dans les noms des

êtres inanimés, l'adjectif donne le ton au substantif, c'est-à-dire que ces noms n'ayant aucun genre par eux-mêmes, la dénomination de masculin ou de féminin que l'on donne alors au substantif, ne se tire que de la terminaison masculine ou féminine de l'adjectif.

Cette opinion sur les substantifs inanimés, a quelque chose de spécieux, parce qu'en effet ces substantifs n'ont aucun genre par eux-mêmes. Mais, de ce que l'adjectif marque le genre de l'être inanimé, il ne s'ensuit pas qu'il le lui donne. En effet, lorsqu'un nom est reçu dans une langue, l'usage décide bientôt quel doit être son genre. Alors le même usage prescrit de donner à tous les adjectifs qui lui sont attachés, le genre de ce nom. Dans cette circonstance, la première opération grammaticale agit sur le nom substantif, et réagit ensuite sur l'adjectif. Il est donc de règle générale que l'adjectif obéisse toujours au substantif.

LES

CHAPITRE V I.

Es cas n'ayant été imaginés que pour marquer les différentes vues de l'esprit, ou les divers rapports des objets entre eux; pour qu'une langue fût en état de les exprimer tous par des cas, il faudroit que les mots eussent autant de terminaisons différentes qu'il y a de ces rapports. Or il n'y a vraisemblablement jamais eu de langue qui eût le nombre nécessaire de ces terminaisons. Ce ne seroit d'ailleurs qu'une surcharge pour la mémoire, qui n'auroit aucun avantage qu'on ne se procure d'une manière plus simple. La dénomination des cas est prise de quelqu'un de leurs Nous avons peu de cas en françois : nous nommons l'objet de notre pensée; et les rapports sont marqués par des prépositions, ou par la place du mot.

usages.

Plusieurs

pour

Plusieurs Grammairiens se sont servis improprement du nom de cas. Comme les premières Grammaires ont été faites le latin et le grec, nos Grammaires françoises ne se sont que trop ressenties des syntaxes grecque ou latine. On dit, par exemple, que de marque le génitif, quoique cette préposition exprime les rapports que l'usage seul lui a assignés, souvent très-différens les uns des autres sans qu'on puisse dire qu'ils répondent aux cas des Latins, puisqu'il y a beaucoup de circonstances où les Latins, pour rendre le sens de notre de, mettent des nominatifs, des accusatifs, des ablatifs ou des adjectifs. Exemples. La ville de Rome, Urbs Roma. L'amour de Dieu, en parlant de celui que nous lui devons, amor erga Deum. Un temple de marbre, templum de marmore. Un vase d'or, vas

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sermonem "

Les cas sont nécessaires dans les langues transpositives, où les inversions sont très-fréquentes, telles que la grecque et la latine. Il faut absolument, dans ces inversions, que les noms qui expriment les mêmes idées, comme λóyos, λóyou, λόγω, λόγον, λόγε ; sermo sermonis sermoni, sermone (Discours), aient des terminaisons différentes, faire connoître au lecteur et à l'auditeur, les différens pour rapports sous lesquels l'objet est envisagé. Le françois et les langues qui, dans leur construction, suivent l'ordre analytique, n'ont pas besoin de cas; mais elles ne sont pas aussi favorables à l'harmonie mécanique du discours, que le latin et le grec, qui pouvoient transposer les mots, en varier l'arrangement, choisir le plus agréable à l'oreille, et quelquefois le plus convenable à la passion. Il s'en faut pourtant bien qu'aucune langue ait tous les cas propres à marquer

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tous les rapports, cela seroit presque infini, mais elles suppléent par les prépositions.

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Nous n'avons de cas en françois que pour les pronoms personnels, je, me, moi, tu, te, toi, il, elle, nous, vous, eux, et les relatifs qui, que; encore tous ces cas ont-ils leurs places fixées, de manière que l'un ne peut être employé pour l'autre. Aussi avons-nous peu d'inversions, et si simples, que l'esprit saisit facilement les rapports, et y trouve souvent plus d'élégance.

Rhode, des Ottomans ce redoutable écueil,
De tous ses défenseurs devenu le cercueil.
A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus.
D'un pas majestueux, à côté de sa mère,
Le jeune Eliacin s'avance.

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé !

Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre ? Tout ce qui est ici en italique est transposé. Ces inversions sont très-fréquentes en vers, et se trouvent quelquefois en prose, mais elles n'embarrassent assurément pas l'esprit.

Plusieurs savans préterdent que les inversions latines ou grecques nuisoient à la clarté, ou du moins exigeoient de la part des auditeurs une attention pénible, parce que, disent-ils, le verbe régissant étant presque toujours le dernier mot de la phrase, on ne comprenoit rien qu'on ne l'eût entendue toute entière. Mais cela est commun à toutes les langues, à celles même telles que la nôtre, dont la construction suit l'ordre analytique. Il est absolument nécessaire, pour qu'une proposition soit comprise, que la mémoire en réunisse et en présente à l'esprit tous les termes à

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