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s'exerça dans ce genre. Sa poésie est énergique et serrée; ses descriptions, qui passent trop souvent les bornes de la décence, offrent des traits frappans que jusqu'à lui la langue françoise n'avoit pu rendre. L'art du dialogue, dont Boileau s'est souvent servi dans ses satires, est employé heureusement par Regnier; et l'on trouve dans ce poëte les premières traces de nos bonnes scènes comiques. Trop enthousiaste de Juvénal, il eut rarement la grace et l'aimable philosophie d'Horace. Dans ses élégies et ses poésies amoureuses, il imita souvent Ovide; mais son esprit sage et sévère resserra les pensées trop abondantes du poëte latin. En évitant cet écueil, Regnier tomba dans un défaut opposé; quelquefois il rendit séchement les idées tendres et voluptueuses d'Ovide. Malherbe prit un vol plus élevé. Il s'exerça principalement dans le genre lyrique, et donna à la langue françoise l'harmonie, la majesté et la magnificence d'expression qui conviennent à l'ode. On admira le tour heureux de ses phrases, la vérité de ses descriptions, la justesse et le choix de ses comparaisons. Boileau représente Malherbe comme le législateur du goût, et comme celui qui enseigna le pouvoir d'un mot mis à sa place. La postérité a confirmé ce jugement, et, après

deux siècles, les poésies de Malherbe font encore les délices de tous les amateurs de la littérature françoise.

On sera plus à portée de juger la manière d'écrire de Regnier et de Malherbe, en rapprochant deux morceaux où ils ont traité le même sujet. Après que le feu des guerres civiles fut éteint, lorsque les factions furent anéanties, lorsqu'enfin la France respira sous un chef, aussi grand dans la guerre que dans la paix, les deux poëtes célébrèrent cette heureuse époque. Regnier, en s'adressant à Henri IV, dit :

Je ne veux point me taire

Où tout le monde entier ne bruit que tes projets;
Où ta bonté discourt au bien de tes sujets,
Où notre aise et la paix ta vaillance publie,
Où le discord éteint, et la loi rétablie,
Annoncent ta justice; où le vice abattu

Semble, en ses pleurs, chanter un hymne à ta vertu.

On voit que le poëte, habitué au genre satirique, s'élève, autant qu'il le peut, à la hauteur de son sujet, mais que ses expressions n'y répondent pas assez. Écoutons Malherbe, et nous verrons un premier exemple de la poésie noble et éloquente. Le poëte fait une prière à Dieu :

Conforme donc, Seigneur, ta grace à nos pensées ;
Ote-nous ces objets qui, des choses passées
Ramènent à nos yeux le triste souvenir;
Et, comme sa valeur maîtresse de l'orage,
A nous donner la paix a montré son courage,
Fais luïre sa prudence à nous l'entretenir.
La terreur de son nom rendra nos villes fortes,
On n'en gardera plus ni les murs, ni les portes;
Les veilles cesseront au sommet de nos tours;
Et le peuple, qui tremble aux fureurs de la
Si ce n'est pour danser, n'aura plus de tambours.

guerre,

Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années
Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs;
Toute sorte de biens comblera nos familles ;

La moisson de nos champs lassera nos faucilles,

Et les fruits passeront les promesses des fleurs.

On ne peut s'empêcher d'être frappé d'admiration, en pensant aux progrès que Malherbe fit faire à la langue françoise, et en se rappelant que ce grand poëte naquit neuf ans après la mort de Marot. Quelle différence entre les idiomes de ces deux poëtes! On penseroit qu'ils n'ont point écrit dans la même langue; et cependant ils ont vécu dans le même siècle; les mêmes personnes ont pu les voir. Les causes d'un changement si prompt doivent être attribuées à l'esprit de société qui continua de se

perfectionner, et à la protection que les derniers Valois donnèrent aux lettres, quoique leurs malheurs, et les erreurs auxquelles ils furent entraînés, dussent étouffer en eux le goût des

arts.

Un critique sévère pourroit relever dans le morceau de Malherbe que j'ai cité, la valeur qui montre son courage à donner la paix. Encore cette faute disparoît-elle par l'heureuse tournure du vers. Du reste, quelles images frappantes! quel retour mélancolique vers les malheurs passés ! quel art dans les constructions! quelle élégance dans les alliances de mots!

On sait que Henri y avoit pour les femmes un penchant qu'il ne put vaincre, unique défaut de ce grand prince, qui troubla souvent sa vie domestique. L'objet de sa dernière passion, et, si l'on en croit les mémoires du temps, de la plus forte qu'il ait éprouvée, fut la princesse de Condé, qui lui fut enlevée au moment où il se flattoit d'avoir fait quelques progrès dans son cœur. Ce prince employoit souvent Regnier et Malherbe à faire des vers pour ses maîtresses ; il y prenoit le nom du grand Alcandre, et les deux poëtes s'efforçoient de rendre les idées galantes du monarque. Malherbe fut chargé de faire des stances sur le départ de la princess

de Condé. J'en citerai quelques-unes, et l'on verra que le poëte réussissoit moins dans le genre érotique que dans la poésie noble. C'est Henri Iv qui parle :

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Cette dernière stance renferme un sentiment touchant et profond. Les deux premières sont rendues péniblement. On voit que le poëte s'ef

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