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régnante. Au milieu de ces fléaux, une insensibilité produite par le désespoir, s'empara de quelques hommes et les conduisit jusqu'à méconnoître un Dieu qui permettoit tant de crimes. Le même effet, né de la même cause, avoit été remarqué à la décadence de l'empire romain. Montaigne n'alla pas si loin. Doué d'un caractère doux et tranquille, il se reposa sur l'oreiller du doute; il discuta alternativement le pour et le contre, sans se permettre de tirer une conclusion. Nous aurions été trop heureux si ceux qui faisoient gloire de se dire ses disciples eussent imité sa modération.

L'ami de Montaigne, la Boëtie, qui mourut jeune, et dont l'auteur des Essais parle d'une manière attendrissante, laissa un ouvrage fort dangereux (1). Son Traité de la Servitude volontaire est écrit avec plus de noblesse et plus de force que n'en avoit la prose de ce temps-là. On y voit un jeune homme qui cherche à répandre le feu séditieux dont il est consumé. Son style répond à la chaleur de son imagination; les mouvemens en sont rapides et variés ;

(1) La Boëtie a aussi intitulé son ouvrage : Le Contre un, c'est-à-dire, le discours contre le gouvernement d'un seul.

*

et l'on remarque, dans ce petit ouvrage, les premières traces de l'éloquence vive et serrée qui ne se perfectionna que dans le siècle suivant. Le livre de la Boëtie a été réuni aux Essais de Montagne. Dans les temps les plus malheureux de la révolution, les agitateurs du peuple ont rajeuni ses idées, et n'ont fait que trop souvent l'application de ses principes.

Charon fut l'élève de Montaigne. Il n'eut pas, dans le style, la grâce et l'abandon aimable de son maître. Mais, comme la Boëtie, il écrivit d'une manière plus forte et plus serrée. On lui reprocha de parler de la religion en philosophe sceptique; quelques opinions hardies lui attirèrent des persécutions de la part des Jésuites. Dans le siècle suivant, l'abbé de Saint-Cyran, grand janséniste, fit son apologie.

Avant de quitter l'époque funeste de nos guerres civiles, et d'arriver aux temps heureux où Henri iv rétablit la paix, je ne dois point oublier de faire mention d'une princesse, aussi belle qu'infortunée, qui cultiva avec succès les lettres françoises. Marie Stuart, reine de France, au milieu des factions les plus animées contre l'autorité royale, veuve à la fleur de son âge montant ensuite sur le trône d'Écosse ébranlé depuis

depuis long-temps par une secte sombre et cruelle; trahie par tous ceux qui devoient lui être le plus attachés, précipitée de ce trône, et mourant sur l'échafaud, après une captivité de dix-huit ans, a mérité, par ses malheurs inouis, l'intérêt de la postérité. Parmi les maux qu'elle éprouva, et les inquiétudes cruelles dont elle fut souvent tourmentée, il paroît qu'elle trouva dans la littérature une douce consolation. Son éducation en France avoit été perfectionnée; elle savoit les langues grecque et latine, et parloit plusieurs langues vivantes. Mais la langue françoise étoit celle qu'elle préféroit. Tout le monde connoît la chanson qu'elle composa sur le vaisseau qui la portoit en Écosse, où elle devoit être si malheureuse, et les vœux qu'elle formoit pour qu'une tempête la rejetât sur les côtes de France. Je citerai de cette princesse une romance qui est moins répandue, et qu'elle fit après la mort de François 11 son premier

mari.

En mon triste et doux chant,
D'un ton fort lamentable,

Je jette un œil touchant

De perte irréparable;
Et en soupirs cuisans

Je

passe mes beaux ans.

E

Fut-il un tel malheur

De dure destinée,

Ni si triste douleur

De dame infortunée,

Qui mon cœur et mon œil
Voi en bière et cercueil ?

Qui en mon doux printemps
Et fleur de ma jeunesse
Toutes les peines sens
D'une extrême tristesse;
Et en rien n'ai plaisir
Qu'en regret et desir.

Si, en quelque séjour,
Soit en bois, ou en prée,
Soit à l'aube du jour,

Ou soit sur la vesprée,

Sans cesse mon cœur sent

Le regret d'un absent.

Si je suis en repos,

Sommeillant sur ma couche
J'oy qu'il me tient propos,
Je le sens qui me touche.

En labeur, en recoy
Toujours est près de moi.

Mets, chanson, ici fin
A si triste complainte,
Dont sera le refrain:

Amour vraye et sans feinte.

J'ai cru devoir rapporter cette romance toute entière, parce qu'elle m'a paru propre à donner une idée assez juste de la langue poétique de ce temps-là. Vous n'y trouvez point l'élégance de Marot, mais vous remarquez que la versification s'est perfectionnée, et que les règles en sont devenues plus difficiles. Les hiatus sont plus rares, le rithme est plus harmonieux, les rimes masculines et les rimes féminines sont distribuées avec régularité. Cette romance touchante, soit par le fond des idées, soit par la situation de celle qui l'a composée, porte une teinte de mélancolie qui semble présager les malheurs dont cette reine étoit menacée.

si

Les expressions et les tours barbares que Ronsard avoit introduits dans la poésie françoise, furent bannis par Berteaux et Desportes. Ce dernier, dont on a retenu quelques beaux vers, prépara les grands succès de Malherbe.

Henri Iv, vainqueur, rendit à la France la tranquillité qu'elle avoit perdue depuis si longtemps. L'époque trop courte de son règne présente deux poëtes qu'on peut regarder comme ceux qui, les premiers, ont donné à la langue françoise la force et la clarté qui la distinguent aujourd'hui. Regnier, né avec ce caractère âcre et caustique qui convient à la satire,

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