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Fontaine. Marot se plaint de l'indifférence de sa maîtresse, et rappelle le temps où il étoit aimé.

Où sont ces yeux, lesquels me regardoyent
Souvent en ris, souvent avecque larmes?
Où sont les mots qui m'ont fait tant d'alarmes?
Où est la bouche aussi qui m'appaisoit?
Où est le cœur qu'irrévocablement
M'avez donné ? Où est semblablement
La blanche main qui bien fort m'arrêtoyt
Quand de partir de vous besoin m'étoyt?
Hélas! amans, hélas! se peut-il faire
Qu'amour si grand se puisse ainsi défaire ?
Je penseroy plutôt que les ruisseaux
Feroyent aller en contremont leurs eaux 9.
Considérant que de faict, ne pensée
Ne l'ay encor, que je sache, offensée.

Ces vers, qui respirent la plus douce naïveté et la sensibilité la plus touchante, peuvent indiquer l'état dans lequel étoit notre poésie. On voit que les poëtes n'avoient point adopté le mélange réglé des rimes féminines et masculines, et que les hiatus étoient permis. Nous avions besoin de ces nouvelles règles pour donner à la poésie l'harmonie que la langue semble lui refuser, et de ces difficultés qui, forçant le poëte à un travail plus long, le met

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tent dans la nécessité de mûrir ses idées et de polir son style.

On se tromperoit si l'on croyoit que toutes les poésies de Marot sont aussi agréables que l'élégie dont je viens de citer un fragment. Il s'égare presque toutes les fois qu'il veut quitter le ton tendre ou badin, pour prendre celui d'un genre plus élevé.Sa traduction des pseaumes ne dut quelque succès qu'à la circonstance dans laquelle ils furent composés. L'enthousiasme pour la réforme étoit alors dans toute sa force; plusieurs seigneurs, et sur-tout plusieurs dames de la cour avoient embrassé la nouvelle secte. Un des principaux reproches que les novateurs intentoient à la religion catholique, portoit sur ce que l'Office divin se faisoit dans une langue inconnue au peuple. Marot, qui penchoit un peu vers les opinions des protestans, essaya de traduire quelques chants de l'Eglise en vers françois. La nouveauté, le nom trèsconnu de l'auteur, firent réussir cette tentative. Elle fit même naître parmi les femmes une sorte d'engouement. Il étoit piquant de voir le chantre des amours, l'homme le plus éloigné du rigorisme de la morale chrétienne, s'emparer toutà-coup de la harpe des prophètes, et s'exercer dans un genre qui avoit si peu de rapport avec

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ses autres poëmes. Pendant un été, ce fut la mode d'aller tous les soirs dans la promenade du Pré-aux-Clercs (1), pour chanter en choeur les pseaumes de Marot. Les femmes de la première distinction se rendoient à ces réunions nocturnes ; et il est probable que le prétexte de ces concerts, prétendus religieux, servit à couvrir quelques intrigues, ce qui ne manqua pas d'y augmenter la foule.

Lorsque les causes de ce succès furent passées, on fit beaucoup moins de cas des pseaumes de Marot. On remarqua que le poëte n'avoit ni l'énergie, ni le beau désordre, ni le coloris brillant qui conviennent au genre lyrique. Accoutumé à exprimer des sentimens délicats, tendres et naïfs, il ne put prendre le ton inspiré et prophétique que Racine et Jean-Baptiste Rousseau ont employé depuis avec tant de succès.

Marot ne réussit pas plus dans les poëmes qui exigent un plan suivi et raisonné, une certaine élévation dans le langage. Son poëme d'Héro et Léander est de ce genre; et l'on y voit sou

(1) Le Pré-aux-Clercs occupoit cette partie du bord de l'eau où l'on a bâti le quartier neuf du faubourg SaintGermain.

vent que le poëte est au-dessous de lui-même. Il étoit incapable de faire un ouvrage de longue haleine. Un heureux badinage étoit son caractère, et il ne put s'en éloigner. Indépendamment de cette cause, la langue n'avoit point encore la noblesse et la dignité soutenues qu'elle acquit dans le siècle suivant.

Chez tous les peuples, la prose s'est formée plus tard que la poésie. Il semble que, pour bien posséder cette aisance, ce nombre, cette variété de tours qui caractérisent la bonne prose, il faut s'être rompu à la versification et que les difficultés du langage mesuré sont nécessaires pour perfectionner le langage ordinaire. Aussi Rabelais, contemporain de Marot, ne mérita-t-il pas les mêmes éloges. Sous le voile d'une bouffonnerie grossière, il fit intervenir dans son ouvrage tous les grands personnages du siècle où il vécut. Il ne respecta ni les mœurs, ni la religion; et le ton grotesque qu'il avoit pris, put seul le soustraire aux persécutions qu'il se seroit attirées, s'il avoit eu l'air de parler sérieusement. En faisant continuellement des allusions malignes aux événemens et aux anecdotes qui n'ont été connues que des contemporains, il obtint ce genre de succès que les hommes accordent toujours à la malignité.

Il est encore lu par quelques littérateurs qui se flattent de l'entendre, et qui, pour faire un petit nombre de rapprochemens curieux, ont la patience et le courage de supporter les turpitudes et les farces dégoûtantes dont son ouvrage est rempli.

L'année de la mort de Marot vit naître le Tasse. C'étoit à lui qu'il étoit réservé de faire prendre à la langue italienne un essor qu'elle n'avoit pas encore eu. L'Arioste avoit montré l'étonnante variété de ses ressources; le Trissin l'avoit employée sans succès dans un long poëme épique; le Tasse seul sut l'élever et la soutenir au ton de l'épopée. Dans ce poëte, elle est presque comparable aux langues anciennes. Les légères traces de faux bel-esprit, que Boileau appeloit avec raison du clinquant, disparoissent près des beautés innombrables dont ce poëme étincelle. Expressions constamment justes et nobles, tournures élégantes, suite heureuse de pensées, descriptions pittoresques, allégories ingénieuses, on trouve dans cet ouvrage toutes ces richesses; et ce qui prouve jusqu'à quel point il mérite l'estime que tous les peuples lui ont accordée, c'est qu'il se fait lire dans les traductions, épreuve que l'Arioste n'a pu soutenir. La langue italienne fut fixée à cette époque.

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