Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

Cependant une cause très-importante nuisit long-temps aux progrès de la langue françoise. Quoique nos auteurs eussent été à portée de connoître les chefs-d'œuvres de l'antiquité et les heureux essais qui avoient été tentés par les Italiens, ils n'avoient pas su distinguer d'une manière précise les différens genres de style. On n'avoit pas fait un choix judicieux de mots nobles que l'on pût employer, soit à la poésie héroïque, soit à la haute éloquence. En confqndant ainsi toutes les ressources de la langue, en faisant entrer les termes familiers dans les discours et les écrits les plus sérieux, nous étions parvenus à nous exprimer d'une manière naïve et souvent agréable; mais nous ignorions les moyens de donner à la diction ce ton majestueux et énergique qui convient aux grands sujets. Nous avions obtenu des succès dans les poésies gaies et galantes, dans les mémoires dont la familiarité fait le charme; mais nous n'avions point de grands poëmes, point d'odes, point d'histoires. On convenoit assez généralement que la langue d'un peuple, aussi vif que brave, qui, comme le dit un historien italien (1), consoloit les vaincus, en dépensant

(1) Machiavel, Ritratto della Francia.

avec eux l'argent qu'il leur avoit enlevé, devoit être propre à des chansons de table, à des poésies érotiques, aux traits d'une conversation folâtre ; mais on pensoit qu'elle ne pouvoit se prêter au genre noble dans lequel le Dante et Pétrarque s'étoient exercés.

.

La prose italienne, à laquelle Bocace avoit donné tant de grâce et d'élégance, acquit plus de force, et prit un caractère plus sévère, lorsqu'elle fut employée par Machiavel. Dans des traités de politique, et dans une histoire, cet écrivain la rendit propre à exprimer des idées énergiques et neuves. Il la plia aux règles du raisonnement, et quelquefois il lui donna la précision et la vigueur de Tacite. Il fit aussi quelques poésies qui furent estimées. Mais il étoit réservé à l'Arioste de porter cette langue à son plus haut degré de perfection. Convaincu qu'il acquerroit plus de gloire, en écrivant son principal ouvrage dans la langue nationale, il rejeta la proposition qui lui fut faite par le cardinal Bembo, de composer le Roland furieux en vers latins. Par des comédies, par des satires, et par un poëme où se trouvent réunis, dans un ensemble peut-être trop peu régulier, tous les genres de beautés poétiques, il montra quel parti il étoit possible de tirer de la langue ita

lienne. Elle fut alternativement douce, sonore, héroïque; elle rendit avec la même facilité les passions fortes, les sensations gaies, les tableaux majestueux, et les portraits rians. Elle devint descriptive, lorsque le poëte vouloit peindre; passionnée, lorsqu'il vouloit émouvoir; vive et légère dans la comédie, piquante et ingénieuse dans la satire.

François 1er, dont le règne fut si brillant et si malheureux, protégea la littérature françoise, et la langue fit de plus grands pas vers sa perfection. C'est sous ce règne que se formèrent les semences des troubles qui ensanglantèrent les règnes suivans, et qui rendirent moins puissans les efforts du monarque pour faire renaître les belles-lettres. Ce prince, doué de toute la franchise d'un chevalier, n'opposa à un rival redoutable, et peu scrupuleux sur les moyens d'arriver à son but, que le courage et la loyauté; et cette lutte inégale affoiblit pour long-temps la France, qui ne se releva avec éclat que sous le règne de Louis XIV. Dans les intervalles trop courts de repos dont jouit François 1o, les fêtes somptueuses qu'il donna, les réunions brillantes qu'il forma à sa cour, la galanterie noble qui s'y introduisit, l'influence des femmes dont l'éducation commen

çoit à être moins négligée, et que l'on ne confinoit plus dans des châteaux, firent contracter l'habitude de s'exprimer avec grâce; et la délicatesse se joignit à la naïveté simple des règnes précédens. L'esprit de société prit naissance. La culture des lettres n'appartint plus exclusivement aux savans qui ne pouvoient s'empêcher d'y mêler du pédantisme. On s'en occupa dans les cercles; on se permit d'en juger; le goût et la langue dûrent beaucoup à cette heureuse innovation.

François 1er ne borna pas ses soins à l'impulsion qu'il avoit donnée aux personnes de sa cour. Il fonda le Collège de France qui s'est conservé jusqu'à nos jours. Cet établissement fut consacré, dès son origine, à perfectionner l'enseignement littéraire qu'on recevoit dans les colléges de l'université. L'étude du grec qui avoit été négligée, fut cultivée dans ce collége, et l'on y embrassa toutes les parties des sciences et de la belle littérature.

Nos relations avec l'Italie continuèrent sous ce règne, et la langue françoise s'enrichit encore des trésors littéraires dûs à la protection éclairée des Médicis et de la maison d'Est. On commença à reconnoître, principalement dans les poésies légères, une différence marquée

dans la manière de s'exprimer des deux peuples. Les poëtes érotiques de l'Italie cherchoient toujours à mettre de l'esprit dans leurs productions; leurs pensées avoient quelque chose de subtil qui en affoiblissoit l'effet; ils se plaisoient aux cliquetis de mots; ils se bornoient trop souvent à flatter l'oreille; leur délicatesse étoit recherchée; ils tomboient enfin dans le défaut reproché à Ovide, d'épuiser une idée, en la retournant dans tous les sens. Clément Marot, que nous pouvons regarder comme notre premier bon poëte, prit une autre route. Il sut badiner avec grâce, et en évitant toute espèce d'affectation; une délicatesse fine et aimable domina dans ses vers, mais elle ne fut jamais. poussée jusqu'à cette quintessence de sentiment qui en détruit le charme. Une sensibilité vive et naturelle échauffa seule son imagination, et l'on n'eut jamais à lui reprocher le défaut de ces poëtes qui s'exaltent à froid, et remplacent par de grands mots les expressions simples qui, plus que toutes les autres, conviennent aux passions.

Quelques vers de Marot suffiront pour donner une idée de ce style qu'on a imité quelquefois depuis que la langue s'est formée, et que nous aimons sur-tout dans les poésies de La

« AnteriorContinuar »