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Depuis ce temps elle a dégénéré. Guarini, en imitant, dans le Pastorfido, l'Aminte du Tasse, tomba dans les défauts que j'ai déja reprochés aux Italiens. Il mit de la finesse et des subtilités dans une pastorale; et sa versification élégante, en couvrant une partie de ces défauts, lui procura un grand nombre d'imitateurs. Marini, qui vint après, poussa beaucoup plus loin ce goût vicieux. La préférence accordée à l'opéra sur tous les autres genres de littérature, les improvisateurs qui abusoient de la facilité de faire des vers, contribuèrent aussi à la décadence de la langue italienne. On ne vit plus que quelques auteurs qui se distinguèrent de loin en loin. Parmi eux on peut placer Apostolo Zeno, Métastase, Maffei, et, de nos jours, Alfieri et Pignotti.

Après l'époque où la Jérusalem délivrée répandit tant d'éclat sur la littérature italienne finissent les rapports que nos auteurs avoient eus pendant si long-temps avec les auteurs italiens. La langue françoise se sépare sans retour de celle qui avoit contribué à la former. Nous n'imitons plus des auteurs que nous parviendrons bientôt à surpasser dans presque tous les genres de littérature. Notre langue, marchant à grands pas vers sa fixation, et renforçant

chaque jour son caractère distinctif, n'a plus besoin de s'appuyer sur une langue plus parfaite. Elle lui laisse son harmonie trop monotone, ses élisions, ses mots parasites, ses strophes, sa poésie sans rimes, ses inversions multipliées, pour adopter irrévocablement une harmonie qui lui est propre, des difficultés poétiques sans nombre, une construction toujours claire et directe. Je vais donc cesser de faire des rapprochemens entre les deux langues, pour ne plus m'occuper que des progrès de la langue françoise.

Avant qu'on pût conduire cette langue au degré de perfection où elle arriva, plusieurs obstacles retardèrent encore sa marche pendant quelque temps. J'ai dit que les disputes de religion avoient donné aux esprits une direction contraire au bon goût et au perfectionnement des belles-lettres. Plusieurs hommes, doués de grands talens, et qui auroient pu honorer la littérature, se consumèrent dans l'étude de la controverse et contractèrent l'habitude d'un ton pédantesque et dogmatique. Une autre cause nuisit encore plus aux développemens heureux de la langue françoise. Ronsard avoit remarqué que la diction de Marot ne pouvoit se prêter aux sujets nobles; et il en avoit con

clu qu'au lieu de chercher à faire un choix d'expressions relevées, il falloit opérer une révolution dans la langue, en y introduisant les richesses de la langue grecque et de la langue latine (1). Les succès qu'il obtint, et qu'il dut plutôt à quelques beaux vers épars dans ses ouvrages, qu'aux innovations dangereuses qu'il avoit osé tenter, l'enivrèrent au point qu'il ne garda plus aucune mesure. Il hérissa ses écrits de mots nouveaux, et l'on vit la langue d'Homère et celle de Virgile, tronquées et défigurées dans un jargon barbare. Cet abus fut heureusement porté si loin, qu'on n'entendit bientôt plus le poëte. Sa chute fut aussi prompte que son succès.

Ronsard jouit d'une grande faveur auprès de Charles IX, qui lui adressa souvent des vers. Il paroît que ce malheureux prince, entraîné à l'excès le plus affreux, par son inexpérience et

(1) On trouve la preuve des grands succès de Ronsard dans cette phrase de la Boëtie, auteur contemporain, « Notre >> poésie françoise est maintenant, non-seulement accous» trée, mais, comme il semble, faicte tout à neuf par notre » Ronsard, qui, en cela avance bien tant notre lan» gue, que j'ose espérer que bientôt les Grecs ni les Latins » n'auront guères, pour ce regard., devant nous, sinon possible que le droit d'aînesse », Disc. sur la Serv. volont.

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par de perfides conseils, avoit un penchant décidé pour les belles-lettres, et que, sans les troubles qui désolèrent son règne, il auroit, par une protection constante, secondé les efforts de François 1o. « Quand il faisoit mau» vais temps ou pluie, ou d'un extrême chaud, » dit Brantôme, il envoyoit quérir messieurs » les poëtes, et là, passoit son temps avec eux ». Que n'auroit-on pas dû attendre d'un jeune prince qui préféroit ainsi à des amusemens frivoles la conversation des hommes instruits? Ce goût pour la société des gens de lettres lui avoit été inspiré par Amiot, son précepteur, à qui nous devons une traduction de Plutarque. « Si n'est pas l'étude d'un roi, dit Amiot à » Charles Ix, de s'enfermer seul en un' étude, » avecque force livres, comme feroit un homme

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privé, mais bien de tenir toujours auprès de >> lui gens de savoir et de vertu, prendre plaisir à en deviser et conférer souvent avec » eux, mettre en avant des propos à sa table, » et en ses privés passe-temps, en ouïr volon» tiers lire et discourir; l'accoustumance lui > en rend l'exercice peu à peu si agréable et si » plaisant, qu'il trouve, puis après, tous les >> autres propos fades, bas, et indignes de son » exaucement, et si fait qu'en peu d'années

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» il devient sans peine bien savant et instruict » ès choses dont il a plus à faire en son gou

» vernement ».

La traduction des Hommes Illustres et des OEuvres morales de Plutarque, est le premier monument durable de notre prose, car les Essais de Montaigne ne parurent que quelque temps après. C'étoient peut-être les seuls ouvrages de l'antiquité qui pussent passer dans la langue françoise telle qu'elle étoit alors. Plutarque est toujours simple et naïf; ses récits portent le caractère d'une bonhomie agréable, unie avec la plus profonde raison; et ses traités de morale, pleins d'excellens principes sur la politique, sur la société, sur l'éducation, ressemblent à une conversation d'amis, où l'auteur cherche à instruire en amusant. Notre prose, qui ne pouvoit encore se prêter à un style élevé, et qui étoit propre à peindre naïvement les détails de la vie privée, convenoit très-bien pour rendre les écrits de Plutarque. C'est ce qui explique les causes de la préférence que nous donnons toujours à la traduction d'Amiot sur celle de Dacier. Ce grand travail fut achevé pour l'éducation de Charles IX, et avoit été entrepris par les ordres de François 1o, qui distingua les talens d'Amiot, et qui fut son protecteur.

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