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poëtes de ce temps-là, tels que Théophile, Gombaud, Mainard, parce qu'ils furent trèsinférieurs à Malherbe et à Regnier.

Il étoit réservé au grand Corneille de consommer la révolution que ces deux auteurs avoient faite dans la langue poétique. Il n'est point dans mon sujet de chercher à donner une idée des talens dramatiques de ce poëte. Je n'examinerai point l'étonnante variété de ses conceptions, la savante combinaison de ses plans, son aptitude à peindre différentes mœurs, et à donner aux hommes le caractère qui leur convient, suivant les époques et les pays où ils ont vécu. Je ne m'attacherai point à faire remarquer cet art dont il est le créateur, et qui consiste à lier les scènes, à les faire dépendre l'une de l'autre, à en former, pour ainsi dire, un tissu qui compose l'ensemble régulier d'une pièce de théâtre.

Ceux qui, dans le siècle dernier, ont voulu rabaisser Corneille, ont moins attaqué ses plans que son style, qu'ils ont trouvé souvent incorrect et barbare. Avant d'examiner jusqu'à quel point leurs critiques sont fondées, je crois devoir faire observer que ce grand homme a excellé dans tous les genres de style poétique. Les amateurs superficiels, qui ne connoissent l'auteur

de Cinna que d'après les témoignages de ses détracteurs, pensent en général que ce poëte, souvent déclamateur, n'a réussi que lorsqu'il a eu à peindre des sentimens qui approchent de l'exagération. Il me semble utile de les faire revenir de cette erreur, en leur indiquant les beautés nombreuses et variées que présente le style de Corneille.

Personne n'a encore révoqué en doute que l'amour, tel qu'il doit être, lorsque des obstacles qui semblent invincibles lui sont opposés, ne fût peint dans le Cid avec le style le plus touchant. Un ton chevaleresque augmente encore sa pureté et sa délicatesse. Le rôle de Chimène, le plus dramatique qui ait été tracé, est écrit avec autant de naturel que d'énergie, et presque jamais l'emphase ni les déclamations ne le refroidissent. Les modèles de la grande éloquence, de la discussion théâtrale, de la plus profonde logique, ne se trouvent-ils pas dans les Horaces, dans Cinna et dans Pompée ? Quel amateur des lettres n'a pas retenu les beaux vers dans lesquels le jeune Horace est aussi modeste que grand, les imprécations de Camille, et le récit de Tite-Live, embelli par la plus noble diction? Qui ne connoît les belles scènes de Cinna? Qui n'admire encore le rôle de Cor

nélie ? L'amour du trône, les tourmens de l'ambition ne sont-ils pas tracés dans le rôle de Cléopâtre avec une force et une chaleur qu'aucun poëte n'a jamais surpassées ? La dignité et la noblesse de la diction ne répondent-elles pas à la hauteur du sujet ? Toutes les beautés poétiques de la religion chrétienne ne sont-elles pas employées dans Polyeucte? Quelle variété de style ne falloit-il pas pour peindre un jeune homme qui ne balance point à se séparer d'une tendre épouse, qui, comblé de tous les dons de la fortune, se décide à partager la palme des martyrs; une femme vertueuse qui se trouve placée entre l'époux qu'elle aime par devoir, et l'amant qui eut ses premiers soupirs? Quelle modestie, quelle douceur dans le rôle de Pauline! quelle majesté dans celui de Sévère ! quelle abnégation de soi-même dans le personnage de Polyeucte quel enthousiasme dans celui de Néarque! La langue françoise ne prend-elle pas, dans cet admirable ouvrage, toutes les diverses formes qui conviennent à tant de sentimens opposés ?

Corneille sembloit avoir épuisé tous les genres de style qu'on peut employer dans la tragédie. On devoit penser qu'après avoir su exprimer les passions tendres, les passions vio

lentes, et les sentimens les plus sublimes, il ne lui restoit plus qu'à parcourir de nouveau la route qu'il avoit frayée. Cependant on ne le vit pas sans étonnement offrir à l'admiration du public, une pièce dont le principal personnage en butte à toutes les intrigues d'une cour perfide, n'oppose à ses adversaires qu'une ironie sanglante qui a toute la dignité du style tragique. Le rôle de Nicomède donna l'exemple du parti que l'on peut tirer de la langue fran

çoise pour exprimer noblement le mépris qu'inspirent de lâches ennemis, et pour faire rire de leurs attaques imprudentes, sans démentir la fierté d'un grand caractère.

On a vu que Corneille avoit été le créateur du style tragique, et qu'il lui avoit fait prendre plusieurs formes différentes. J'ai cru inutile de rappeler l'exposition d'Othon, et la belle scène de Sertorius, où le poëte montre jusqu'à quel point on peut anoblir les raisonnemens politiques et les rendre dignes de la majesté de la tragédie.

Mais ce qui doit mettre le comble à l'étonnement de ceux qui étudient. le génie de Corneille, c'est qu'après avoir créé l'art de la tragédie, il ait encore fait la première comédie où l'on trouve un comique décent et naturel, où

l'on remarque cette aisance et cette légèreté qui doivent caractériser le genre, où l'on admire enfin cette gaîté soutenue dans le style et les situations, si éloignées des bouffonneries qui étoient alors en possession du théâtre. Le Menteur précéda les comédies de Molière. Dans cette pièce, qui est restée, le principal rôle est rempli de détails charmans; l'auteur y prend alternativement tous les tons; les narrations variées qu'il met dans la bouche du Menteur, réunissent toutes les sortes de beautés comiques, et le récit du pistolet sur-tout, est d'un naturel, d'une gaîté piquante que Molière lui-même n'a pas surpassés. Le rôle du valet crédule qui est toujours la dupe de son maître, quoiqu'il connoisse bien son caractère, contribue à faire ressortir le personnage du Menteur; et par des naïvetés exprimées dans un style toujours gai, jamais bouffon, augmente le comique de la situation.

Nous avons vu Corneille exceller dans la tragédie et dans la comédie. Qui croiroit qu'il mérita le même succès dans un genre dont l'on attribue généralement l'invention à Quinault? Jusqu'à présent vous n'avez remarqué dans les OEuvres de Corneille que les peintures terribles de l'amour tragiqué, l'expression des sentimens

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