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au milieu des soins les plus importans et les plus pénibles, se délassoit par la culture des lettres. Poussé plutôt par son penchant pour toute espèce de célébrité, que guidé par un goût éclairé, il rassembla autour de lui un certain nombre de poëtes qui travailloient avec lui aux ouvrages qu'il faisoit représenter sur un magnifique théâtre construit dans son palais. Ceux qui sont curieux d'examiner si, dans les productions du poëte, on trouve quelques gerines du talent qu'a déployé le grand homme d'état, lisent encore la tragédie de Mirame, qui ne put obtenir aucun succès, quoique le cardinal n'eût négligé aucun moyen pour la faire réussir. On s'étonne, en lisant cette pièce, de n'y remarquer aucun trait de force, aucune grande pensée; jamais on n'y découvre les traces du caractère de l'auteur. La diction en est fade. incorrecte, et paroît dégénérée quand on la compare à celle de Malherbe. Dans cette société, composée d'hommes assez médiocres, mais dont la complaisance flattoit le ministre, le grand Corneille fut admis, sans qu'on pût se douter du talent qu'il déploieroit dans la suite. Il en fut exclu lorsqu'il donna le Cid.

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La protection que Richelieu accordoit aux lettres, quoique peu éclairée, en répandit le

goût dans presque toutes les classes de la société. Quelques hommes de lettres, voulant épurer et perfectionner la langue, s'assembloient alternativement chez l'un d'eux pour se communiquer leurs lumières et pour fixer leurs doutes. Le bruit des travaux de cette réunion parvint jusqu'au cardinal. Il sentit de quelle utilité pouvoit être une assemblée permanente des hommes les plus célèbres de la littérature, qui s'occuperoient constamment à étudier le génie de notre langue, à donner aux mots une juste acception, à prononcer sur les incertitudes d'une syntaxe, alors peu claire, à déterminer enfin les changemens ou les modifications que l'on pouvoit faire au langage. Comme aucun genre de gloire n'étoit indifférent à Richelieu, il changea en institution publique une réunion privée de quelques hommes instruits, et se déclara le fondateur de cette institution, à laquelle il donna le nom d'Académie françoise (1). L'exécution de cette idée, la plus juste peut-être que ce ministre ait eue sur les moyens de fixer la langue françoise, est sans contredit une des causes qui ont le plus

(1) L'Académie françoise fut instituée par édit du mois de juillet 1637.

contribué à son perfectionnement. Les travaux de cette compagnie eurent d'abord peu d'éclat. Elle recueilloit les matériaux de ce Dictionnaire célèbre, dont on a blâmé le plan, auquel on a reproché plusieurs défauts, mais qui, malgré ses détracteurs, est un monument digne du beau siècle où il a été perfectionné.

Le premier ouvrage remarquable de l'Académie fut fait à l'occasion d'une tragédie qui eut un succès jusqu'alors sans exemple. Corneille avoit donné le Cid; cette pièce, dont le sujet est peut-être le plus heureux de tous ceux qui ont été mis sur la scène, réunissoit tous les genres de beautés. Jamais les passions n'avoient été peintes avec autant de charme, de vérité et d'énergie; jamais l'intérêt n'avoit été porté à un aussi haut degré; jamais la langue françoise n'avoit eu un caractère aussi noble et aussi soutenu. Le cardinal de Richelieu et les poëtes qui lui étoient attachés, jaloux d'un triomphe auquel ils sentoient qu'il leur étoit impossible d'atteindre, ne négligèrent rien pour dénigrer notre premier chef-d'œuvre dramatique. L'Académie eut ordre de l'examiner, et d'en faire une critique, sous le double rapport de l'art dramatique et du style. La Compagnie, de qui l'on attendoit une satire amère, eut le courage

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de ne point servir les passions du ministre. Elle examina la pièce; mais loin de la déchirer, elle la jugea avec beaucoup de réserve et de modération. Elle donna le premier exemple de cette critique mesurée et décente, qui a pour but d'éclairer, non de blesser, et qui se concilie très-bien avec l'estime que l'on a pour le talent dont on se permet de relever quelques fautes. Chapelain, qui fut le rédacteur des Sentimens de l'Académie sur le Cid, avoit un trèsmauvais goût, ainsi qu'on en jugea depuis, lorsque, dans sa vieillesse dans sa vieillesse, il publia son poëme de la Pucelle : mais il avoit de vastes connoissances en littérature, il écrivoit assez purement en prose, et possédoit, sur-tout à un degré peu commun dans ce temps, le style de la discussion. Ses observations sur la manière dont Corneille a traité le sujet du Cid, sont presque toutes erronées; l'académicien n'avoit de connoissances sur l'art dramatique, que ce qu'on apprend dans les livres. Si Corneille avoit eu la foiblesse de se soumettre au critique, il auroit entièrement gâté sa pièce. Parmi les réflexions sur le style, quelques-unes ont de la justesse; mais, étant faites par un homme qui n'avoit qu'une fausse idée de l'art des vers, elles portent en général sur des expressions et sur

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des tournures hardies que le goût a consacrées depuis. Scudéry, d'autant plus irrité contre la gloire de Corneille, qu'il se sentoit moins de force pour lutter avec avantage contre lui, publia une critique beaucoup moins modérée de la tragédie du Cid. Ses observations grammaticales, faites avec aigreur, prouvent que non-seulement il étoit dépourvu de goût, mais qu'il n'avoit aucune notion juste sur une langue, dont ses ouvrages fades et incorrects retardèrent le perfectionnement.

Je ne m'arrêterai point sur les autres poëtes dramatiques rivaux et contemporains de Corneille. Mairet et Tristan débrouillèrent un peu l'art théâtral: Duryer composa quelques scènes énergiques dans ses tragédies de Scévole et de Saül. Mais aucun d'eux ne corrigea la langue. Rotrou, seul à cette époque, écrivit quelquefois purement et éloquemment. Un petit nombre de vers de son Hercule mourant et de son Antigone, deux scènes de Venceslas (1), sont restés dans la mémoire des amateurs de la bonne littérature. Je ne m'étendrai pas plus sur quelques

(1) On doit remarquer que Venceslas ne fut composé qu'après la représentation des premiers chefs-d'œuvres de Corneille.

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