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Écoutons Amiot lui-même parler des motifs qui l'ont déterminé, nous pourrons nous former en même temps une idée de sa manière d'écrire. Il s'adresse toujours à Charles IX:

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Or, ayant eu ce grand heur que d'être » admis auprès de vous dès votre première en» fance, que vous n'aviez guères que quatre » ans, pour vous acheminer à la connoissance de » Dieu et des lettres, je me mis à penser quels » auteurs anciens seroient plus idoines et plus » propres à votre estat, pour vous proposer à lire quand vous seriez venu en âge d'y pou» voir prendre quelque goust; et pour ce qu'il » me semble qu'après les sainctes lettres, la plus » belle et la plus digne lecture qu'on sauroit

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présenter à un jeune prince, étoit les Vies » de Plutarque, je me mis à revoir ce que j' j'en » avois commencé à traduire en notre langue, » par le commandement de feu grand roi François, mon premier bienfaiteur, que Dieu absolve, et parachevai l'œuvre entier étant à » votre service, il y a environ douze ou treize

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>> ans».

Catherine de Médicis, dont la fausse politique influa beaucoup sur les malheurs de ses enfans, protégea les lettres, et prouva son goût éclairé pour ceux qui les cultivoient, en élevant aux

premières dignités de l'état le fameux chancelier de l'Hôpital. Elle avoit puisé ce goût dans sa famille, dont les bienfaits firent renaître la ` littérature italienne, et elle avoit apporté de Florence cette politesse noble, cette élégance, de mœurs qui rendirent la cour de France si brillante à cette époque. De toutes les parties. du royaume, elle appeloit près d'elle les femmes les plus distinguées par leur naissance et par leur beauté. Elle les formoit au ton de la bonne compagnie, qui n'étoit encore connu qu'à la cour des Médicis; elle leur faisoit contracter l'habitude de s'exprimer avec ce choix de termes, et cette délicatesse dans la manière de les arranger qui caractérisent le beau langage. Ce cortége aimable et séduisant ne la quittoit pas; elle s'en faisoit suivre dans les fréquens voyages que les troubles de l'état la forçoient d'entreprendre dans toutes les provinces. Par-tout elle répandoit le goût d'une politesse et d'une galanterie décentes. « Elle » avoit ordinairement, dit Brantôme, de fort » belles et honorables filles, avec lesquelles, » tous les jours, en son antichambre, on con» versoit, on discouroit, on devisoit tant sa»gement et tant modestement, que l'on n'eût » osé faire autrement. Car le gentilhomme qui

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failloit, en étoit banni et menacé en crainte » d'avoir pis, jusqu'à ce qu'elle lui pardonnoit » et faisoit grâce, ainsi qu'elle y étoit propre, >> en toute bonne de soi». On voit que Catherine de Médicis, malgré ses soins pour maintenir la décence dans sa cour, ne poussoit pas la sévérité trop loin, et que, sous le rapport de la galanterie, elle avoit pour les autres, l'indulgence dont elle avoit peut-être besoin pour elle-même.

Je n'examinerai point si elle n'avoit réuni autour d'elle, un si grand nombre de femmes charmantes, que pour attirer dans son parti, par des séductions adroites, les chefs des factions qu'elle vouloit dissoudre ; il me suffit de faire observer que l'étiquette de sa cour, la politesse qu'elle y introduisit, contribuèrent à épurer la langue françoise.

Pendant les troubles des règnes de François ir et de Charles IX, au milieu des guerres civiles et des fureurs de la Ligue, on ne vit pas sans étonnement s'élever un homme qui, par la profondeur de ses pensées, par les formes heureuses dont il sut les revêtir, donna un nouvel éclat à la prose françoise. On ne trouvera point extraordinaire qu'en parlant de Montaigne, je fasse mention des circonstances qui influèrent

sur son caractère, si bien développé dans ses Essais. J'ai pensé, comme on a dû souvent le remarquer, qu'il étoit utile de ne point séparer les progrès de la langue françoise, des causes politiques qui lui ont fait éprouver des variations. Or il n'est pas douteux que les événemens qui se passèrent du temps de Montaigne, et auxquels il prit part, n'aient contribué à luit donner la hardiesse d'expressions que nous admirons encore dans son ouvrage.

Montaigne, en parlant toujours de lui-même, pénètre dans les plus secrets replis du cœur humain ; il n'emploie aucun art, ne met aucun ordre dans la distribution de ses idées, et il passe alternativement d'un sujet à un autre. Souvent l'objet de ses chapitres ne répond point au titre qu'il leur a donné. Malgré ce désordre, il plaît encore généralement. Son style fait oublier la longueur de ses digressions. Ne quittant point le ton naïf du siècle, il est souvent familier, mais quelquefois il devient fort. Il exprime d'une manière originale des idées neuves; il est pittoresque dans les descriptions, et quelques mots vieillis qui expriment énergiquement des pensées que nous rendons aujourd'hui par des périphrases, ajoutent encore au charme qu'on éprouve en le lisant. Montaigne

avoit été habitué dès l'enfance, à parler en même temps latin et françois; de là viennent plusieurs tournures latines que l'on remarque dans ses ouvrages. Les philosophes du dixhuitième siècle se sont souvent appuyés du témoignage de Montaigne; plusieurs même, et principalement J. J. Rousseau, se sont approprié ses idées, avec la seule précaution de rajeunir son style. Une considération qui n'a pas encore été présentée, peut excuser ces écarts, sans les justifier. On a remarqué que, pendant les grandes calamités qui ont désolé les nations à certaines époques, l'athéisme s'étoit répandu, et que les hommes s'étoient ainsi privés de la seule consolation qui reste dans le malheur. A l'époque désastreuse où vivoit Montaigne, tous les liens de la société étoient rompus; les grands du royaume sacrifioient l'état à leur ambition, le peuple étoit divisé en deux factions irréconciliables, les campagnes étoient dévastées, l'industrie étoit éteinte, et la guerre civile n'étoit interrompue, pendant quelques instans, que par des trèves sanglantes. D'un côté, une secte orgueilleuse vouloit établir une république au sein de l'état; de l'autre, une ligue puissante et hypocrite cherchoit à changer la dynastie

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